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Violences policières : le Parisien Dimanche entre déni et calinothérapie

par Pauline Perrenot,

La Une, l’édito, deux pages d’interview, une de « reportage »... Le Parisien Dimanche a sorti l’artillerie lourde pour soutenir son ministre en difficulté, Christophe Castaner.

« Sale temps pour la Nation » peste Nicolas Charbonneau. Dans son édito du Parisien Dimanche, le chien de garde rumine : « 11 janvier 2015, […] les policiers étaient applaudis en signe de remerciement. Cinq années plus tard, ils sont hués, caillassés, visés et blessés lors des manifestations répétées et chaque fois plus violentes ». Le retournement est tel que les éborgnés, les blessés et les morts entre les mains de la police n’existent pas. Violences policières ? Les mots ne sont pas prononcés. Concédant seulement, à l’instar de nombreux confrères, « quelques brebis galeuses » dans les rangs de la police, le directeur délégué des rédactions ne s’étend pas. La faute à « l’époque », qui « s’est radicalisée ». Avant d’enfoncer le clou du déni : « Les policiers n’ont pas changé. [...] Ils sont, comme en 2015, au service de leurs compatriotes. » Et de clamer haut et fort : « Il n’est jamais de démocratie sans ordre républicain ».

Si le ministère de l’Intérieur éditait une feuille de chou, elle aurait l’apparence du Parisien Dimanche en ce 21 juin. Il faut dire que la propagande commence dès la Une :



… et ne fait que se poursuivre dans la double page qui suit (pp.2-3) :



Castaner « assume de bousculer les choses » ? Le Parisien Dimanche assume, lui aussi, de malmener le journalisme. D’organiser la médiation entre politiciens tracassés, et de servir de porte-voix à un ministre dans l’embarras dès que celui-ci lève le petit doigt : « Si on le dit fragilisé, il souhaite rester ministre de l’Intérieur ». De concevoir le journalisme politique comme la simple transcription des bruits de couloir qui font trembler l’Intérieur. De ne poser aucune question réellement embarrassante sur les violences policières. D’entretenir la déconnexion des gouvernants en exposant leurs états d’âme comme autant d’« exclusivités » qui aideront les commentateurs à brasser plus d’air que de coutume sur les plateaux télé. De ne percevoir les mouvements sociaux actuels, contre le racisme et les violences policiers, que comme de vulgaires toiles de fond au sujet de premier plan : Castaner partira ? partira pas ?

Car si les manifestations ont bien été traitées le dimanche précédent, nulle figure militante antiraciste n’a bénéficié d’une double page d’interview. En page 4 de cette édition du 21 juin, Le Parisien Dimanche préfère faire pleurer dans les chaumières :



Des témoignages de policiers à perte de vue, et aucune voix contradictoire. Comme l’indique le titre, l’angle est celui du « coup de blues » des « Bleus » et l’entreprise journalistique, celle d’une réhabilitation de l’institution policière. Tâche à laquelle s’adonnent, à la suite des témoignages, deux journalistes en direct du Mans, rapportant un épisode au cours duquel « les CRS attaqués ont préféré ne pas répliquer ». Ainsi débute le reportage : « Faire profil bas, s’exposer le moins possible pour ne pas prêter le flanc à de nouvelles critiques, quitte à se retrouver en position critique ». L’épopée verra un policier blessé, faute d’être intervenu dans un conflit, n’ayant « pas souhaité frapper une femme, noire qui plus est, […] parce qu’[il] ne voulai[t] surtout pas que l’on parle de violences policières ». La montée en généralité sera assurée par le syndicat Alliance : « "Certains collègues préfèrent désormais s’abstenir de répondre à la violence, de peur de se retrouver dans la galère" ». Point final. Que les images d’une telle retenue inondent les réseaux sociaux presque chaque jour n’incitera pas les journalistes à pratiquer le contradictoire.

C’est tout ce que semble pouvoir faire Le Parisien Dimanche face à un phénomène social d’ampleur : le traiter « par les sentiments ». Aucune analyse structurelle des rapports de force. Aucune trace, a fortiori, de collectifs organisés luttant contre les violences policières : ils n’existent pas en tant que force sociale, et n’auront pas voix au chapitre dans ce numéro. Le Parisien Dimanche se contente d’un zoom sur le corps policier, sélectionnant des anecdotes individuelles, agrégées de façon à construire un « récit positif » et de belles histoires sur la police. Le dernier article boucle d’ailleurs la boucle en mettant scène une discussion entre « Adil, policier et musulman » qui « prône le dialogue », et trois jeunes d’un quartier du nord de l’Essonne.

Hauts les cœurs !


Pauline Perrenot


Post-scriptum : l’art du journalisme inversé (mais dans le même sens) !


Sur le sujet, les outrances éditoriales du Parisien n’ont pas de limite. Deux jours après la première manifestation organisée par le collectif Vérité et justice pour Adama devant le TGI de Paris, la rédaction affiche-t-elle à la Une un militant du collectif ? Non plus. Il s’agit de Frédéric Veaux, le directeur général de la police nationale, dont l’interview occupe elle aussi une double page. Cerise sur le gâteau : les questions sont posées par « six lecteurs » [1]. Une parade journalistique bien commode, entretenant un simulacre de dialogue pour laisser, en définitive, la parole centrale aux mains des mêmes. Du reste, les citations de Frédéric Veaux sélectionnées en guise de titres par la rédaction tranchent le « débat » : « "Nous sommes un exutoire facile" » ; « Violences policières : "Il n’y a aucune impunité" » ; « Le métier de policier : "Difficile, exigeant, intense" » ; « L’image de la police : "La police aujourd’hui est black-blanc-beur" ».


 
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Notes

[1Dont Almamy Kanouté, militant du collectif Vérité et justice pour Adama.

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