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Actualité des médias : Bolloré met la main sur Europe 1, sabotages et pressions contre Morgan Large, grèves dans les rédactions…

par Benjamin Lagues, Jérémie Fabre,

Nous poursuivons notre série d’information mensuelle sur l’actualité des médias avec cette édition revenant sur les mois d’avril et mai 2021 [1].

Du côté des journalistes, des éditocrates et de leurs œuvres


- La voiture d’une journaliste enquêtant sur l’agro-industrie bretonne sabotée – Depuis son apparition dans un documentaire portant sur les ravages humains et environnementaux de l’agro-industrie bretonne (« Bretagne, une terre sacrifiée », France 5, nov. 2020), la journaliste Morgan Large subit des menaces et des intimidations régulières. Comme l’énumère Le Monde (10/06) : tentative d’effraction à Radio Kreiz Breizh, où elle anime une émission ; ouverture de l’enclos de ses chevaux ; intoxication de sa chienne ; appels anonymes en pleine nuit. Une limite a été franchie lorsque la journaliste a découvert qu’elle roulait depuis plusieurs jours avec sa famille dans sa voiture… sabotée : les boulons d’une roue avaient été dévissés. Une enquête de police a été ouverte et une manifestation de soutien organisée à Rostrenen, à l’initiative de Solidaires et du collectif Kelaouiñ. Un soutien que les rédactions ne témoignent pas toutes frontalement : un article d’Arrêt sur images (23/04) pointe notamment l’usage quasi systématique des guillemets pour évoquer le sabotage criminel de la voiture de Morgan Large...

- Assassinat de deux journalistes au Mali : l’Onu entravée par le secret-défense français – Huit ans après le meurtre des journalistes de Radio France International Ghislaine Dupont et Claude Verlon à Kidal au Mali, l’enquête patine toujours. Dans un courrier officiel adressé au gouvernement français, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, Agnès Callamard, dénonce une « absence de coopération de la part des autorités militaires françaises », qui constituerait un « frein à la manifestation de la vérité ». D’après Libération (4/04), « Agnès Callamard estime en effet que les "zones d’ombre troublantes" qui subsistent huit ans après le meurtre des reporters "sont largement le résultat direct de l’absence de coopération de la part des autorités militaires françaises". En cause, notamment, une utilisation abusive du secret-défense, selon la responsable de l’ONU. Certes, en décembre 2015, le ministère de la Défense a remis 100 documents "déclassifiés" au juge d’instruction, puis une centaine d’autres en février 2016 et enfin une troisième série de 21 documents à la suite d’une nouvelle demande du juge, en août 2016. Mais "les documents demeuraient largement caviardés, note Agnès Callamard. Des pages et des passages entiers manqueraient ou seraient noircis de façon illisible. De ce fait, nombre de ces documents seraient inutilisables". »

- Motion de défiance contre Xavier Niel à Nice Matin Dans un communiqué, l’intersyndicale du quotidien régional Nice Matin a annoncé début avril le vote d’une motion de défiance visant le nouveau propriétaire, le milliardaire des télécoms Xavier Niel : « Parce que vous êtes arrivé avec un projet séduisant, une image volontariste, une expérience des médias avec Le Monde, une solide assise financière, des écrits encourageants et qu’aujourd’hui vos actes sont à l’exact opposé de vos engagements, les salariés du groupe Nice-Matin ne vous accordent plus leur confiance. Vous nous aviez assuré d’un plan de départs volontaires et d’une nouvelle organisation. Aujourd’hui, vous avez opté pour des départs ciblés et certains contraints, vu le périmètre restrictif annoncé. Sans aucune perspective de fonctionnement des services après les départs. » En guise de conclusion, l’intersyndicale indique que cette motion de défiance a été votée à l’unanimité.

- Deux journalistes de LCI et Marianne candidats aux élections régionales – Présentateur sur LCI depuis 1994, Philippe Ballard a annoncé sur Twitter qu’il se présentait aux élections régionales en Île-de-France pour le Rassemblement national. Chez Marianne, c’est le rédacteur en chef Périco Légasse qui a annoncé sa présence sur la liste Modem du ministre des Relations avec le Parlement Marc Fesneau, dans la région Centre-Val-de-Loire. Si Philippe Balard semble s’être définitivement retiré de la profession, Périco Légasse n’est en congé de la rédaction de Marianne que pendant la durée de la campagne. Pour Natacha Polony, directrice de la rédaction du journal (et, accessoirement, épouse de Périco Légasse), « tout sera mis en œuvre, en bonne intelligence, pour qu’il n’y ait aucune confusion dans les pages de Marianne. » On respire.

- Mouvement de grève à 20 Minutes Pour protester contre la dégradation de leurs conditions de travail et notamment la suppression de six postes dont deux à la rédaction, cette dernière a lancé un mouvement de grève le jeudi 29 avril. Un mouvement très suivi puisque 90 % de la rédaction s’est mise en grève, ce qui a empêché la diffusion du journal. Comme le rapporte l’AFP (30/04), les salariés ont repris le travail deux jours plus tard, après « avoir obtenu "le remplacement en CDI d’un poste à l’avenir jusque-là incertain". "Néanmoins, ils n’ont pas été convaincus par le reste des réponses apportées par le président de 20 Minutes et de nombreuses inquiétudes subsistent sur le maintien des effectifs. La perspective d’une réorganisation de la rédaction au début de l’été, évoquée ce matin par la direction, préoccupe grandement les salariés grévistes" ». Les grévistes taclent également le « mépris » de la direction, « plus intéressée par la partie commerciale […] que par le travail des journalistes » ajoute Libération (29/04), qui pointe enfin combien la pandémie et « la crise du marché publicitaire » ont affecté l’économie des journaux gratuits et leur « modèle de diffusion ».

- Taha Bouhafs relaxé du chef d’injure et rébellion – Le journaliste Taha Bouhafs est relaxé. Rappel des faits, par 20 Minutes : « En juin 2019, Taha Bouhafs a été interpellé alors qu’il couvrait une manifestation de personnes sans papier devant l’entreprise Chronopost à Alfortville (Val-de-Marne). L’un des policiers qui encadrait la manifestation a assuré que le journaliste l’avait qualifié de "racaille de flic" et s’était rendu coupable de "rébellion". » [2] Le journaliste a été relaxé, notamment parce que « les faits visibles sur les images ne correspondent pas à ce que le policier avait inscrit dans son procès-verbal. »

- L’Obs condamné en appel pour le licenciement d’Aude Lancelin – Le 25 mai 2016, Aude Lancelin était licenciée de l’hebdomadaire L’Obs. Elle était alors directrice adjointe de la rédaction. Un licenciement qu’elle a toujours contesté en raison des motifs politiques avérés qui ont conduit à cette éviction. En clair, Aude Lancelin affirmait avec trop de force ses choix éditoriaux de gauche à un an de la présidentielle de 2017. Après une victoire aux prud’hommes en décembre 2017, la Cour d’appel de Paris a de nouveau condamné L’Obs en mai 2021 pour licenciement abusif sans cause réelle et sérieuse.

- Le personnel d’Arte en grève pour dénoncer la précarité des pigistes et intermittents – En 2020, Arte a mis en place une « limitation des contrats de travail à 60 jours par an pour les journalistes pigistes et les intermittents » selon un communiqué de la société des journalistes d’Arte et les syndicats DJV, Ver.di, SNJ et Unsa relayé par L’Obs (26/05). Pour annuler cette disposition, la SDJ et ces syndicats ont lancé le 26 mai un mouvement de grève. Ils dénoncent « la situation de détresse financière et psychologique » dans laquelle seraient plongés les pigistes et intermittents à cause de cette limitation qui, en outre, crée « une sous-caste de personnels déclassés, des salariés exploitables à bon compte puis jetables ».


Du côté des entreprises médiatiques et de leurs propriétaires


- Nouveau magazine scientifique créé par les anciens de Science & Vie En mars dernier, la « quasi-totalité de la rédaction du magazine scientifique avait démissionné fin mars, en désaccord avec la politique éditoriale de leur nouveau propriétaire, Reworld Media » rappelle Le Monde (10/05). Un choix légitime : comme nous l’avions écrit en 2018, Reworld media est un groupe de presse contre le journalisme. Suite à cette démission collective, les ex-journalistes de Science & Vie lancent Epsiloon, un nouveau magazine scientifique. Parution du premier numéro en juin.

- Valeurs actuelles perd le tiers de ses recettes publicitaires – L’hebdomadaire d’extrême droite ne vend presque plus de publicités en ligne. En cause, selon Capital : « Taboola, qui commercialise la grande majorité des espaces publicitaires du site de l’hebdomadaire, a résilié son contrat. Motif invoqué : la publication fin août 2020 par l’hebdomadaire d’un roman fiction représentant en esclave la députée LFI Danièle Obono. » Financièrement, cela représente une perte, d’après Valeurs actuelles, d’un tiers de ses recettes publicitaires. Après une bataille juridique, le journal d’extrême droite a perdu, le 7 avril 2021, contre son ex-régie publicitaire.

- Le Monde fait un pas vers son indépendance – À l’inverse de son action à Nice Matin (voir plus haut), Xavier Niel a tenu sa promesse de création d’un fonds de dotation censé garantir l’indépendance du Monde. D’après CBNews (14/04), « cette structure va détenir en son sein les parts majoritaires détenues par la holding de Xavier Niel dans des médias français ainsi que ses actions de la société Le Monde Libre, qui contrôle le groupe Le Monde et L’Obs. De cette manière, ces participations seront statutairement incessibles et toute modification de ce statut ne pourra intervenir sans un vote favorable du représentant du pôle d’indépendance (qui regroupe les sociétés des journalistes, personnels et lecteurs) ». Détail amusant : pour le représenter au conseil d’administration de cette structure, Xavier Niel aurait nommé son fils, Jules Niel. Si la constitution de ce fonds est sans doute une bonne nouvelle pour l’indépendance du Monde, le quotidien du soir n’est pas pour autant totalement tiré d’affaire, comme le lui a rappelé le groupe Total quelques jours plus tard. En effet, après la publication d’une enquête sur les pratiques du pétrolier en Birmanie, Total a annulé une campagne publicitaire promise au Monde. Total n’est (heureusement pour Le Monde) pas un gros annonceur. D’après France Info (6/05), « ce n’est pas la première fois que le quotidien est privé de publicité par une entreprise mise en cause dans l’un de ses articles. En 2015, le géant bancaire HSBC avait retiré ses pubs des médias, dont Le Monde et le quotidien britannique The Guardian, qui avaient publié les "Swissleaks", des révélations au sujet d’une affaire d’évasion fiscale à grande échelle. »

- Vincent Bolloré met la main sur Europe 1 et le groupe Prisma Media – Après plusieurs mois de tensions et de négociations au sein du groupe Lagardère [3], son propriétaire historique, Arnaud Lagardère, a finalement capitulé et renoncé au statut de commandite de son groupe. Ce statut très particulier lui permettait d’y garder le pouvoir, alors qu’il ne détenait qu’un nombre très réduit de parts (de l’ordre de 8 %). Avec 30 % des actions, le milliardaire Vincent Bolloré lui succède, et confirme son objectif : mettre la main sur la radio Europe 1. Depuis, tout s’accélère : d’après Les Jours (11/05), un rapprochement a déjà été décidé entre les rédaction d’Europe 1 et de CNews, chaine également possédée par Vincent Bolloré via son groupe Vivendi. Conséquence prévisible : un dit « plan social » est déjà en préparation à Europe 1... Concentration des médias toujours, mais dans la presse papier cette fois : dans un communiqué de presse, Vivendi (maison mère du groupe Canal+) a annoncé avoir racheté 100 % du groupe de presse Prisma Media au groupe allemand Bertelsmann. Prisma Media est un mastodonte dans la presse magazine française, détenant de nombreux titres tels que Capital, Femme actuelle, Gala, Géo, Harvard Business Review, Management, National Geographic, Télé Loisir ou encore Voici. L’empire va bon train…

- Finalement, France 4 poursuit son activité – Finalement, France 4 vivra. Comme le rappelle Le Monde (19/05), « depuis l’annonce de la fin de sa diffusion hertzienne, prononcée en juin 2018 par Françoise Nyssen, alors ministre de la Culture, France 4 avait beau susciter les messages de soutien et les protestations de l’industrie française de l’animation, rien ne semblait pouvoir empêcher de la voir sacrifiée sur l’autel des économies réclamées au service public. » Mais « à la surprise générale, la chaîne ludo-éducative du service public vient d’être sauvée de la disparition par le président de la République lui-même. »

- Le groupe TF1 va racheter le groupe M6 – « TF1, M6, Bouygues et RTL Group annoncent aujourd’hui qu’elles ont conclu des protocoles d’accord d’entrée en négociations exclusives pour fusionner les activités de TF1 et M6 et créer un groupe de médias français d’envergure ». Dans le milieu des médias français, ce communiqué publié le 17 mai a fait l’effet d’une bombe. L’accord prévoit que Bouygues (TF1) entre au capital du nouvel ensemble à hauteur de 30 % des actions, tandis que RTL Group (M6) en garderait 16 %. D’après Mediapart (18/05), « cette fusion projetée entraînerait une méga-concentration posant [...] des problèmes graves d’atteinte au pluralisme et de concurrence. Le rapprochement de la première et de la troisième chaîne du paysage audiovisuel français amènerait le nouvel ensemble à détenir plus de 42,7 % de parts d’audience, très loin devant France Télévisions (28 %). À eux deux, les groupes TF1 et M6 contrôlent en effet dix chaînes hertziennes, dont TF1, TMC, TFX, TF1 Séries Films, LCI ou encore Histoire TV pour Bouygues, et M6, W9, Paris Première, Téva ou encore les anciennes chaînes du groupe Lagardère, Gulli, Canal J ou encore MCM pour RTL Group. » Conséquences : le groupe cumulerait près de 70 % du marché de la publicité TV, et une part déterminante de la production audiovisuelle française. Le but affiché par TF1 et M6 : constituer un groupe suffisamment puissant pour résister aux poids lourds américains tels que Netflix ou Disney. Reste à déterminer si l’autorité de la concurrence sera sensible aux arguments de TF1 et M6…

- Loi « sécurité globale » : le Conseil constitutionnel censure l’article 24 – C’est une victoire partielle dont nous avions rendu compte le 28 mai : l’article 52 (initialement article 24 de la proposition de loi « Sécurité globale ») qui instaurait un délit de « provocation à l’identification » d’un agent de police/gendarme « dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique » a été censuré par le Conseil constitutionnel qui le juge tout simplement… « contraire à la Constitution ».


Du côté des publications sur les médias


Note : cette rubrique ne constitue pas une sélection, mais recense les ouvrages parus dans le mois sur la question des médias, qu’il s’agisse de bonnes ou de moins bonnes lectures.

- Bailly (Vincent) et Thil (Tristan), Lorraine Cœur d’Acier. Histoire d’une radio pirate, libre et populaire (1979-1981), Futuropolis, avril 2021, 88 p., 17 euros.

- Bernier (Jean-François), Les journalismes. Information, persuasion, promotion, divertissement, Hermann, mai 2021, 148 p., 24 euros.

- Collectif, Télévision n°12. Pour une éthique du regard, CNRS, avril 2021, 270 p., 25 euros.

- Coutard (Éric), La question piège n’existe pas. Les secrets d’une interview réussie, CFPJ, avril 2021, 234 p., 28,50 euros.

- Davant (Sophie), Tout ce qui nous lie !, Albin Michel, mai 2021, 270 p., 17,90 euros.

- Euvrard (Catherine), Faites n’importe quoi, mais faites-le bien ! Chroniques déjantées dans la presse underground des années 1980, Kiwi, mai 2021, 14 euros.

- Fries (Fabrice), L’emprise du faux. Désinformation : le temps du combat, Éditions de l’Observatoire, avril 2021, 18 euros.

- Germain (Isabelle), Journalisme de combat pour l’égalité des sexes : la plume dans la plaie du sexisme, LNN édition, mars 2021, 192 p., 14 euros.

- Gorce (Xavier), Raison et dérision, Gallimard, mai 2021, 48 p., 3,90 euros.

- Kahn (Jean-François), Mémoires d’outre-vies. Tome 1, L’Observatoire, mai 2021, 24 euros.

- Laroche-Joubert (Martine), Une femme au front. Mémoires d’une reporter de guerre, J’ai lu, mai 2021, 224 p., 7,20 euros.

- Lévrier (Alexis), Jupiter et Mercure. Le pouvoir présidentiel face à la presse, Les petits matins, mai 2021, 20 euros.

- Pernoud (Georges), Bon vent !, Tohu-Bohu, mai 2021, 160 p., 19 euros.

- Sedel (Julie), Dirigeant de médias. Sociologie d’un groupe patronal, PUR, mai 2021, 274 p., 29 euros.

- Trierweiler (Valérie), On se donne des nouvelles, LGF, mai 2021, 336 p., 7,90 euros.

- Vidal (Nicolas), Médias, le grand errement, Hugo Doc, avril 2021, 139 p., 9,95 euros.

- « Masculinités médiatiques », revue Le Temps des Médias, n°36, mai 2021, 322 p.


Jérémie Fabre et Benjamin Lagues, grâce au travail d’observation collective des adhérentes et adhérents d’Acrimed

 
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