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Un journalisme de préfecture

par Sophie Eustache,

Le Nouveau Monde -Tableau de la France néolibérale a paru aux éditions Amsterdam le 10 septembre 2021. Ce livre collectif accorde notamment une large place à la critique des médias et des industries culturelles. Nous publions ici un chapitre (Acrimed).

Vous écoutez France Culture. Le 3 juin 2020. 7 h 35 : c’est la revue de presse internationale. Le journaliste revient sur la démission du chef de l’État bolivien. Evo Morales aurait, en novembre 2019, été contraint de « fuir La Paz sous la pression de grandes manifestations après avoir été pris en flagrant délit de falsification des résultats de l’élection présidentielle ». Même revue de presse, une semaine plus tard : le chroniqueur signale en passant que le New York Times, souvent aligné sur les positions du Pentagone, vient d’admettre « ses doutes, désormais très forts, sur la version des faits qu’il avait lui-même véhiculée, avec le reste de la presse internationale et nous compris, au moment de la précédente élection bolivienne ». Vous écoutez France Culture et jamais vous n’entendrez les petits télégraphistes admettre que la station a couvert un coup d’État d’extrême droite contre l’un des rares gouvernements populaires d’Amérique latine. Dans les rédactions, la baisse du nombre de correspondants à l’étranger et des crédits alloués aux reportages ont fait place nette pour ce genre de désinformation.

Et ce qui vaut pour les affaires internationales et pour les aventures impériales de la France – au Kosovo en 1999, en Afghanistan en 2002 ou en Lybie en 2011 – vaut aussi pour le maintien de l’ordre le plus ordinaire. Dans le traitement des réalités hexagonales, la dépendance des journalistes au pouvoir est forte. « La presse a besoin des pouvoirs pour fonctionner tant elle dépend de leurs informations, observe le politiste Alain Garrigou. Il ne s’agit pas seulement de la dépendance économique, si banale que l’on est tenté de la considérer comme irrémédiable. Les tentatives d’affranchir la presse de l’argent ont largement échoué et la soumission directe aux propriétaires, ou indirecte aux annonceurs, n’est pas un mythe. Elle est redoublée d’une dépendance fonctionnelle par laquelle ce sont les pouvoirs qui produisent les informations qui alimentent la presse : grandes bureaucraties d’État, entreprises et grandes organisations se sont dotées de services spécialisés. Relations de coopération plus que de pression. » [1]

Remontrances, outrances, points aveugles : qu’on pense à la grève des cheminots au printemps 2018, au mouvement des Gilets jaunes à l’hiver 2018-2019 ou aux manifestations contre la réforme des retraites en 2019, le traitement médiatique n’a pas varié. Les journalistes ont mis à contribution les préfectures ou les syndicats de police, et allégrement. Un véritable « journalisme de maintien de l’ordre ». « C’est le côté “parole sacrée” de l’État, on ne peut pas, même en tant que média, on ne peut pas ne pas croire ce que dit le ministre », affirmait un journaliste de France Info après la prétendue attaque de l’hôpital de La Salpêtrière par des manifestants, le 1er mai 2019. Un mensonge proféré par le ministre de l’Intérieur lui-même et relayé avec gourmandise par les chaînes de télévision et de radio, France Info en tête. Que les grands médias reprennent sans recul aucun une parole officielle : il n’y a pas là une dérive du système médiatique, mais sa vérité même.

La comparaison entre les matinales du mardi 5 novembre 2019 sur LCI, BFM TV, CNews et France Info TV permet d’objectiver, s’il en était encore besoin, ce fonctionnement. Ce jour-là, à 6 heures, France Info TV et LCI ouvrent leur journal télévisé sur un déplacement officiel à Chanteloup-les-Vignes. Christophe Castaner, alors ministre de l’Intérieur, Nicole Belloubet, ministre de la Justice, et Julien Denormandie, ministre chargé de la Ville et du Logement, se rendent dans la commune des Yvelines après qu’un « guet-apens » a été tendu à la police le week-end précédent. Le sujet arrive en deuxième position des JT de BFM TV et CNews, qui font le choix de le traiter en mettant en exergue la décision du gouvernement d’instaurer « des quotas d’immigration ». D’une chaîne à l’autre, le traitement diverge peu. Les propos tenus par le Premier ministre sur les violences urbaines – « une petite bande d’imbéciles et d’irresponsables qui pense que tout casser peut faire avancer les choses » – sont copieusement commentés. BFM TV donne la parole à Édouard Philippe mais aussi à Éric Ciotti, député LR des Alpes-Maritimes, et à Jean-Lin Lacapelle, vice-président du groupe RN au conseil régional d’Île-de-France. Dans les reportages, élus de droite et syndicats de police se relaient et se rengorgent. Aucune des quatre chaînes, en revanche, ne daigne tendre le micro aux habitants. Il faut dire que leur parole est le plus souvent escamotée : micro-trottoirs, interviews tronquées, témoignages faisant la part belle à l’émotion.

Dans l’émission de débat Les Informés [2], diffusée quotidiennement sur France Info, les commentateurs accaparent ainsi 86 % des invitations. Entre le 1er janvier et le 30 juin 2019, sur les 135 sujets traitant du mouvement des Gilets jaunes, seule une protestataire a été reçue en plateau. « Dans une émission de débat sur l’actualité, se justifie Matthieu Mondoloni, directeur adjoint de la rédaction, il nous semblait plus pertinent (j’admets que ça puisse être contesté ou contestable) d’avoir des gens dont c’est le métier. C’est-à-dire des “informés” : des communicants, des journalistes, des gens qui sont très au fait de l’actualité et qui sont capables de parler de plusieurs sujets. » Et quand les premiers concernés sont miraculeusement invités à s’exprimer, c’est pour mieux les chapitrer. L’histoire médiatique récente est jalonnée de ce type de rappels à l’ordre. L’interrogatoire du syndicaliste de la CGT Continental, Xavier Mathieu, par David Pujadas le 21 avril 2009 restant un modèle du genre [3].

Marcher sagement dans les rues parisiennes, passe encore. Mais avisez-vous de séquestrer un patron ou d’arracher la chemise d’un DRH, et claque le coup de fouet médiatique. À croire que seul le corps des puissants mérite d’être défendu. Lui qui n’est presque jamais exposé ni au travail, ni en politique, ni dans la rue, qui est préservé des contrôles de police au faciès ou des effets mortels de l’austérité. Un ouvrier n’aura pas droit aux mêmes égards. Il n’a pourtant guère le luxe d’oublier que le sien – de corps –peut être abîmé, violenté, brimé. Occultées, les violences qui ne font ni bruit ni flamme : les familles condamnées à se nourrir au Secours populaire, les discriminations infligées aux personnes handicapées et aux minorités, aux classes populaires des banlieues et des campagnes, les humiliations et les morts au travail. Dans la presse quotidienne régionale, les accidents du travail sont traités comme de simples faits divers, quand ce sont pourtant des faits sociaux (650 000 victimes par an).

Le plus souvent, les journalistes se limitent à répercuter l’information transmise par la police, les pompiers ou la justice. Et même quand il affirme mener l’enquête et en tire quelque gloire, le « quatrième pouvoir » reste fortement tributaire de ces mêmes sources et des intérêts qui les animent. Ainsi du journalisme d’investigation – celui qui fait démissionner des ministres ou frémir des conseillers mais beaucoup plus rarement tomber des dirigeants d’entreprise, dont Pierre Péan, journaliste et investigateur hors pair, décrivait les méthodes : « Il ne s’agit pas d’enquêter, mais d’attendre une fuite. Celle d’un procès-verbal d’audition ou d’enquête que transmet un juge, un policier, un avocat. Le document arrive, hier par fax, aujourd’hui par messagerie chiffrée. L’intrépide limier s’emploie ensuite à le réécrire en style journalistique. » De sorte que l’investigation, si elle est parfois utile au dévoilement des pratiques oligarchiques, est le plus souvent un outil de régulation interne à la classe dominante. Et Péan d’ajouter : « la joie mauvaise de voir tomber les corrompus a souvent pour corollaire l’impuissance face aux structures corruptrices, qui, elles, restent en place quand un ministre chasse l’autre. On se croit vengé, mais rien n’a changé. » [4]

Journalisme de classe


Pour maintenir l’ordre social, en tout état de cause, tous les coups sont permis : « Même si la comparaison peut paraître scabreuse, est-il si illégitime d’oser la formuler ? La France est soumise aujourd’hui à deux menaces qui, pour être différentes, n’en mettent pas moins en péril son intégrité : Daech et la CGT », écrivait l’éditorialiste Frantz-Olivier Giesbert dans Le Point (1er juin 2016), en plein mouvement contre la loi dite « travail ». Cinq ans plus tard, on trouvait semblable comparaison dans le magazine VSD, cette fois-ci dirigée contre une grève de cheminots : « Ils utilisent les salariés en France, entonnait son directeur, comme Daech utilise les femmes et les enfants en boucliers humains en Syrie », ce qui valut à la publication d’être condamnée par la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris pour « injure publique » à l’encontre de la SNCF.

Le mouvement des Gilets jaunes, lui non plus, n’a pas été épargné : « Taguer l’Arc de Triomphe, c’est quelque chose qui atteint les institutions. La mémoire du Soldat inconnu, c’est ce qui fait le ciment de la nation », déclarait la journaliste Ruth Elkrief sur BFM TV, tandis que Luc Ferry, sans barguigner, en appelait à ouvrir le feu sur les manifestants : « On ne donne pas les moyens aux policiers de mettre fin aux violences. Quand on voit des types qui tabassent à coups de pied un malheureux policier... qu’ils se servent de leurs armes une bonne fois, écoutez, ça suffit ! » [5]

Invitée sur le plateau de BFM TV (propriété de Patrick Drahi), la directrice adjointe de Libération (propriété de Patrick Drahi), Alexandra Schwartzbrod, tirait un bilan admiratif du dispositif de maintien de l’ordre mis en place pendant la manifestation du 1er mai 2019 à Paris : « On peut dire que Didier Lallement, qui est le nouveau préfet de police, a plutôt bien sécurisé le terrain. Le terrain était plutôt bien choisi, avec des grandes avenues, avec assez peu d’endroits où se retrancher. Donc on peut dire que ça a été plutôt bien préparé. Et puis surtout, il y avait moins de black blocs que prévu, on en attendait près de 1 500, y en a eu moitié moins quasiment […]. En tout cas, l’ensemble [du dispositif policier] a fait que, globalement, cette manifestation s’est passée moins violemment qu’on ne le craignait. »

Les privilèges des éditorialistes les acoquinent au grand patronat en même temps qu’ils les séparent des ouvriers, des fonctionnaires, des travailleurs indépendants ou des petits patrons. Sans commune mesure avec le salaire médian des Français (1 940 euros), les émoluments de Ruth Elkrief à BFM TV s’élèvent à 10 000 euros par mois, et à 15 000 euros net pour le présentateur de France 2 Laurent Delahousse. Pour sa revue de presse quotidienne sur Europe 1, Natacha Polony, aujourd’hui directrice de la rédaction de Marianne, gagnait 27 400 euros par mois.

Mais le cas des violences policières montre que le journalisme de préfecture ne se limite pas aux seules chefferies. Il affecte jusqu’aux pratiques ordinaires des soutiers de l’information. Longtemps, on a invisibilisé les « bavures ». Seule la parole institutionnelle avait droit de cité sur les plateaux ou dans les colonnes. Et la place qui leur est accordée depuis peu doit moins à un sursaut civique de la profession qu’au travail opiniâtre du journaliste indépendant David Dufresne et à la combativité de collectifs comme Urgence notre police assassine, Justice et Vérité pour Adama ou Désarmons-les. Après des décennies de brutalité contre les habitants des quartiers populaires, le bilan des mutilations causées par les forces de l’ordre pendant le mouvement des Gilets jaunes, soigneusement documenté, a eu raison de la cécité médiatique.


Productivisme et dépendance


Enfants de la bourgeoisie, majoritairement blancs, les journalistes n’ont aucun mal à prendre pour argent comptant les communiqués des préfectures. Il faut dire qu’ils ne connaissent pas (ou si peu) les contrôles policiers et la violence d’État. Du reste, pourquoi douteraient-ils d’institutions (école, police, justice, etc.) qui les ont jusqu’ici plutôt très bien servis ? Plusieurs travaux de sociologie ont ainsi mis en évidence le privilège d’autorité dont pouvaient disposer les points de vue officiels auprès des journalistes. « Les sources proches du gouvernement et des milieux d’affaires ont le grand avantage d’être reconnues et crédibles sur la base de leur seul statut de prestige », observaient ainsi Noam Chomsky et Edward Hermann.

Les paroles des institutions et des dirigeants sont le plus souvent traitées comme des « faits », non comme des « discours ». Et les « faits-diversiers » sont enclins à la croyance (et à la confiance) dans une « objectivité de fait » des institutions policières et judiciaires, rappellent les sociologues Jérôme Berthaut et Sylvain Laurens. « Ce que pensent les gens ne m’intéresse pas sur le plan factuel. Pour le moment, les seuls éléments concrets m’ont été apportés par le procureur », explique ainsi un journaliste du Dauphiné libéré ayant couvert un accident qui a coûté la vie à deux jeunes grenoblois, à l’issue d’une course-poursuite avec la police. Il reconnaît s’en tenir à ses sources (policières) ou à la version « officielle », qu’il ne cherche pas à confronter avec celle des habitants – avec qui il entretient d’ailleurs de très mauvais rapports. [6]

Le poids des sources policières s’explique aussi par l’organisation taylorisée du travail médiatique. Cette division du travail favorise un journalisme en fauteuil déconnecté du terrain. « Je travaillais dans les chaînes d’info et je ne croyais pas aux violences policières, rapporte ainsi une ancienne assistante d’édition de BFM TV. On avait seulement le point de vue des flics parce qu’évidemment hormis les reporters et les JRI (journalistes reporters d’images), personne ne va sur le terrain. Quand il y a un fait de violence policière supposé dans un quartier, le reporter spécialiste “police-justice” va s’y rendre. Lui, il a surtout des contacts de flics, mais bon il fait son boulot de reporter, il va voir aussi la famille, les avocats, etc. Il va être prudent. Mais les rédacteurs en chef, eux, vont écouter le consultant, ils vont écouter Dominique Rizet, qui est dans tous les WhatsApp de flics d’Île-de-France. »

Les contraintes de productivité qui pèsent sur les journalistes renforcent aussi cette dépendance aux sources policières : ces derniers ont besoin des informations que les policiers et gendarmes veulent bien leur fournir pour remplir leurs rubriques « Faits divers » et le site web du journal qu’il faut alimenter en articles toute la journée. Le productivisme dans les médias est tel qu’un journaliste web rédige en moyenne dix articles par jour, une cadence qui ne permet ni de vérifier ni de recouper l’information. Et pour tenir le rythme, les journalistes n’ont souvent d’autre choix que de « bâtonner » (copier-coller des dépêches ou des communiqués officiels en les remaniant à la marge). L’autre solution, courante dans la presse quotidienne régionale, consiste à faire « la tournée des fait divers » en appelant commissariats, gendarmeries et casernes de pompiers pour produire du contenu. Afin de ne pas risquer d’assécher les pages du journal, mieux vaut donc choyer ces sources, et tisser des liens serrés avec elles. Entre 1994 et 2011, les journalistes « info géné » de France 2 ont ainsi été amenés à suivre une formation de l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure (IHESI). Là-bas, ils côtoyaient des hauts gradés de la gendarmerie, de la police, des magistrats ou des préfets.

La police sait d’ailleurs bien jouer de cette dépendance : en mars 2021, la préfecture de Haute-Saône menaçait France 3 de s’opposer au tournage en cours d’un magazine avec les gendarmes du département, si une équipe de journalistes n’était pas dépêchée pour couvrir la visite du ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, dans une entreprise locale. Et le sociologue Jérôme Berthaut de noter que « les relations privilégiées qu’entretiennent les reporters des informations générales avec les membres des services d’urgence et des services judiciaires conduisent certains d’entre eux à transposer par mimétisme, dans la rédaction, un jargon professionnel issu de la police (“faire une planque”, “monter au braco”, “mettre le pied dans la porte”). Mais les emprunts ne concernent pas seulement le vocabulaire. La hiérarchie des sujets de reportages est également indexée sur l’échelle de classement des services de police et de justice. » [7]


Bobards médiatiques


Comment, dès lors, s’étonner des malfaçons du journalisme de préfecture ? L’attaque de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris le 1er mai 2019, l’arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès, l’exhibition d’armes de guerre par des dealers à Grenoble sont autant de fake news démenties aussi vite qu’énoncées. À Grenoble, les armes de guerre étaient en plastique, il s’agissait d’une mise en scène destinée à la réalisation d’un clip de rap ; l’artiste avait relayé les images sur les réseaux sociaux pour « faire le buzz ». Opération de communication rondement menée, puisque ces images ont fait l’objet de reportages sur BFM TV et CNews et de commentaires sur les plateaux de ces chaînes. Si ces images ont attiré l’attention des grands médias, c’est qu’elles faisaient écho aux représentations que se font les journalistes des banlieues – représentations que le jeune rappeur a su habilement exploiter.

La défiance des citoyens envers les médias s’est amplifiée : début 2021, 63 % des Français estimaient que les journalistes ne résistent pas aux pressions politiques et 59 % aux pressions de l’argent. [8] Pendant les manifestations des Gilets jaunes, plusieurs journalistes ont ainsi été pris à partie, verbalement et parfois physiquement. Dans le même temps, des rassemblements devant France Télévisions et BFM TV (29 décembre 2018) constituaient la propriété des médias en véritable question politique. Mais, plutôt que d’y répondre, les journalistes ont préféré défendre leurs intérêts en faisant de la « pédagogie ». Depuis l’attentat contre Charlie Hebdo en 2015, on ne compte plus les émissions, sur France Inter notamment, visant à rééduquer la population. Elles ont accompagné la création des rubriques de fact-checking (vérification des faits), présentes dans cinq médias : les « Décodeurs » du Monde, « Checknews » de Libération, « Factuel » de l’Agence France presse (AFP), « Fake off » de 20 minutes et « Vrai ou fake » de France Info. Une initiative imitée par l’État qui, au début de la pandémie, a mis en ligne la plateforme Désinfox [9] avant de la retirer.

On retrouve des dispositions relatives à l’éducation aux médias dans la loi de 2013 pour la refondation de l’école comme dans celle contre les fake news ou dans le plan national de prévention de la radicalisation du 23 février 2018. En guerre contre les « bobards inventés pour salir ». Votée le 20 novembre 2018, la loi contre la « manipulation de l’information » en période électorale complète ce dispositif. Le texte prévoit la possibilité pour un candidat ou un parti politique de saisir le juge des référés pour couper court à la diffusion de « fausses informations » durant les trois mois précédant un scrutin national. Il accorde aussi au Conseil supérieur de l’audio-visuel (CSA) la faculté de suspendre l’émission d’une chaîne de télévision « contrôlée par un État étranger ou sous l’influence » d’une puissance étrangère qui diffuserait de « façon délibérée » des informations frelatées. Les chaînes détenues par le gouvernement russe, Russia Today et Sputnik, sont particulièrement ciblées.

De la loi « sécurité globale » à la loi sur le secret des affaires, en passant par la loi contre les « fake news », la politique d’Emmanuel Macron s’est ainsi traduite par la mise en place d’un arsenal juridique visant à restreindre la liberté d’informer. Depuis la loi « travail » en 2016, les journalistes sont de plus en plus souvent entravés dans leur travail. La loi « sécurité globale », définitivement adoptée par l’Assemblée nationale le 15 avril 2021, a marqué une étape supplémentaire dans la mise au pas de la profession : l’un de ses articles punit de 45 000 euros d’amende et d’un an de prison la diffusion de « l’image du visage ou tout autre élément d’identification » d’un policier ou gendarme en fonction, dans le but de « porter atteinte à son intégrité physique ou psychique ». Très contestée, cette disposition a d’ailleurs valu à l’État français cet avertissement du Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU : « L’information du public et la publication d’images et d’enregistrements relatifs à des interventions de police sont non seulement essentiels pour le respect du droit à l’information, mais elles sont en outre légitimes dans le cadre du contrôle démocratique des institutions publiques. » À plus forte raison quand l’écosystème médiatique fonctionne comme une bulle. Perméable aux sources policières, mais imperméable aux témoignages de victimes de la répression. [10]


Sophie Eustache

 
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Notes

[1Alain Garrigou, « Journalisme embarqué », blog « Régime d’opinion », 9 octobre 2012.

[2« France Info, l’info autrement ? », Acrimed, 8 décembre 2020.

[3David Pujadas : « Bonsoir Xavier Mathieu, vous êtes le délégué CGT de Continental à Clairoix. On comprend bien sûr votre désarroi, mais est-ce que ça ne va pas trop loin ? Est-ce que vous regrettez ces violences ? »
Xavier Mathieu : « Vous plaisantez, j’espère ? On regrette rien… »
David Pujadas : « Je vous pose la question. »
Xavier Mathieu : « Non, non, attendez. Qu’est-ce que vous voulez qu’on regrette ? Quoi ? Quelques carreaux cassés, quelques ordinateurs à côté des milliers de vies brisées ? Ça représente quoi ? Il faut arrêter là, il faut arrêter. »
David Pujadas : « Pour vous, la fin justifie les moyens. ».

[4Pierre Péan, « Dans les cuisines de l’investigation », Le Monde diplomatique, septembre 2019

[5Radio Classique (propriété de Bernard Arnault, PDG de LVMH), 7 janvier 2019.

[7Jérôme Berthaut, La Banlieue du 20 h. Ethnographie de la production d’un lieu commun journalistique, Marseille, Agone, 2013.

[8Selon le 34e baromètre de confiance dans les médias réalisé par Kantar pour La Croix.

[9« Désinfox : l’embarassant miroir », Manière de voir, août-septembre 2020.

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