Accueil > Critiques > (...) > Élection présidentielle de 2017

En bref

Le magazine L’Histoire se met (lui aussi) en quatre pour Emmanuel Macron

par Laurent Dauré,

Le magazine L’Histoire [1] publie dans un hors-série un grand entretien avec Emmanuel Macron, à qui l’on déroule un grand tapis rouge afin que le candidat d’En marche « s’explique » sur « la grande querelle de l’histoire de France », thème principal du numéro. Aucun autre candidat n’a bénéficié et ne bénéficiera d’un tel privilège, du moins avant le premier tour de l’élection présidentielle.

Les coïncidences troublantes s’accumulent. Après Sciences et Avenir et Challenges, une troisième publication appartenant au groupe Perdriel accorde un traitement de faveur manifeste à Emmanuel Macron par rapport aux autres candidats à l’élection présidentielle. Cette fois-ci il s’agit du mensuel L’Histoire, « le magazine de référence des passionnés », dans son hors-série numéro 4 (avril 2017).

Comme dans Sciences et Avenir, la revue de vulgarisation historique a offert un entretien de quatre pages [2] au candidat d’En marche, dont on ne peut pourtant pas dire qu’il souffre particulièrement d’une sous-exposition médiatique. Voici comment la rédaction de L’Histoire justifie l’initiative : « Parce qu’il avait eu une parole malheureuse en assimilant [la colonisation] (tout entière) à un “crime contre l’humanité”, crime imprescriptible ouvrant droit à sanctions pénales, nous avons voulu entendre Emmanuel Macron sur sa conception de l’histoire. Il témoigne ici à quel point elle participe de sa vision de la France. »

Pour ne pas sortir de notre rôle, nous ne commenterons pas le contenu de l’entretien intitulé « Réconcilier les mémoires » [3]. Signalons simplement que les questions posées à Emmanuel Macron sont plutôt conciliantes, voire bienveillantes. De plus, les deux photos du candidat qui figurent dans le hors-série le mettent en valeur. Un bandeau rouge avec l’inscription « Macron s’explique » apparaît en outre sur la couverture du magazine.


Aucun des dix autres candidats à l’élection présidentielle ne bénéficiera d’un tel traitement, le 1er tour ayant lieu le 23 avril. Ainsi, les quelque 50 000 lecteurs de L’Histoire [4], dont on peut douter qu’ils ont tous l’intention de voter pour Emmanuel Macron ou souhaitent massivement que le magazine prenne ainsi position – en creux – dans la campagne électorale, ne prendront connaissance des « explications » que d’un seul et unique candidat.

Rappelons que Sophia Publications, la société éditrice de L’Histoire, a été rachetée intégralement par le groupe Perdriel en juin 2016 [5] et que celui-ci est détenu à 93 % par l’industriel et homme de presse Claude Perdriel, qui a exprimé explicitement son souhait de voir Emmanuel Macron élu président de la République.

Dans un communiqué daté du 16 mars 2017 émanant du bureau de la société des journalistes (SDJ) de l’hebdomadaire Challenges [6], cette dernière « déplore les interventions multiples et déplacées de Maurice Szafran [7] auprès de la direction et de l’équipe web, suite à la parution d’un article critique à l’égard de Macron, paru le 14 mars sur le site : “Où sont les millions de Macron ?”. Interventions relayant le coup de téléphone d’un communicant de Macron.  [8] »

Il se trouve que Maurice Szafran est le directeur éditorial des quatre magazines de Sophia Publications [9] : La Recherche, Le Magazine littéraire, Historia et donc, L’Histoire. Claude Perdriel en est le directeur de la publication [10].

Trois des six magazines [11] dont ce dernier est l’actionnaire ont donc favorisé le candidat à la présidentielle qui a sa préférence. Il mérite d’être rappelé que M. Perdriel a affirmé que son enthousiasme pour Emmanuel Macron « n’engage[ait] que [lui] et non pas Challenges » (Le Figaro, 24 octobre 2016), ni, on le suppose, les autres titres qu’il possède. Pourtant, le soupçon d’un tropisme pro-Macron dans « ses » publications se renforce un peu plus.

Après « Macron économiste », « Macron scientifique » et « Macron historien », il ne manque plus que « Macron littéraire ». Devons-nous alors nous attendre à un dossier « Visite commentée du dernier Salon du livre avec Emmanuel Macron » dans la prochaine édition du Magazine littéraire  ?...

Laurent Dauré



Annexe

Tout dernièrement, Historia a semblé gagné à son tour par les premiers symptômes de macronite… Certes, le tableau clinique y est beaucoup moins grave que dans les cas de Challenges, Sciences et Avenir et L’Histoire, mais, dans le numéro d’avril 2017, certains choix de mise en page ne manquent pas d’interroger. Sur la couverture du magazine, le bandeau qui annonce le dossier « événement », intitulé « Élection présidentielle : à chacun son héros » [12], ne mentionne que les cinq « grands candidats », et c’est Emmanuel Macron qui se trouve en tête de la liste. Tout comme la rédaction du magazine l’a choisi pour figurer avec Manuel Valls [13] sur la double page qui ouvre le dossier [14]. Une prééminence troublante – même si on ne peut exclure qu’elle soit purement fortuite et que les précédents susmentionnés nous aient rendu particulièrement sourcilleux s’agissant des publications Perdriel.

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1Voir les deux articles que nous avons consacrés précédemment à cette publication dont la ligne dominante est libérale, pro-européenne et anti-communiste, ce qui est son droit mais peut aussi contribuer à expliquer l’adhésion à la macron-mania.

[2Les propos du candidat ont été recueillis par l’historien Michel Winock, cofondateur de la revue, et Guillaume Malaurie – lequel était journaliste au Nouvel Observateur lorsque Claude Perdriel en était encore le propriétaire.

[3Le Huffington Post a reproduit le texte en intégralité.

[4Selon l’APCM, la diffusion payante du magazine était en moyenne de 49 768 exemplaires par mois en 2016, un chiffre légèrement inférieur à celui de la revue Historia – 55 459 –, leader du marché de la vulgarisation historique, également propriété de Claude Perdriel.

[5Il en détenait déjà 50 % depuis 2014. Auparavant c’est une holding du milliardaire François Pinault qui possédait Sophia. Lire cet article du Monde.fr (23 juin 2016) pour plus de détails.

[6Nous avons publié ce texte sur notre site.

[7L’éditorialiste est présenté, preuves à l’appui, comme pro-Macron par la SDJ de Challenges. Bruno Roger-Petit, autre éditorialiste de la maison, est placé dans la même catégorie.

[8D’après nos informations, il s’agirait de Sylvain Fort, directeur de la communication et porte-parole d’Emmanuel Macron.

[9Maurice Szafran détenait 50 % de Sophia avec Thierry Verret et Gilles Gramat avant que Claude Perdriel ne rachète leurs parts.

[10Guillaume Malaurie est directeur éditorial adjoint du quatuor de titres et Jean-Claude Rossignol, directeur délégué.

[11Voir en annexe le cas à part de la revue Historia.

[12Le sommaire de la revue résume ainsi l’idée : « Historia a demandé, en février dernier, aux principaux candidats à l’élection présidentielle quel était le personnage historique qui incarnait le mieux leurs aspirations. Des réponses parfois surprenantes... »

[13Rappelons que l’ancien Premier ministre ne fait pas partie des onze candidats à l’élection présidentielle et qu’il a officialisé le 29 mars dernier son soutien à Emmanuel Macron.

[14Un dossier introduit par un texte de... Bruno Roger-Petit.

A la une

France Inter, Sciences Po et la Palestine : « nuance » ou calomnie ? (3/3)

Comment France Inter défigure un mouvement étudiant.