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Assange : Frédéric Martel nous répond

par Acrimed,

Dans un article publié le 17 décembre 2021, nous relevions les fausses informations et calomnies que professait Frédéric Martel à l’encontre de Julian Assange et comment il s’employait, dans son émission « Soft Power » diffusée sur France Culture, à opposer Julian Assange à Edward Snowden. Le 7 janvier, Frédéric Martel nous a demandé de publier un droit de réponse (ce que nous faisons ici-même)... auquel nous avons décidé de répondre.

Droit de réponse de Frédéric Martel (7 janvier 2022) faisant suite à notre article : Frédéric Martel refuse l’asile politique à Julian Assange sur France Culture.

Lettre à Acrimed
(que vous pourriez publier à la suite de l’article un peu ridicule que vous avez publiez [sic], du moins si vous respectez la vérité !)
L’équipe de Soft Power / France Culture

L’article de Laurent Dauré me concernant contient un certain nombre d’amalgames et de calomnies, alors même qu’il m’accuse injustement de ces mêmes qualificatifs. Le journalisme est un métier et il contient des règles minimales que M. Dauré ne semble pas connaître.

La première est de consulter la personne avant de l’attaquer et de lui permettre de répondre, au lieu de verser dans un complotisme de saison. Votre collaborateur aurait ainsi appris que j’ai consacré plus d’une trentaine d’émissions de France Culture (et de chroniques de France Infos) à prendre la défense de Julian Assange. J’ai également été l’un des rares journalistes français à avoir interviewé Glenn Greenwald, chez lui, à Rio de Janeiro lui permettant de défendre Edward Snowden ainsi que Julian Assange (émission également diffusée sur France Culture, que visiblement vous n’avez pas écoutée).

La seconde est d’éviter de critiquer de fausses informations pour en diffuser soi-même. Ainsi me reprocher de « refuser l’asile politique » à M. Assange est un non-sens puisque je n’ai aucun pouvoir dans ce dossier. J’ai par ailleurs critiqué la décision de la Haute Cour de Londres et je suis résolument opposé à l’extradition d’Assange aux États-Unis, comme il aurait peut-être été utile de le rappeler si on cherchait la vérité des faits. Il conviendrait aussi de rappeler que les citations sorties de leur contexte passent sous silence le fait qu’elles sont issues d’un débat, notamment en présence du journaliste Emmanuel Paquette de l’Express, qui défendait un autre point de vue que le mien – ce qui confirme justement le pluralisme de notre chaîne et de mon émission. De même, il serait honnête intellectuellement de souligner que la plupart des grands médias se sont désolidarisés de Julian Assange (contrairement à ce qui est dit dans cet article) et rappeler aussi les accusations de viol dont M. Assange a fait l’objet et qui, prescrites ou non, restent des accusations sérieuses et répétées d’une femme qui a porté plainte devant la justice suédoise – ce qui est peut-être un détail aux yeux d’Acrimed, mais pas aux miens.

Enfin, de quoi parle-t-on ? Il ne s’agit pas ici de juger Assange (mon intervention était d’ailleurs antérieure à la décision de sa possible extradition, ce que l’honnêteté journalistique aurait pu permettre de rappeler) mais de savoir s’il fallait lui donner l’asile politique en France. Pourquoi faudrait-il le faire en France, puisqu’il est australien, est détenu à Londres et a eu des problèmes également avec la justice suédoise ? A cette question de lui donner l’asile politique en France, la très grande majorité des députés français et le gouvernement français n’ont pas choisi de donner suite. Ils ont leur raison, quoi qu’en pense Acrimed. Il est parfaitement vrai que je ne suis pas favorable à un tel asile politique en France, alors que je le suis pour Edward Snowden pour des raisons que j’ai expliquées dans de nombreuses émissions, articles et même dans un livre. C’est pour cela que j’ai été l’un des initiateurs de la pétition demandant au président François Hollande d’accueillir M. Snowden en France (laquelle a été suivie d’un refus catégorique de son Premier ministre Manuel Valls). On a le droit de ne pas être d’accord avec moi, mais il s’agit d’un débat, d’un point de vue. On a également le droit de ne pas être d’accord avec Acrimed.

Je termine ce courrier en m’étonnant, comme souvent, qu’Acrimed se trompe de combat et d’ennemi. Votre site est régulièrement accusé, à tort ou à raison, de colporter des fake news ou d’être complotiste ; ce type d’article tend à montrer en tout cas que vous ne connaissez pas les règles élémentaires du journalisme (vérification des sources, règle du contradictoire, fact-checking, travail sérieux sur un ensemble d’informations et non pas quelques amalgames etc.). A l’heure où Mme Le Pen et M. Zemmour menacent notre démocratie, à l’heure où la gauche est de plus en plus marginalisée, à l’heure où les « fake news » et le complotisme envahissent nos médias, je crois plus utile de faire du journalisme sérieux, de s’attacher aux faits, plutôt que de s’inventer des ennemis imaginaires.

Frédéric Martel

Soft Power / France Culture


***


Notre réponse :

Bonjour Monsieur,

Merci pour votre message.

Comme nous l’avons écrit, c’est votre droit de ne pas être favorable à l’asile politique de Julian Assange en France et de le faire savoir à l’antenne de France Culture, mais, d’une part, votre argumentaire contient plusieurs fausses informations, la principale étant que WikiLeaks, dans une totale irresponsabilité, n’aurait pas trié et filtré les documents rendus publics, et d’autre part, les auditeurs du service public seraient bien en peine de trouver une émission dans laquelle l’animateur plaiderait dans le sens contraire.

Vous dites avoir « pris la défense » de Julian Assange à de nombreuses reprises (ce n’était pas le cas dans cette émission du 21 avril 2019), il est alors surprenant que vous le présentiez comme quelqu’un qui « a voulu [...] saboter l’État dans une logique purement anarchiste sans autre objectif que de "foutre le bordel" entre guillemets ». Une telle présentation de l’action d’Assange et de WikiLeaks nous paraît à la fois peu respectueuse des « règles élémentaires du journalisme » que vous invoquez et déroutante dans la bouche de quelqu’un qui prétend défendre le journaliste australien.

Contrairement à ce que vous affirmez, votre intervention ne s’inscrivait pas dans le cadre d’un « débat pluraliste ». En effet, après votre lancement (21 secondes), le chroniqueur Emmanuel Paquette parle pendant 30 secondes, sans prendre un parti clair, puis vous vous accordez un éditorial d’1 minute et 46 secondes sans ensuite lui redonner la parole (c’est vous qui la reprenez – pendant 14 secondes – pour informer les auditeurs de la « bonne nouvelle » du mariage prochain de Julian Assange en prison). Il n’y avait là ni débat ni pluralisme.

Nous avons par ailleurs reproduit quasiment in extenso les propos que vous avez tenus sur Julian Assange dans votre émission du 14 novembre. Loin d’avoir été « sorties de leur contexte », ces citations restituent votre point de vue et vos arguments. Du moins tels que vous les avez exprimés ce jour-là.

Le fait que « la plupart des grands médias se sont désolidarisés de Julian Assange » (ce que nous rappelons régulièrement) renforcerait votre légitimité à faire de même ? Nous avons du mal à suivre votre raisonnement, qui semble pointer vers un argument d’autorité et une invitation au conformisme.

Si vous vous intéressez au travail de Glenn Greenwald et que vous avez lu ses articles récents au sujet de l’affaire Assange, il serait éclairant que vous le réfutiez, car il a une position radicalement différente de la vôtre.

Vous nous appelez ensuite à être « honnête[s] intellectuellement », regrettant que nous n’ayons pas rappelé « l’affaire suédoise ». Tout d’abord, il ne vous aura pas échappé que notre article (de critique des médias) visait votre chronique… qui ne faisait pas mention des accusations de viol visant Julian Assange. Ensuite, nous n’avons pas passé celles-ci sous silence, par exemple ici [1]. Votre réponse, qui procède par insinuations, n’illustre guère ce « journalisme sérieux » que vous prétendez incarner, a fortiori lorsque vous laissez entendre qu’Acrimed prendrait à la légère les violences sexistes et sexuelles – calomnie supplémentaire, comme nos lecteurs (et vous-même) pourront le constater à travers nos rubriques ici et .

Vous écrivez encore : « Pourquoi faudrait-il le faire [accorder l’asile politique à Assange] en France, puisqu’il est australien, est détenu à Londres et a eu des problèmes également avec la justice suédoise ? » Nous ne comprenons pas le sens de cette question. La nationalité australienne, le fait d’être détenu au Royaume-Uni et « [d’avoir] eu des problèmes avec la justice suédoise » ne constituent en rien des obstacles à l’obtention de l’asile politique en France.

Enfin, nous ne voyons pas ce qu’Éric Zemmour et Marine Le Pen viennent faire dans cette discussion. À moins de considérer que les dangers de l’extrême droite – dont Acrimed ne cesse de dénoncer la banalisation par les médias depuis des décennies – devraient suspendre la critique d’autres productions médiatiques.

Dans le cas présent, il était uniquement question de Julian Assange, de WikiLeaks, de l’idée d’accorder l’asile politique en France à un journaliste persécuté par Washington, et de votre façon d’en rendre compte. Sur cette question précise, vous n’avez semble-t-il rien à dire ou à objecter aux critiques que nous avons formulées. Vous préférez allumer des contre-feux, en accusant Acrimed de diffuser des fausses informations et de verser dans le complotisme. Le tout naturellement sans donner le moindre exemple, issu de l’article en question ou d’un autre texte publié sur notre site. Pour quelqu’un qui prétend donner des leçons de journalisme, de rigueur, de déontologie, c’est un peu léger.

Cordialement,


Acrimed

 
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Notes

[1Le 19 novembre 2019, neuf ans après le début de l’affaire, la justice suédoise clôt pour la troisième et dernière fois l’enquête préliminaire et abandonne définitivement les poursuites. Sur ce point comme sur d’autres, nous vous renvoyons vers le livre que le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture Nils Melzer a consacré à la persécution du fondateur de WikiLeaks. Il est d’ores et déjà disponible en allemand, en suédois et en anglais ; une traduction française paraîtra cette année aux Éditions Critiques – l’occasion d’inviter son auteur dans « Soft Power » ?...

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