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RCI Guadeloupe : une journaliste sanctionnée pour avoir fait son travail

Nous publions ci-dessous sous forme de tribune [1] un texte de l’Association des journalistes antiracistes et racisé-e-s (Ajar) et de Prenons la Une, paru initialement le 11 décembre. (Acrimed)

L’Association des Journalistes Antiracistes et Racisé·e·s (AJAR) et Prenons La Une (PLU), deux associations regroupant environ 400 journalistes, condamnent la décision de la chaîne radio RCI Guadeloupe de retirer sa présentatrice Barbara Olivier-Zandronis de l’antenne. Cette sanction fait suite à son interview menée avec pugnacité, le vendredi 8 décembre, de Jordan Bardella, président du Rassemblement National.

Pour la direction de RCI Guadeloupe, cet entretien n’était pas journalistique mais de l’ordre de l’« opinion ». Pourtant, la journaliste n’a fait que rappeler des faits au président du Rassemblement National dans ses questions : la présence fortement contestée du RN, historiquement, en Guadeloupe, la fausseté de ses affirmations sur l’aide médicale d’état (AME), l’accueil indigne des personnes migrantes (que Bardella au contraire qualifie d’« hôtel cinq étoiles pour l’Afrique »), la quasi-absence de propositions au parlement européen par l’euro-député depuis le début de son mandat, et la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité. Le tout, de façon sourcée. Depuis quand questionner un représentant politique à partir de faits constitue-t-il une opinion ?

Face à Barbara Olivier-Zandronis, Jordan Bardella provoque et insulte. Il la qualifie d’« agressive » à plusieurs reprises alors qu’il refuse de répondre aux questions posées, et que notre consœur les lui adresse à nouveau en refusant de se laisser déstabiliser et d’accepter des réponses qui ne correspondent pas aux questions. Désinvolte, Jordan Bardella laisse son téléphone allumé : celui-ci sonne bruyamment plusieurs fois durant l’échange. Il semble même décidé à prendre un appel pour esquiver une question, interrompant l’interview d’une manière particulièrement cavalière. Enfin, il accuse la journaliste d’être partisane, lui demandant si elle est encartée dans un parti.

La première réaction de la direction à la sortie de l’entretien ? Présenter des excuses à Jordan Bardella, reprenant à leur compte les accusations d’« agressivité » envers la journaliste, révèle Libération.

A-t’on encore le droit d’être des journalistes face au RN ou est-ce qu’on attend de nous d’être des communicant·es participant à la validation et à la propagation des fausses informations que ce parti diffuse en permanence ? Un parti dont le fondateur a été condamné pour son négationnisme de la Shoah. Un parti dont des membres ont été condamnés pour racisme et dont certains cadres sont lié·es à des groupes néofascistes violents comme le GUD. Un parti ayant pour premier objectif d’instaurer un programme raciste et xénophobe de « préférence nationale ». Faudrait-il participer à la normalisation de ce parti à l’aide d’entretiens mielleux, au mépris du rappel de faits, le cœur de notre métier ?

Ce vendredi 8 décembre, Barbara Olivier-Zandronis a, en réalité, honoré notre profession. Elle n’a fait que confronter un politicien en campagne à des faits qui interrogent la cohérence entre son discours et ses actes. Notre consœur a tenté de briser la langue de bois politique en restant ancrée dans ses questions. Son ton n’était pas agressif : elle a simplement refusé d’accepter des réponses qui ne correspondaient pas à ses questions. C’est le rôle d’une journaliste. Mais est-ce notre rôle d’être conciliant face à des représentants du peuple et experts en communication politique, en particulier du RN ? Est-ce notre rôle de l’être, d’autant plus compte tenu de l’histoire esclavagiste raciste française, notamment aux Antilles et en Guadeloupe ? Est-ce nôtre rôle d’être conciliants, d’autant plus au vu des positions du RN sur ce pan de l’Histoire ? Barbara Olivier-Zandronis mérite-t-elle un tel désaveu ?

L’AJAR et PLU s’accordent pour dire que non. Au contraire, Barbara Olivier-Zandronis devrait être citée en exemple et défendue par sa rédaction, et non pas dénigrée pour son travail, comme a pu le faire son directeur devant Jordan Bardella et jusque dans les colonnes de Libération.

Comme plus de 8000 citoyens et journalistes signataires de la pétition de soutien, nous appelons RCI à la rétablir à son poste de présentatrice et intervieweuse.

 
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Notes

[1Les articles publiés sous forme de « tribune » n’engagent pas collectivement l’association Acrimed, mais seulement leurs auteurs dont nous ne partageons pas nécessairement toutes les positions.

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