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2001 : Le Monde scrute l’« antimondialisation »

par Henri Maler,

"Le Monde" rend compte, avec des degrés divers de fortune et d’infortune, des mouvements qui luttent pour une autre mondialisation. Voici deux échantillons de ce travail d’investigation et de mise en question, prélevés dans notre série « "Le Monde" en brèves » [1] : « "Le Monde" enquête sur les " antimondialisation " » ; « "Le Monde" interroge et s’interroge sur les " antimondialistes " ».

"Le Monde" enquête sur les " antimondialisation"

Une grande enquête de Nicolas Weill …

Dans un article du Monde paru le 4 octobre 2001 sous le titre " Les antimondialisation cherchent un nouveau souffle après le 11 septembre ", Nicolas Weill nous propose une grande enquête, fondée sur la lecture du Wall Street Journal et sur les réactions (sans doute obtenues par téléphone) de quatre interlocuteurs : avec cette variante du " journalisme d’investigation ", nous sommes sûrs d’atteindre la réalité profonde du mouvement que journaliste prétend analyser.

En vérité, cette enquête approfondie n’a d’autre fonction que de permettre au grand journaliste de terrain de distiller son petit commentaire désapprobateur, illustré par quelques citations qui sont censées justifier ce dernier.

Première découverte : " Les diverses composantes du mouvement antimondialisation procèdent à des analyses différentes sur les conséquences des attentats du 11 septembre. ".

On s’en doute. Mais pour établir cette imposante vérité, Nicolas Weil oppose une déclaration de Christophe Aguiton qui affirme que le " mouvement n’est pas sur la défensive " et une déclaration de Daniel Bensaïd qui " explique, au contraire, que la dynamique a bel et bien été "freinée". ". Mais, comme une dynamique peut avoir été freiné sans que cela implique un passage à la défensive, on chercherait en vain la contradiction si Nicolas Weil ne l’avait pas inventée.

Deuxième découverte : " Signe des temps : il devient de bon ton de souligner la distinction entre anti-impérialisme et anti-américanisme. ".

La raillerie hautaine du pseudo-enquêteur - " il devient de bon ton " - lui dissimule l’ampleur de ses préjugés : comment ignorer qu’il est de bon ton, depuis fort longtemps et au moins depuis la Guerre du Golfe, de confondre allègrement l’antimpérialisme et l’antiaméricanisme pour ne rien avoir à dire du premier. Comme il est de bon ton de désigner comme " pacifiste " - comme le fait N.W plus loin, toute forme d’opposition à certaines guerres conduites par les USA, comme la Guerre du Golfe. Ainsi, ce n’est qu’après avoir subtilement décrypté le " signe du temps " que N.W. , à l’appui de sa désapprobation du " bon ton ", cite l’un de ses interlocuteurs - Daniel Bensaïd - qui non content de parler, à propos des " islamistes " d’"anti-impérialisme des imbéciles", souligne que "la sympathie compassionnelle avec les victimes, malgré sa dimension morale, ne doit pas faire oublier que ce terrorisme des pauvres répond à une longue tradition de terrorisme d’Etat ". Ce qui nous vaut une …

Troisième et quatrième découverte : " Cette "ligne", proche de celle qui s’exprime sur les sites du linguiste Noam Chomsky et qui tend à renvoyer, en cette occurrence encore, sur l’"empire américain" la responsabilité ultime du désordre du monde (assortie d’une condamnation politique des attentats), n’est pas la plus partagée. "

 Une " ligne " proche de celle de Noam Chomsky : petit signe de connivence entre journalistes bien-pensants, l’évocation du seul nom de Noam Chomsky doit susciter, en France, un réflexe de dégoût ;

 Une " ligne " qui n’est pas la plus partagée : petite remarque sans importance, si notre grand reporter ne l’étayait sur un témoignage paru … dans le Wall Street Journal. Ce témoin permet opportunément à N.W de dissimuler son avis derrière les propos qu’il rapporte.

Présentation : " Assez significative pour avoir été reprise par le Wall Street Journal, la réaction d’Alexis Mital, créateur d’un journal alternatif aujourd’hui disparu… ". Si le Wall Stret Journal, la rapporte, alors… Il est vrai que le même Wall Street Journal, le 27 mars dernier jugeait " assez significative ", la "pensée" de Guy Sorman qui apprenait aux lecteurs américains que le France était " la dernière république soviétique ", en précisant ainsi cette réaction " significative " : " Au bout du compte, les soviets l’ont emporté. En 1917, les conseils populaires ne servaient que de couverture au putsch bolchévik. Près d’un siècle plus tard, l’utopie soviétique est réalisée. Pas en Russie, mais en France".

Voici maintenant la réaction d’Alexis Mistral telle que la rapporte N.W. :
" Ce jeune sympathisant (il a vingt-six ans) du mouvement antimondialisation juge, en effet, "obscène" "l’instrumentalisation des attentats du World Trade Center, qui consiste à en faire une conséquence indirecte de l’impérialisme américain, ou Attac, qui prétend justifier ainsi la lutte contre les paradis fiscaux. Même si c’est vrai". ".

N.W s’étant ainsi fait prêter main forte, n’en a pas fini pour autant : la fin de l’article permet de compléter le " patchwork " de citations qui, au gré du journaliste, se contredisent ou se font écho, pour illustrer - même par la négative - la " ligne " éditoriale du Monde : sociale-libérale.

Pourquoi s’appesantir sur un tel article ? Parce qu’il est exemplaire d’un journalisme de façade, qui au nom d’une pseudo-investigation, permet de défendre une orientation politique préconçue - qui peut et doit être discutée comme telle. Parce qu’il soulève un problème auquel il serait grand temps de réfléchir : le rôle de quelques " contestataires ", interlocuteurs des médias, sélectionnés sur carnet d’adresses, est-il de servir involontairement la soupe à leurs adversaires politiques ? Sinon, comment faire ?

H.M.

Première publication : 8 octobre 2001

"Le Monde" interroge et s’interroge sur les " antimondialistes "

Supposez que, comme Arnaud Leparmentier, vous deviez interroger, à l’occasion du sommet de l’OMC à Doha, Pascal Lamy, commissaire européen au commerce. Vous lui poseriez peut-être une question sur la contestation de l’OMC.

Par exemple :

 " Que pensez-vous des critiques adressées à l’OMC par les antimondialisation ? " ( Vous choisiriez ce terme très " tendance " pour vous conformer à l’usage de votre employeur).

Ou même :
 " Pensez-vous que les critiques adressées à l’OMC par les antimondialisation soient justifiées ? ".

Dans ce cas, vous ne seriez pas journaliste au Monde. Pour mériter ce titre, il faut formuler la question de telle façon qu’elle contienne déjà la réponse et de votre employeur et de votre interlocuteur.

Cela donnerait et donne en effet (Le Monde du samedi 10 novembre, p. 3) : " En manifestant contre l’OMC, organe de régulation, les antimondialistes ne frappent-ils pas à la mauvaise porte ? ".

Etonnant, non ?

Première publication : 10 novembre 2001

 
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Notes

[1Ces deux articles sont repris sans modification et leur date de première publication indiquée à la fin de chacun d’eux.

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