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Elections sous influence (extrait de Tous les médias sont-ils de droite ?)

par Grégory Rzepski, Henri Maler, Mathias Reymond,

Vacances ou pas, les bonnes lectures sont toujours estivales. Si vous n’avez pas lu le dernier ouvrage d’Acrimed – Tous les médias sont-ils de droite ? Du journalisme par temps d’élection présidentielle, il est encore temps de vous y plonger en cet été 2008 et de l’acheter en librairie ou de le commander en ligne auprès de notre éditeur : les Editions Syllepse

Allons droit à la conclusion (que nous vous proposons ci-dessous) : par temps d’élection présidentielle – et notamment lors de la précédente - les pressions médiatiques s’exercent de gauche à droite. Toujours.

« Veuillez nous excuser…
… pour cette interruption momentanée des programmes »


Tous les médias sont-ils de gauche ? Écoutons Nicolas Sarkozy : « La presse est globalement de gauche, non pas socialiste, non pas partisane, mais culturellement de gauche. » Interrogé le 13 décembre 2007 par Le Nouvel Observateur, il revient ainsi sur la campagne présidentielle et sur le rôle des médias. Péremptoire, il explose : « La presse, globalement, a été opposée à ma candidature. C’est son droit. Dire qu’elle m’a aidé, c’est à exploser de rire ! » L’hilarité présidentielle peut elle-même prêter à rire. Mais – c’est incontestable – dans l’ensemble, la « culture » des journalistes français n’est pas celle de la « droite décomplexée ». Pas aussi pleinement que notre rieur pourrait le souhaiter, en tout cas.

De là à affirmer que « la presse est globalement de gauche » et laisser à entendre que tous les médias le sont, c’est recourir à une figure oratoire de tribun des médias, destinée à attirer leur attention en les prenant à contre-pied. Comment le nier ? Les médias ont servi Nicolas Sarkozy, notamment parce qu’il a su s’en servir. Pourquoi ? Comment ? Avec quelle efficacité ? Répondre à ces questions est moins aisé qu’il n’y paraît.

De gauche à droite

Dans l’orchestre médiatique, les instruments ne jouent pas tous la même partition, mais l’effet d’ensemble n’est pas aussi dissonant qu’on pourrait le croire. Des oreilles attentives peuvent déceler sans peine les mêmes mélodies et les mêmes stridences. Ce sont certaines d’entre elles que nous avons essayé de mettre en évidence. Ce sont, nous dit-on, les marques distinctives d’une « démocratie d’opinion », dopée aux sondages et aux images. Ce sont surtout des contributions, non seulement à un statu quo institutionnel éminemment discutable, mais à une médiatisation de la vie publique dont la prétendue modernité favorise tous les conservatismes. Favorise : rien de plus, mais c’est déjà beaucoup trop.

Les médias en effet ne sont pas tout-puissants. « Le pouvoir dont ils disposent – écrivions-nous dans un livre précédent - n’est ni uniforme, ni écrasant : il diffère selon les médias et ne s’exerce pas mécaniquement sur des “consommateurs” passifs. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un “pouvoir”, mais de plusieurs [1] ». Quels sont, schématiquement, ceux qui se sont exercés dans la campagne électorale ? D’abord un « pouvoir » d’occultation : quand les jeux politiques relativisent les enjeux, quand les personnages tendent à se substituer à leurs projets, les médias, pour reprendre une expression de Pierre Bourdieu, cachent en montrant [2]. Ensuite, un pouvoir de relégation : quand les mauvais comptes du pluralisme se doublent de mises en débat qui privent de son sens la parole de ceux à qui ont prétend la donner, les médias contribuent à atrophier la démocratie dont ils se prétendent les gardiens. Enfin un pouvoir de problématisation et de légitimation : quand les choix politiques sont consignés dans un cercle restreint d’options équivalentes, les commentateurs se comportent en acteurs de la campagne qui essaient de faire pression sur les formations et les responsables politiques.

Toutes ces tendances agissent dans le même sens : de gauche à droite.


Interdépendances

Quant aux autres « pouvoirs » que l’on prête aux médias, ils sont souvent d’autant moins grands que le pouvoir des médias n’est pas autonome. Les acteurs médiatiques et les acteurs politiques sont les coproducteurs des agendas de campagne, de la scénographie électorale et des personnages présidentiables. « Les invités politiques de la télévision ne sont pas des leaders politiques parce qu’ils sont médiatiques, mais ils sont médiatisés parce qu’ils sont déjà des leaders politiques consacrés », observait Eric Darras en 1995 en se fondant sur l’analyse des invitations dans les grandes émissions politiques du moment (« L’Heure de vérité » ou « 7 sur 7 ») [3]. Médias et leaders ajustent toutefois, non sans conflits, leurs exigences et construisent ensemble des personnages médiatiques, leur vie, leur œuvre, leurs thèmes de campagne.

Si, pendant la campagne, Ségolène Royal a souvent été présentée, non sans quelques raisons, comme la candidate des médias, imposée à son propre parti par une opinion que les instituts de sondages mesureraient et que les sommités éditoriales représenteraient, on peut à l’inverse considérer avec Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki que c’est la transformation du Parti socialiste lui-même, en « entreprise de conquête de mandats électifs, prêt à tous les ajustements tactiques pour gagner ou conserver les postes de pouvoir à tous les niveaux [4] » qui explique l’importance de la communication, des sondages et des médias dans le dispositif de campagne du PS. « L’idée que le parti peut se passer de militants et que les médias comptent plus que la mobilisation militante semble de plus en plus admise par les cadres socialistes [5] », précisent ces deux chercheurs.

Si Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, le premier plus que la seconde et tous deux plus que tout autre, ont bénéficié du soutien des principaux médias, cet appui tient d’abord et avant tout au mécanisme de la campagne présidentielle qui, comme l’explique Annie Collovald, « offre un pouvoir singulier à ceux dont le crédit principal provient de leurs relations avec des acteurs de plus en plus déterminants en politique (instituts de sondage, presse, patronat) [6] ». Si pour les bénéficiaires de ces relations et de ces atouts, les médias dominants sont considérés comme des auxiliaires c’est qu’ils sont de plus en plus persuadés qu’« une campagne électorale doit d’abord mobiliser les commentateurs et non les électeurs, leur opinion important moins que celle de ceux qui la font [7]  ».

C’est donc la puissance que les acteurs politiques attribuent aux médias et au journalisme d’en haut qui dote ces derniers d’une influence dont ils ne disposeraient pas sans cette croyance. Dès lors, il ne suffit pas de relever ce que font les médias en campagne pour comprendre un rôle qui dépend de celui que les candidats en campagne tentent de leur faire jouer...

Communication

… Des médias qu’ils tentent de placer sous leur influence. Comment expliquer celle que Nicolas Sarkozy a exercée pendant la campagne électorale et qu’il tente de prolonger depuis ? Pas seulement ni principalement par les liens amicaux du candidat de l’UMP avec Bernard Arnault, François Pinault, Arnaud Lagardère, Serge Dassault et Martin Bouygues : ces ententes personnelles renforcent tout au plus la convergence d’intérêts et de projets sur laquelle elles reposent. Candidat, Nicolas Sarkozy est celui des principales entreprises médiatiques parce qu’il est l’homme d’un programme, le leur, celui qui sert au mieux leurs intérêts. Président, il reste l’homme de l’accomplissement de ce projet, qui consiste notamment à déréglementer le plus possible, notamment dans le secteur des médias [8].

Pourtant, cette interdépendance entre la droite « décomplexée » et l’oligarchie économique qui détient les grands médias ne suffit pas par elle-même à tout expliquer. Nicolas Sarkozy n’a pas seulement bénéficié du soutien de ses amis et des affinités politiques de son projet avec les intérêts économiques de leurs entreprises. Il a surtout profité de l’ajustement de sa communication politique aux expectatives médiatiques, en mettant en œuvre une stratégie qui répondait, pour leur très grande satisfaction, aux attentes des hiérarchies rédactionnelles. Celles-ci, en retour, lui ont, dans l’ensemble, plutôt facilité la tâche, avec une complaisance souvent moins politique que proprement médiatique. « Dépendants de sa parole, les médias en sont aussi les dépositaires » notait Marie Bénilde en septembre 2006, (dans Le Monde diplomatique). Elle ajoutait : « À l’évidence, M. Sarkozy a une faconde et un style imagé qui leur plaisent. (…) Son adresse oratoire doit beaucoup aux “ficelles” du métier d’avocat : recours emphatique aux formules interrogatives et aux anaphores (“Parce que vous croyez que... ”), effets de sidération par les images (“On ne peut pas violer impunément une adolescente dans une cave”), posture du “ parler vrai ” et populaire (“Moi, j’essaye d’être compris des gens”)... La séduction joue auprès des journalistes. [9] »

Pour comprendre ces effets de séduction et leur rôle, la comparaison avec Silvio Berlusconi semble partiellement s’imposer. Non seulement parce que les deux hommes incarnent l’intégration, particulièrement poussée en Italie, des pouvoirs économique, médiatique et politique. Mais aussi parce que la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 évoque celles de Berlusconi (notamment en 1994) poursuivant, selon les termes de Pierre Musso, « sur la scène politique, le travail de l’industrie du divertissement et [traduisant] l’imaginaire télévisuel en politique [10] ».

L’emprise de Berlusconi sur la télévision ne relève donc pas seulement, ni même principalement, de sa possession. Elle a consisté à restituer sous forme d’imaginaire politique l’imaginaire télévisuel que la « télé Berlusconi » avait elle-même propagé. Il n’empêche : en avril 2006, Silvio Berlusconi a été défait aux élections législatives.

Nicolas Sarkozy ne possède pas un empire médiatique. Mais il maîtrise les stratégies de communication adaptées aux formes du divertissement télévisuel et, à travers elles, aux attentes de la plupart des médias. Il n’empêche : ce n’est pas cette stratégie qui l’a fait élire ; ce n’est pas elle qui lui permettra de garder le pouvoir.

Que dire dans ces conditions lorsque l’on constate que la candidate socialiste et son équipe ont choisi d’accorder une importance décisive à la communication et au marketing à un degré encore inédit ? C’était « une campagne L’Oréal » apprécie en expert Jean-Michel Goudard, communiquant de Jacques Chirac puis de Nicolas Sarkozy  : « Je montre la beauté et le sourire mais surtout pas le produit [11] ». Cette « échappée (pas vraiment) belle du jeu politique vers des mondes imaginaires », selon l’expression d’Annie Collovald, est encore une politique fondée « sur un zapping programmatique incessant et sur des rhétoriques qui confinent au cynisme dès lors que la seule réalité sociale qui mérite d’être prise en charge et retraduite est celle qui occupe les “unes” des sondages ou de la presse [12] ». La droite en a fait son miel. La gauche socialiste a choisi de suivre, comme le suggère, par exemple, ce conseiller de Ségolène Royal cité dans Le Point, le 17 août 2006 : « La présence médiatique donne l’apparence de l’action. On a décidé de faire comme Nicolas Sarkozy, on prend toutes les occasions. On cannibalise tout. ».

Jusqu’au moment où…

Le 31 janvier 2007, L’Express titre en « une » : « Tiendra-t-elle ? » S’estimant « vilipendée dans des publications sordides, à la une des hebdomadaires liés au pouvoir », Ségolène Royal réplique lors d’un meeting le 6 février 2007 : « Pour ce conglomérat de la finance et des médias, il y a tellement à perdre si la gauche gagne !  [13]. » Au regard des propositions de la candidate sur la question des médias, en retrait sur le programme lacunaire de son propre Parti [14] la perte n’aurait pas été excessive. Survenant six mois après les interventions de François Bayrou contre les mêmes conglomérats, la menace semble pour le moins tardive.

Paraphrasant l’ironie cruelle de Marx moquant les rodomontades des opposants à Bonaparte en 1849, on pourrait dire des tenants d’une gauche timorée que croyant encore aux trompettes dont les sonorités renversèrent les murailles de Jéricho, chaque fois qu’ils rencontrent devant eux les remparts des médias, ils s’efforcent de refaire le miracle… avant de se lamenter de leur insuccès.

On se prend alors à rêver d’une gauche de gauche, moins fascinée par les écrans, moins intimidée par les médias dominants, prête à se mobiliser pour contester leur domination et mettre en œuvre les propositions de leur transformation. Une gauche de gauche qui, pour se faire entendre, saurait refuser de jouer en permanence le jeu de ces médias quitte à ne pas s’excuser, si nécessaire, pour cette interruption momentanée de leurs programmes.


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Notes

[1Henri Maler et Antoine Schwartz, Médias en campagne. Retours sur un référendum, Syllepse, 2005, p. 9.

[2« La télévision peut, paradoxalement, cacher en montrant ». Pierre Bourdieu, Sur la télévision, Raisons d’agir, p. 17-18.

[3Eric Darras, « Le “pouvoir médiacratique” », Politix n°30, 1995, p. 187.

[4Rémi Lefebvre, Frédéric Sawicki, La société des socialistes. Le PS aujourd’hui, éditions du Croquant, 2006, p.19.

[5Ibid., p. 192.

[6Annie Collovald, « Curieux “ printemps de la démocratie ”... », Le Monde diplomatique, mai 2007.

[7Ibid.

[8Sur l’interdépendance des pouvoirs politique, économique et médiatique, lire, sur le site d’Acrimed, Grégory Rzepski, « Sarkozy et les médias, les médias face à Sarkozy », le 4 juin 2007, et Henri Maler et Grégory Rzepski, « L’audiovisuel dans le collimateur de la droite décomplexée », le 10 octobre 2007

[9Marie Bénilde, « M. Sarkozy déjà couronné par les oligarques des médias ? », Le Monde diplomatique, septembre 2006.

[10Pierre Musso, Le Nouveau Prince, éd. de l’Aube, 2004, p.106.

[11Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin, La Femme fatale, Albin Michel, 2007, p. 71.

[12Annie Collovald, op. cit.

[13Citée par Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin, p. 190.

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