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Débris de campagne : combien valent les médiacrates ? (avec vidéo)

par Henri Maler, Nils Solari,

Un petit vent de critique des médias souffle sur la campagne électorale. Et c’est tant mieux. Par endroits, il fait même voler en éclats la morgue coutumière de certain(e)s chargé(e)s d’entretiens, particulièrement quand est mise en question la position sociale qu’ils ou elles occupent… Bris de vitrine et débris de campagne.

Commençons par une brève séquence où l’on apprend qui sont les méritants et ce qu’ils valent : la vision du monde social d’une « grande » journaliste.

Prologue : la valeur de Maurice Lévy
… selon Marie Drucker

Sur RTL, chaque samedi, entre 12h30 et 13h30, Marie Drucker anime une émission au titre alléchant : « Le Journal inattendu ». Et, comme on n’avait pas écouté Maurice Lévy, président de l’Afep (Association française des entreprises privées) et du directoire de Publicis, depuis un mois [1], sa présence à l’antenne, le 14 avril 2012, fut vraiment inattendue ! L’occasion pour lui de justifier les 16 millions d’euros qui venaient de lui être octroyés…

Marie Drucker l’accueillit par ces mots, bouleversants d’impertinence :

« Maurice Lévy, il est bon quand même de rappeler que vous n’avez pas usurpé votre rémunération. Vous avez transformé Publicis en groupe de com’ mondial. Vous avez multiplié ses revenus par 10, créé des milliers d’emplois. [Puis, lentement et en pesant les mots] Personne ne conteste ce que vous avez fait de Publicis, c’est-à-dire un groupe de com’ qui fait jeu égal avec les plus grands groupes anglo-saxons et que vous êtes un bon patron. »

Le titre de ce « Journal inattendu » - « Maurice Lévy défend ses 16 millions d’euros de rémunération » -, est pour le moins incongru, puisque Marie Drucker avait absous Maurice Lévy avant qu’il ne le fasse lui-même et offert aux auditeurs le résumé de sa vision du monde social : si Maurice Lévy n’a pas usurpé sa rémunération, c’est que le groupe qu’il dirige lui doit tout et rien (ou si peu) à ses salariés : cela « personne ne le conteste »… puisque Marie Drucker le dit !

Publicitaire et donc ami des médias, Maurice Lévy n’est pas le seul méritant…

Reprenons…

I. La valeur de David Pujadas
… avec Jean-Luc Mélenchon

David Pujadas est ce souriant présentateur qui s’offusque de la « violence » des travailleurs en lutte… et se félicite d’avoir accordé « deux minutes d’exposition » à l’un d’entre eux (comme nous l’avions relevé). C’est aussi ce vigilant critique des médias qui déclare que le journalisme « souffre d’abord de conformisme et de mimétisme », mais découvre en ces termes ce qu’il entend par conformisme : « L’idée que par définition le faible a toujours raison contre le fort, le salarié contre l’entreprise, l’administré contre l’État, le pays pauvre contre le pays riche, la liberté individuelle contre la morale collective.  » [2]. C’est enfin, l’administrateur en plateaux de la série d’émissions « Des paroles et des actes », diffusées par France 2, à l’occasion de la campagne présidentielle de 2012.

Le 12 avril 2012, c’est au tour de Jean-Luc Mélenchon d’être interrogé. Fin de la session :

- David Pujadas : Il reste 1 minute 40. Si on pouvait brièvement aborder trois questions...
- Jean-Luc Mélenchon : Trois questions en 1 minute 40 ?

David Pujadas, faussement naïf, demande alors si Omar Sy verrait ses revenus faramineux amputés comme le prévoit le programme du Front de Gauche. Allons droit à l’essentiel de ce grand moment que l’on peut lire intégralement en suivant la note. [3]

- Jean-Luc Mélenchon : […] Le vrai débat avec moi, c’est, les yeux dans les yeux, est-ce qu’il y a une limite à gagner beaucoup, beaucoup d’argent. Je ne sais pas si vous gagnez 30 000 euros par mois...
- David Pujadas (déçu ou affectant la déception) : Hélas !

Or Pujadas gagnerait 25 000 euros par mois. Selon Le Point du 19 avril 2012, «  avec le candidat du Front de gauche qui voudrait fixer la limite à 30 000 euros par mois, David Pujadas passe juste un peu au-dessous de la toise à 5 000 euros mensuels près. » Ce « juste au-dessous » correspond quand même à près de trois salaires moyens [4].

- Jean-Luc Mélenchon : Je vais vous dire qu’avec 30 000 euros – vous ne les avez pas… - vous avez quand même une idée de ce que ça représente moins de 30 000 et donc plus de 30 000 ? Eh bien, moi je dis que c’est assez. Voilà, ça suffit ! On peut vivre très bien avec moins de 30 000 euros par mois. Voilà !
- David Pujadas (pressé de passer à la question suivante) : Trente secondes [le temps qui reste]. Fabien, la toute dernière question… Alors ça va être dur de répondre en aussi peu de temps !
- Jean-Luc Mélenchon : Vous ne trouvez pas, c’est beaucoup déjà 30 000 ? Vous trouvez pas qu’on pourrait faire mieux ? Et qu’est-ce que vous pensez du salaire de 1 à 20 dans votre propre entreprise  ?
- David Pujadas : D’ordinaire, c’est moi qui pose les questions.
- Jean-Luc Mélenchon : Oui, mais c’est moi, là, qui vous pose la question. Est-ce que vous seriez d’accord – moi je ne veux pas toucher à votre paye, mais…
- David Pujadas (souriant) : Le débat prend une drôle de tournure.
- Jean-Luc Mélenchon : Monsieur Pujadas, entre votre paye…
- David Pujadas (de plus en plus pressé) : Attention, c’est votre temps de parole, Monsieur Mélenchon ! (rire un peu gêné)
- Jean-Luc Mélenchon (à peine audible et se tournant vers les techniciens, invisibles sur le plateau) : … et eux qui travaillent là derrière n’auraient pas d’écarts...
- David Pujadas : Vous avez mieux à faire pour convaincre. Il reste peut-être 10 secondes pour parler de Cuba. 10 secondes c’est peut-être un peu juste ? [5]

David Pujadas était pressé… Restent les questions qui lui étaient posées et qu’il était pressé… d’ éluder.

II. La valeur de Jean-Michel Aphatie et de Michel Denisot
… avec Nicolas Dupont-Aignan

La scène se passe lors du « Grand Journal » de Canal Plus, le 13 avril 2012. Elle réunit Nicolas Dupont-Aignan, Ariane Massenet, Michel Denisot et Jean-Michel Aphatie. Seule la vidéo peut rendre compte de l’acharnement à dissimuler le montant de leurs revenus et la transcription intégrale de la scène mérite de passer à la postérité (voir en Annexe). On ne retiendra donc ici que les meilleurs moments [6].

Ce jour-là, goguenards, les animateurs en charge de « l’impertinence à la sauce Canal » croyaient pouvoir railler, comme à leur habitude, un des « petits candidats ». Aux yeux de ces amuseurs, toutes les questions sont bonnes à poser… sauf quand c’est l’invité qui les pose…

Nicolas Dupont-Aignan prend à partie « tous ces éditorialistes de bazar, qui vivent ensemble, qui font toujours les mêmes articles et qui sont totalement coupés des réalités… qui gagnent un argent fou, et qui croient connaître les Français, ils ne connaissent plus rien des Français ». Et propose de « s’en débarrasser un jour… ». Jean-Michel Aphatie, offusqué, relève : « S’en débarrasser ». Ariane Massenet, finaude : « Vous vous mélenchonisez ! » Bien que Dupont-Aignan s’en défende, Massenet persiste, épaulée par Aphatie qui grince : « Si si si si !… Non, elle a raison, elle a raison… ». Et reprend, comme s’il craignait déjà pour sa tête… : « "On va s’en débarrasser", c’est… ».

Enjoignant de nouveau les chroniqueurs « [d’]alle[r] voir les Français qui vivent, qui souffrent… ça vous changera… », Dupont-Aignan voit Michel Denisot, visiblement agacé, lui rétorquer : « Non, mais on ne vit pas dans la lune quand même ! ».

- Dupont-Aignan : Non, mais on ne vit pas dans le même monde.
- Denisot : Mais si Monsieur, ben euh… Vous ne savez pas où je vis !
- Dupont-Aignan : Ben, donnez votre salaire, combien vous gagnez ?

Denisot commence par déclarer fièrement « C’est moi qui me paye… » [Mais sur le dos de qui ?], et finit par invoquer la protection, de sa vie privée : « Ça ne vous regarde pas ! ». Et alors que Dupont-Aignan le somme plusieurs fois de « dire droit dans les yeux combien vous gagnez aux Français ! Parce que c’est une somme tellement extravagante […]  », Denisot riposte : « C’est moi qui vous paye avec mes impôts Monsieur… » Réplique immédiate de Dupont-Aignan : « Ah ! Et les Français, ils ne contribuent pas à votre richesse ? » Aphatie, pour qui « Ça n’a rien à voir », s’insurge : « Mais quelle agressivité ! »

Dupont-Aignan poursuit : « Eh ben, vous voyez… ça veut dire que tous ces gens qui s’en mettent plein les poches [pointant ses doigts vers les deux côtés de la table], et qui donnent des leçons à la terre entière… […] Et qui ne veulent pas voir… ». Mais Denisot s’obstine et hausse le ton : « Non, je ne dirai pas combien je gagne… […] Mais je ne m’en mets pas plein les poches ! […] Je n’ai pas de leçon à recevoir de vous… ». Pendant qu’Aphatie, qui, c’est bien connu, se garde bien de verser dans de tels registres, relève à nouveau : « "Plein les poches"… c’est des expressions comme ça… ».

Alors qu’Ariane Massenet lance des appels au calme et que Denisot bafouille, Aphatie s’emporte : « "Plein les poches"… Mais "Plein les poches", qu’est-ce que ça veut dire ? "Plein les poches" ! Mais traitez-nous de voleurs tant que vous y êtes ! » . Dupont-Aignan persiste et réplique : « Osez dire votre salaire Monsieur Aphatie ! ». Et ce dernier, d’un ton péremptoire, de répondre : «  Mais mon salaire Monsieur… Je le mérite mon salaire Monsieur ! » , avant de proclamer : «  Eh bien je ne le dirai pas ! ».

Outré par ces questions que tout journaliste d’investigation devrait poser à un éditorialiste multicarte, Aphatie hurle à la persécution : «  Vous n’êtes pas un inquisiteur ! » Et de lancer ce défi : « Vous n’avez qu’à faire une loi pour obliger les gens… pour obliger les gens à dire leur salaire !  »

Dupont-Aignan ne lâche pas prise : « Vous prenez de l’argent… beaucoup d’argent… et vous ne voulez pas dire votre salaire ! ». C’en est trop pour Aphatie : «  C’est du populisme intégral ! intégral !  »

Un peu plus tard encore, Dupont-Aignan prend soin de préciser : « […] Je ne parle pas des journalistes… […] Je parle de certains éditorialistes parisiens qui veulent dicter leur conduite à l’opinion française, et je dis que l’opinion française, y’a un moment, elle a envie de penser par elle-même... » Denisot, se souvient alors que «  c’est le vote qui permet d’exprimer les… [opinions] ». D’un côté, les opinions papotantes (et bavardes) et de l’autre les opinions votantes (et silencieuses) ? Seules les premières bénéficient d’une rémunération méritée, dont le montant est couvert par le « Secret Défense »…

Tout le reste se passe de commentaires…

Épilogue : la valeur de Martin Bouygues
… avec Philippe Poutou, face à François Bachy et Claire Chazal

Dimanche 15 avril, Philippe Poutou, invité sur la chaîne du marchand de béton dans l’émission « Parole directe », pour cette fois la bien nommée.

Philippe Poutou : Il y a de la motivation pour dire tout ça, pour dénoncer, d’un côté, les richesses qui se font, et, de l’autre côté, la pauvreté […] Par exemple, il y a quelqu’un que vous connaissez bien, c’est le patron de la chaîne, Martin Bouygues. 2,5 milliards de fortune. Et ça c’est inadmissible. […] Il faudrait, je crois, 200 000 ans de travail pour qu’un smicard puisse gagner autant, 200 000 ans de travail […]

François Bachy et Claire Chazal, en vrais « pros », sont restés impassibles. Leur patron va-t-il leur accorder une prime ? Plus sérieusement : bien évidemment, comme Maurice Lévy, Martin Bouygues doit sa fortune au travail des salariés de ses entreprises (et, dans son cas à l’héritage, de la fortune de son père). Mais il la doit aussi à la privatisation à bas coût d’une télévision publique !

Mais revenons à la valeur des médiacrates proprement dits…

* * *

La colère de Jean-Michel Aphatie et l’indignation de Michel Denisot ne pouvaient pas rester sans suites. Sur le site de L’Express, Renaud Revel – [« Quand Denisot et Aphatie butent à tort sur la question de leurs rémunérations » http://blogs.lexpress.fr/media/2012/04/16/quand-denisot-et-aphatie-butent-a-tord-sur-la-question-de-leurs-remunerations/] – se chargea d’expliquer que ses protégés n’auraient pas dû dissimuler leurs revenus qu’ils ne devraient qu’à leur seul talent : celui-là même dont ils firent preuve pour ne pas répondre à des questions dérangeantes ?

Quant à Jean-Michel Aphatie, il publia sur son blog un billet qu’il retira quelque temps après et dont Rue 89 publia un extrait. Nous disposons de sa version intégrale, mais – charitablement – nous ne la publierons pas, du moins dans l’immédiat : Jean-Michel Aphatie a droit au remords, dont il est d’ordinaire si avare !

Puisque, dans le secteur public, les revenus sont payés par la redevance les montants de ces revenus, particulièrement quand ils sont exorbitants, doivent être connus. Il en va de même dans le secteur privé de l’audiovisuel puisqu’il est financé par la publicité, c’est-à-dire par une taxe déguisée, payée par les consommateurs. Mais, surtout, qui peut croire que les produits du cerveau des médiacrates sont totalement indépendants de leur compte en banque ?

Parce que l’échelle des revenus dans tous les médias est l’indice de rapports de pouvoir et que, au bas de cette échelle, les soutiers sont précarisés et maltraités, cette échelle doit être rendue publique. Qui peut croire que les entreprises médiatiques ne sont pas des entreprises comme les autres, souvent pires que bien d’autres ?

Henri Maler et Nils Solari

Avec Ricar pour la vidéo et Naïma pour la transcription de la séquence de France 2


Annexe :
Jean-Michel Aphatie et Michel Denisot défendent leur valeur

La scène se passe lors du « Grand Journal » de Canal Plus, le 13 avril 2012. En voici la version intégrale. Pour rendre la transcription plus lisible (et non par excès de familiarité…), nous avons, après le premier « échange », supprimé les prénoms.

Nicolas Dupont-Aignan : « Tous ces éditorialistes de bazar qui gagnent un argent fou »

- Nicolas Dupont-Aignan : […] Je vais vous dire… Moi je sais pourquoi les Français ne lisent plus les journaux…
- Jean-Michel Aphatie : Ah !
- Ariane Massenet : Pourquoi ?
- Nicolas Dupont-Aignan : Ben oui !
- Jean-Michel Aphatie : Ben il faut vous mettre à la tête d’un journal alors... (rires)
- Nicolas Dupont-Aignan : Ben ils vont sur Internet, ils vont sur Internet, et heureusement qu’il y a Internet. Parce que…
- Ariane Massenet : Mais c’est pas la faute des journaux…
- Nicolas Dupont-Aignan : Parce que tous ces éditorialistes de bazar…
- Michel Denisot : On va en parler avec Vincent d’Internet dans quelques instants…
- Nicolas Dupont-Aignan : … tous ces éditorialistes de bazar, qui vivent ensemble, qui font toujours les mêmes articles, et qui sont totalement coupés des réalités…
- Michel Denisot : On va y venir, on va y venir aux éditorialistes…
- Nicolas Dupont-Aignan : Qui se… qui gagnent un argent fou, et qui croient connaître les Français, ils ne connaissent plus rien des Français, on va s’en débarrasser un jour… je vais vous dire.

Ariane Massenet : « Vous vous mélenchonisez ! »

- Massenet : D’accord…
- Denisot : Enchainez Ariane, on va y venir, attendez, on va y venir, on va y venir.
- Massenet : Vous vous mélenchonisez !
- Dupont-Aignan : Mais je ne me mélenchonise pas !
- Aphatie (en fond) : Ah c’est juste…
- Massenet : Si, un petit peu…
- Aphatie : Si si si si… Non, elle a raison, elle a raison…
- Dupont-Aignan : Mais Madame… venez un petit peu sur le terrain avec moi, voir les Français…
- Aphatie (en fond) : « On va s’en débarrasser », c’est…

Dupont-Aignan : « Combien vous gagnez ? » Denisot : « Ça ne vous regarde pas. »

- Dupont-Aignan : Venez voir les Français, allez voir les Français qui vivent, qui souffrent… ça vous changera…
- Denisot : Non, mais on ne vit pas dans la lune quand même.
- Dupont-Aignan : Non, mais on ne vit pas dans le même monde.
- Denisot : Mais si monsieur, ben euh… Vous savez pas où je vis !
- Dupont-Aignan : Ben donnez votre salaire, combien vous gagnez ?
- Denisot : Mais c’est moi qui me paye…
- Dupont-Aignan : Combien vous gagnez ?
- Aphatie (en fond) : Ça n’a rien à voir…
- Dupont-Aignan : Combien vous gagnez ?
- Denisot : Ça ne vous regarde pas.

Aphatie : « Mais quelle agressivité ! »

- Aphatie (en fond) : Ça n’a rien à voir...
- Dupont-Aignan : Hein, ça ne vous regarde pas ? Dites-le aux Français. Combien vous gagnez ?
- Denisot : Mais vous vous êtes payé par l’…
- Dupont-Aignan : Vous n’oserez pas le dire !
- Denisot : C’est moi qui vous paye avec mes impôts Monsieur…
- Aphatie (en fond) : Mais quelle agressivité !
- Dupont-Aignan : Ah ! Et les Français, ils ne contribuent pas à votre richesse ?
- Denisot : Je veux pas… je ne veux pas polémiquer avec vous sur …
- Dupont-Aignan : Vous ne pouvez pas dire droit dans les yeux combien vous gagnez aux Français ! Parce que c’est une somme tellement extravagante, que à force de jouer les bons samaritains ici…
- Denisot : Mais je ne joue pas les bons samaritains…

Dupont-Aignan : « Tous ces gens qui s’en mettent plein les poches »

- Dupont-Aignan : Non ?! Dites combien vous gagnez… aux Français !
- Denisot : Non, je ne dirai pas combien je gagne…
- Dupont-Aignan : Eh ben, vous voyez… ça veux dire que tous ces gens qui s’en mettent plein les poches (pointant ses doigts vers les deux côtés de la table)
- Denisot : Mais je ne m’en mets pas plein les poches !
- Dupont-Aignan : … Et qui donnent des leçons à la terre entière…
- Denisot : Mais je n‘ai pas de leçon à recevoir de vous…
- Aphatie (en fond) : « Plein les poches »… c’est des expressions comme ça…
- Dupont-Aignan : Et qui ne veulent pas voir…

Aphatie : « Plein les poches. Mais traitez-nous de voleurs tant que vous y êtes ! »

- Massenet : Bien !
- Denisot (bafouillant) : Mais… vous, vous…
- Dupont-Aignan : C’est facile !
- Aphatie : « Plein les poches » !
- Denisot : Vous ne connaissez pas ma vie…
- Dupont-Aignan : Oui, plein les poches !
- Aphatie : Mais, mais traitez-nous de vo…
- Dupont-Aignan : Oui, c’est facile !
- Aphatie : Mais traitez-nous de voleurs tant que vous y êtes !
- Dupont-Aignan : Donnez vos salaires ! Donnez vos salaires ! Donnez vos salaires, un jour !
- Aphatie : Mais traitez-nous de vo... traitez-nous de voleurs tant que vous y êtes ! !
- Massenet : Doucement !
- Dupont-Aignan : Je ne traite pas de voleurs…
- Massenet : Doucement, hein !
- Aphatie : Mais «  plein les poches  », qu’est-ce que ça veut dire ? … qu’est-ce que ça veut…
- Dupont-Aignan : … Osez donner vos salaires…
- Aphatie : Qu’est-ce que ça veut dire «  plein les poches  » ?

Aphatie : « Je le mérite mon salaire, Monsieur ! »

- Dupont-Aignan : Osez dire votre salaire Monsieur Aphatie !
- Aphatie : Mais mon salaire monsieur …
- Dupont-Aignan : Osez le dire !
- Aphatie : Je le mérite mon salaire Monsieur !
- Dupont-Aignan : Mais peut-être… alors dites-le…
- Aphatie : … Comme vous.
- Dupont-Aignan : Eh ben dites-le ! Dites-le si vous le méritez !
- Aphatie : Eh bien je ne le dirai pas !
- Dupont-Aignan : Ah ! Vous voyez, vous voyez !

Aphatie : « Vous n’avez qu’à faire une loi pour obliger les gens à dire leur salaire ! »

- Aphatie : Vous n’êtes pas un inquisiteur ! Vous vous comportez…
- Dupont-Aignan : Voyez ! Eh bien, vous n’êtes pas capable de donner votre salaire !
- Aphatie : Votre comportement n’est pas digne de la politique, Monsieur !
- Dupont-Aignan : Ah ! pas digne ?
- Aphatie : Non !
- Dupont-Aignan : Cette classe médiatique…
- Aphatie : Vous n’avez qu’à faire une loi pour obliger les gens… pour obliger les gens à dire leur salaire !

Aphatie : « C’est du populisme intégral ! intégral ! »

- Dupont-Aignan : Vous prenez de l’argent… beaucoup d’argent… et vous ne voulez pas dire votre salaire !
- Aphatie : C’est du populisme !!
- Dupont-Aignan : Ah ! du populisme ?
- Aphatie : C’est du populisme intégral ! intégral !

Aphatie : « Votre agressivité vous discrédite complètement ! »

- Dupont-Aignan : Si vous saviez comment vivent les Français, vous ne penseriez pas pareil !
- Aphatie : Boh, boh, boh…
- Dupont-Aignan : … Si vous sortiez un peu de votre petit milieu…
- Aphatie : Ridicule !
- Dupont-Aignan : … Vous ne penseriez pas pareil !
- Aphatie : Votre agressivité vous discrédite complètement !
- Dupont-Aignan : C’est pas de l’agressivité !
- Aphatie : Mais si !
- Dupont-Aignan : […] y’en a assez d’avoir des leçons…

Dupont-Aignan : « C’est que y’en a assez d’avoir des leçons… » Aphatie : « C’est vous qui donnez des leçons ! »

- Aphatie : Allez, allez…
- Dupont-Aignan : … De gens qui ne savent pas comment vivent les Français à la fin du mois !
- Aphatie : Des leçons ? Mais c’est vous qui donnez des leçons…
- Denisot : On va arrêter…
- Dupont-Aignan : Des leçons permanentes !
- Aphatie : C’est vous qui donnez des leçons…
- Denisot : Hop, voilà la cloche !
- Dupont-Aignan : Des leçons permanentes !
- Aphatie : C’est vous qui donnez des leçons… c’est vous qui donnez des leçons…
- Dupont-Aignan : Non, je dis que y’en a assez…
- Denisot : On arrête !
- Aphatie : C’est vous qui donnez des leçons…
- Dupont-Aignan : Y’en a assez…

Aphatie et Dupont-Aignan poursuivent, pendant que Denisot lance la séquence suivante au cours de laquelle on entendit ce qui suit :

Aphatie : « Ooh, putain ! »

- Dupont-Aignan : […] ce que je veux dire pour être sérieux, c’est que dans un pays… soyons sérieux… qui a tant de souffrances…
- Aphatie : Pourquoi, vous ne l’étiez pas avant ?
- Dupont-Aignan :… Où les Français… où les Français n’arrivent même plus à nourrir leurs enfants, où... euh... y’a tant de chômeurs… où y’a tant de licenciements, voir, une petite classe qui passe sa vie à donner des leçons…
- Aphatie (hors champ) : Ooh, putain !
- Dupont-Aignan : … qui se moque des hommes politiques qui essayent de comprendre ce que vivent nos concitoyens…
- Dupont-Aignan : […] J’ai pas la vérité, y’a des vérités, je demande juste que des vérités différentes puissent dans notre pays, ne pas être caricaturées, ne pas êtres salies, ne pas être méprisées… La démocratie, c’est l’égalité des candidats, c’est tout ce que je demande... et y’a un moment où… c’est pas moi qui le dis vous savez, il suffit de se promener dans notre pays, et de voir le ras-le-bol de nos concitoyens vis-à-vis…
- Massenet : Mais faut pas faire des généralités…
- Dupont-Aignan : … Pas des généralités ! Ce n’est pas les journalistes ! Je ne parle pas des journalistes…
- Massenet : Vous parlez de certains journalistes ?
- Dupont-Aignan : Je parle de certains éditorialistes parisiens qui veulent dicter leur conduite à l’opinion française, et je dis que l’opinion française, y’a un moment, elle a envie de penser par elle-même... ça ne leur interdit pas de dire ce qu’ils veulent…

Denisot : « C’est le vote qui permet d’exprimer les opinions. »

- Denisot : C’est le vote !
- Dupont-Aignan : … mais moi, j’ai le droit aussi de dire ce que je pense…
- Denisot  : C’est le vote...
- Dupont-Aignan : … et j’ai la franchise de le dire en face…
- Denisot : C’est le vote qui permet d’exprimer les…
- Dupont-Aignan : Oui… et j’ai quand même la franchise de le dire en face alors que beaucoup de mes petits camarades ou de mes collègues députés le disent en sous-main, mais quand ils viennent devant vous, ils sont à plat ventre, et pis quand ils s’en vont, ils bavent. Moi je suis franc, je le dis franchement pour Duhamel, j’ai dit les choses franchement, voilà point.

 
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Notes

[1Sur RTL, à 8h15 chaque matin, Yves Calvi reçoit un invité dans une émission au titre prometteur : « Le Choix de Yves Calvi ». Le mardi 13 mars 2012, il recevait Maurice Lévy, Président de l’Afep (Association Française des Entreprises Privées) et du directoire de Publicis, pour qu’il puisse tout à loisir pourfendre tous ceux qui voudraient encadrer ou limiter les salaires des grands patrons, à commencer par l’imposition prévue par François Hollande. Mais ce n’était pas suffisant…

[2Dans un « document » intitulé « Huit journalistes en colère » et diffusé sur Arte, le 9 février 211, et analysé ici-même par Mona Cholet.

[3L’intégralité de l’échange :
- David Pujadas : Il reste 1 minute 40. Si on pouvait brièvement aborder trois questions...
- Jean-Luc Mélenchon : Trois questions en 1 minute 40 ?
- David Pujadas : Oui, vous allez voir, parce que celle-ci est très simple. Vous préconisez dans votre réforme fiscale 100% d’imposition au-dessus de 30 000 euros/mois ; au-dessus de 360 000 euros/an. Je prends un exemple (j’aurais pu en choisir beaucoup d’autres) : Omar Sy. L’acteur ! Intouchable ! Il a gagné l’an dernier 200 000 euros par mois. [David Pujadas regarde d’un air attristé la caméra et une photo de l’acteur souriant est projetée en gros plan au même moment.] Avec votre régime fiscal, vous lui prenez sur 200 000 euros, 180 000 euros. 180 000 euros sur 200 000 !! Vous n’auriez pas d’états d’âme ?
- Jean-Luc Mélenchon : Non aucun ! Et moi, je suis prêt à donner davantage. D’abord, commençons par dire une chose. C’est une vision de la société. Je suis contre l’accumulation sans limite de la richesse. On a le droit de ne pas être d’accord avec moi. Mais qu’on ne vienne pas me dire que si on empêche les gens de gagner et gagner encore, ils ne feront plus rien. Ça c’est ceux qui pensent que le seul moteur de l’activité humaine, c’est la cupidité !
- David Pujadas (mine de faux sceptique ou de chien battu) : Omar Sy, il est dans ce cas-là, vous croyez ?
- Jean-Luc Mélenchon : Non je ne parle pas d’Omar Sy. Je ne le connais pas. Je ne sais pas si ce que vous dites est vrai. Je m’occupe en général de ce que j’entends. Quand, on me dit les talents s’en iront. Non ! La France a pendant des années et aujourd’hui encore… vous avez des gens dans les centres de recherche français, dans des milliers d’emplois qui se dévouent, qui sont d’une intelligence magnifique et qui ne gagnent pas de telles fortunes. Maintenant, je voudrais que vous m’entendiez bien. Peut-être que l’argent qu’il a gagné, il pourra le placer, le déposer dans des caisses que nous ouvrirons pour recueillir cet argent qu’est dans le pays.
- David Pujadas : Ha, il y aura de la défiscalisation ?
- Jean-Luc Mélenchon : Mais dans ce moment-là, peut-être nous ferons des faveurs aux uns ou aux autres. Mais, ce que je…
- David Pujadas : Ha, ça c’est une information !
- Jean-Luc Mélenchon : Mais monsieur Pujadas, ce n’est pas une information. Je vous réponds, parce que vous prenez un cas particulier.
- David Pujadas : Bien sûr, un exemple...
- Jean-Luc Mélenchon : Non, c’est pas une bonne idée. La vraie idée, le vrai débat avec moi les yeux dans les yeux, c’est : est-ce qu’il y a une limite à gagner beaucoup, beaucoup d’argent. Je ne sais pas si vous gagnez 30 000 euros par mois..

[4Ajouté après publication de cet article.

[5Suite et fin de l’échange :
- Fabien Namias : Oui, 10 secondes pour faire un peu de géopolitique
- Jean-Luc Mélenchon : Ha oui. Cuba, c’est le problème central de l’humanité là !
- David Pujadas : Ha, ça compte aussi.
- Jean-Luc Mélenchon : Ouais, ouais, allez-y ! C’est intéressant.
- David Pujadas : Oui, mais en 10 secondes.
- Jean-Luc Mélenchon : Non, non en 10 secondes, je refuse. Ne me posez pas de question là-dessus, hein je refuse. 10 secondes sur l’international, je refuse ! Vous me donnez une minute, là je réponds.
- Fabien Namias : Non, mais c’est simple. Vous avez déclaré, il y a un peu plus d’un an et demi à la radio, que Cuba n’était pas une dictature ! [Fabien Namias regarde en biais David Pujadas qui doit lui indiquer quelque chose] Comment est-ce que vous qualifierez le régime de Cuba ? Et si ce n’est pas une dictature, est-ce que c’est un modèle que l’on peut importer chez nous ?
- Jean-Luc Mélenchon : Bien-sûr que non ! Cuba est Cuba et nous ne sommes pas nous, comme Cuba, sous l’embargo des États-Unis d’Amérique. D’ailleurs dès que j’en aurais à m’en occuper, les États-Unis...

(Une cloche sonne)

- David Pujadas : C’est fini
- Jean-Luc Mélenchon (poursuivant sans se laisser décontenancer) :...seront bien moins arrogants. Et à notre égard et à l’égard de Cuba.
- David Pujadas : Merci, Jean-Luc Mélenchon. Vous avez tenu les temps. Merci d’avoir répondu à nos questions et nous arrivons au terme de ces séries : 10 candidats, ¼ heure !
- Jean-Luc Mélenchon : J’aurais eu le dernier mot.

[6Pour rendre la transcription plus lisible (et non par excès de familiarité…), nous avons, après le premier « échange », supprimé les prénoms.

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