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Violences policières : des marches sous surveillance (et discrédit) médiatique

par Maxime Friot, Pauline Perrenot,

Samedi 23 septembre, 157 organisations appellent à des marches « contre les violences policières, contre le racisme systémique et pour les libertés publiques ». Une initiative qui n’entre pas dans le périmètre des actions « acceptables » aux yeux des gardiens de l’ordre : dans les matinales notamment, les intervieweurs se penchent sur l’opportunité d’interdire la manifestation – faisant d’une revendication du syndicat de police Alliance leur propre problématique éditoriale –, ou polémiquent sur un slogan. Ce qu’on appelle un pouvoir de cadrage… et de stigmatisation.

Sur France Info (21/09), Salhia Brakhlia se charge de la « polémique ». Et face à Manuel Bompard (LFI), elle tient sa tête de turc. D’abord, le sermon et les règles de bonne conduite : « Un élu de la République ne devrait pas participer à une manifestation où l’on entend "Tout le monde déteste la police" », glisse-t-elle, sans que l’on comprenne s’il s’agit d’une question, d’un propos rapporté ou d’une affirmation. Puis la journaliste de ronger son os :

- Salhia Brakhlia : Mais votre responsabilité dans tout ça, Manuel Bompard. Si on crie autour de vous « tout le monde déteste la police », vous quittez le cortège ou pas ?

- Manuel Bompard : Non.

- Salhia Brakhlia : Non ?!

- Jérôme Chapuis : Mais vous détestez la police ?!

La veille, dans la matinale d’Europe 1 et CNews (20/09), c’est Sonia Mabrouk, une autre garante du débat pluraliste et de la liberté d’expression, qui donne le la. Recevant avec une certaine complicité Laurent Nuñez, elle l’interroge : « Quand un syndicat comme la CGT ou La France insoumise avancent avec la banderole "violences policières", qu’est-ce que vous dites, vous, préfet de police de Paris ? » Et plutôt que revenir sur les causes de cette manifestation, elle suggère que les manifestants « sont en totale distorsion par rapport à l’opinion publique qui continue de soutenir les policiers ». Enfin, elle lance ce qui sera le leitmotiv des jours à venir sur CNews :

Sonia Mabrouk : [Ils sont] une minorité, mais ils seront quand même dans la rue [...] ! La question peut se poser parce que vous avez déjà interdit des manifestations contre, entre guillemets, les violences policières après les émeutes de juin, suite à la mort de Nahel. Est-ce que vous y avez pensé pour cette manifestation de samedi ?

La « question peut se poser », et elle va même se re-poser le lendemain, face à Robert Ménard : « Une manifestation se prépare ce samedi contre, je cite et je mets des guillemets, "les violences policières", à l’appel notamment… en tous les cas, avec la participation de La France insoumise, d’un syndicat : le Syndicat de la magistrature. Ce qui offusque certains policiers et un syndicat de policiers qui dit "Il faut interdire cette manifestation". Qu’en pensez-vous ? » (21/09) Toute la matinée, les plateaux de la télé Bolloré tournent ainsi autour de cette question : « Faut-il interdire la marche anti-police ? » Et tandis que le Syndicat de la magistrature est jeté en pâture, « la colère des syndicats de police » fait l’agenda, abondamment recueillie (et ventilée) par la chaîne.

Avec les mêmes œillères, Apolline de Malherbe (se) pose les mêmes questions sur BFM-TV et RMC (21/09), face à Gérald Darmanin :

Apolline de Malherbe : Cette manifestation samedi, il y a un syndicat de policiers, le syndicat Alliance, qui vous demande à ce que vous l’interdisiez à la fois pour des raisons effectivement de maintien de l’ordre, parce qu’ils disent « on est mobilisés ailleurs », mais aussi parce que sur le fond ils considèrent que cette manifestation ne devrait pas avoir lieu. Est-ce que vous allez interdire cette manifestation de samedi ?

Tradition oblige : sur le site de la chaîne (et ses réseaux sociaux), est diffusée une « note du renseignement territorial » prophétisant naturellement des « risques de troubles à l’ordre public ».

Autre méthode médiatique éprouvée ? Faire commenter la marche... par des responsables politiques qui n’y participeront pas. Dans la matinale de LCI (21/09), Adrien Gindre sollicite pour ce faire Fabien Roussel (PCF), et pousse le bouchon en réclamant des gages supplémentaires :

Adrien Gindre : J’ai bien entendu que vous disiez : « Moi je n’aime pas le slogan "Tout le monde déteste la police" ». Est-ce que cette semaine, pour le coup, vous dites : « Tout le monde doit soutenir les forces de l’ordre, le ministre de l’Intérieur » ? Parce que c’est une semaine compliquée : le roi Charles, le pape, le rugby, le foot... Est-ce que vous êtes en soutien des forces de l’ordre et du ministre aujourd’hui ?

Du reste, le journaliste avait pris soin de fermer le ban dès l’introduction, récusant l’usage du terme « violences policières » au nom du fait que ce dernier « est contesté par la police et par le gouvernement. [...] Il y a des violences de certains policiers, ce n’est pas la même chose [...] que les violences de l’institution police. »


***


Discréditées par anticipation – à l’instar de précédentes manifestations, celle contre l’islamophobie par exemple (novembre 2019) –, les marches du 23 septembre donnent l’occasion aux grands intervieweurs de trier le bon grain de l’ivraie. Et au milieu des rappels à l’ordre, le journalisme de préfecture est au beau fixe. Une énième illustration du pouvoir de cadrage des médias, produit à la fois de routines (un journalisme politique focalisé sur les petites phrases et sur les polémiques, plutôt que sur le fond des questions) et d’idéologies professionnelles (le journalisme comme partie prenante du maintien de l’ordre social). Résultat : avec une telle hiérarchisation de l’information, les médias contribuent (une nouvelle fois) à stigmatiser le mouvement social, tout en privant de parole celles et ceux qui tentent de le construire. Quant à la couverture médiatique du jour J, gageons que le meilleur reste à venir...


Pauline Perrenot et Maxime Friot

 
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