Accueil > Critiques > (...) > Les miettes du festin démocratique [Référendum de 2005]

« L’Europe, L’Europe... »

Quelques miettes de « pluralisme » à sens unique

Le 2 décembre 2004, au lendemain du vote majoritaire des militants du parti socialiste en faveur du “oui” au projet de constitution européenne, Alain Duhamel ne cachait pas sa satisfaction dans sa chronique radiophonique matinale sur RTL. « Si le non l’avait emporté au sein du Parti socialiste, si donc le référendum avait été menacé, ça aurait été pour la France un gros problème ». Heureusement, « les choses se présentent positivement  » puisque désormais « les partis de gouvernement, c’est-à-dire les Verts, les socialistes, l’UDF et l’UMP sont tous en faveur du "oui" », se félicite-t-il avant de conclure : « Ce matin dans les capitales européennes, il va y avoir beaucoup de soulagement ».

Malheureusement, à peine deux mois plus tard, le vent tourne et Alain Duhamel constate non sans inquiétude - toujours sur RTL, le 4 février - qu’apparaissent des « nuages sur le oui » : « c’est le scénario le plus négatif pour l’adoption du référendum européen qui est en train de se mettre en place ».

Mauvais présage : Et si le « non » au Traité constitutionnel l’emportait ? Ce motif d’inquiétude pour les partisans du Traité ne laisse guère de place à la pluralité des arguments et au pluralisme des positions (fin janvier-fin février 2005) [1]

I. La CGT dans les collimateurs

  Le Monde se trompe de marc de café. Un article signé Rémi Barroux publié le 27 Janvier 2005 anticipait sur les délibérations du comité confédéral national de la CGT. Le titre : « La CGT ne devrait pas donner de consigne de vote pour le référendum sur la Constitution européenn. » Un titre au conditionnel, il est vrai, mais un conditionnel dans le « quotidien de référence » est-il à prendre au conditionnel ?

Quelques jours plus tard, les instances démocratiques de ce syndicat se réunissent et donnent tort à ces prédictions « bien informées » qui confondent les souhaits du Monde, la proposition de Bernard Thibaut et décision de la CGT elle-même. Le 3 février 2005 donc, nouvel article, nouveau titre : « La CGT choisit le "non" au traité constitutionnel européen  ».

Extrait : « Le comité confédéral national de la CGT s’est prononcé, jeudi 3 février 2005, par 81 voix contre 18 et 17 abstentions pour le rejet de la Constitution européenne. Cette décision marque un échec pour la direction conduite par Bernard Thibault, qui souhaitait que la CGT se contente de donner un avis sur le projet. Le secrétaire général a "pris acte" de cette décision, tout en dénonçant "les carences en matière de démocratie interne" du syndicat. Le comité confédéral national (CCN) de la CGT s’est prononcé, jeudi 3 février 2005, par 81 voix contre 18 et 17 abstentions pour le rejet de la Constitution européenne. »

  Les Echos se paient Thibault. Une rubrique sise en dernière page des Echos s’appelle « En vue ». Son truc : railler... Ce 7 février 2005, elle déraille sur Bernard Thibault.

- Sa coiffure - « Dans son livre, « Ma voix ouvrière », publié en janvier pour ses quarante-six ans, le secrétaire général de la CGT, que tous les téléspectateurs reconnaissent grâce à sa coupe de cheveux - lointaine source d’inspiration de la coiffure moyennageuse [sic : lire « moyenâgeuse »] de Christian Clavier dans « Les Visiteurs » -, réaffirme sa volonté d’immuniser sa confédération du virus politique. »

- Ses origines - « Son père ayant beaucoup souffert de commencer sa vie professionnelle comme fossoyeur, le fils ne veut pas finir la sienne en ayant dû faire son deuil de la prééminence cégétiste dans le monde salarial, plombée par l’effondrement du Parti communiste. » Et ça continue : « Rude défi pour quelqu’un qui se dit « plutôt suiviste que leader », raconte qu’il est cheminot par hasard, qu’il aurait aussi bien pu être « à Air France ou préposé à La Poste », et souligne qu’il est devenu leader syndical à son corps défendant. »

- Son incompétence - « Quand ses camarades lui demandèrent, en 1977, s’il voulait se syndiquer, sa réaction fut un peu la même que si on lui avait proposé d’acheter un Solex : « Oui, je suis d’accord. Comment ça marche ? » Presque trente ans plus tard, pris à revers par le « non » de l’appareil confédéral à sa ligne européenne, il semble n’avoir toujours pas trouvé la réponse. » C’est le bouquet final : Les Echos se tapent la cuisse.

  Les Echos se lamentent. Dans un article intitulé « Le périlleux passage au réformisme » (Les Echos, du 15 février 2005), Favilla (éditorialiste) nous montre une fois encore de manière éclatante où se situe la vérité, et elle n’est certainement pas du côté de la CGT ou des contestataires : « Voilà déjà longtemps que les optimistes le prophétisaient : la CGT ne pourra pas rester prisonnière d’une idéologie révolutionnaire et d’une stratégie purement contestataire qui se révèleront suicidaires. Le réalisme la contraindra à rejoindre le camp du réformisme. » Seulement, les « optimistes » (version Les Echos), doivent déchanter : « Il ne faut pas se cacher que le vote émis exprime la volonté d’une partie de la CGT d’effectuer une véritable marche arrière : retour à une opposition systématique sans souci de proposer des alternatives crédibles, retour à une prédominance des visées politiques, retour à l’isolationnisme, alors que l’appartenance à la Confédération européenne des syndicats marquait la volonté de se fondre dans le syndicalisme international. » (Les Echos, du 15 février 2005).

Une « analyse » que partage Philippe Val...

 Philippe Val à l’avant-garde de la démocratie - Philippe Val est favorable au « Oui ». C’est son droit, bien sûr. Mais qui n’est pas d’accord avec le grand moraliste est forcément archaïque et stalinien. Tout décision démocratique qui n’a pas l’heur de lui convenir est forcément anti-démocratique. Et cela donne cet éditorial vibrant de mépris : « L’Avant-garde du prolétariat n’aime pas les cheveux longs ».

Et voici le résultat d’un enquête raffinée : « [...] La CGT bougeait. Elle avait un dirigeant jeune, dynamique, aimable, une sorte de Kennedy de l’Est. Des imbéciles avaient ouvert les fenêtres et un air du temps vivifiant caressait les vieilles ronéos épuisées. On se parlait. On se contredisait, on vivait. On quittait les rails rouillés de l’avenir radieux pour se dégourdir un peu les jambes dans les néons de la modernité. Des hommes n’hésitaient pas à mettre des blue-jeans taille basse, des femmes mettaient du rouge à lèvres. Çà et là, sur les étagères, à côté des disques de Jean Ferrat, on voyait traîner des CD de " M ", à côté des poésies de Georges Marchais, un volume du Docteur Jivago. La courroie de transmission du Parti, c’est ainsi qu’on appelait la CGT dans la langue léniniste, volait au vent du temps présent, et ne transmettait plus rien de la science révolutionnaire des penseurs de la Place du Colonel-Fabien. Une vraie désolation. Et voilà que Bernard Thibault, le chien fou, sans laisse, sans collier, refuse de donner la consigne de voter non à la Constitution européenne, alors que la politique du " socialisme dans un seul pays " a été décidée à la majorité par Staline une bonne fois pour toutes il y a soixante-dix ans. C’était sans compter sans le génie de Marie-George Buffet et de ses compagnons, qui arpentent les sentiers escarpés de la révolution dans la jungle des démocraties européennes. Alors que la base frémissait, érotisée par la démagogie sociale-démocrate de Bernard Thibault , le parlement de la CGT, qui est au syndicalisme ce que le Sénat est à la République française, c’est-à-dire des élus qui s’élisent entre eux, a décidé de refaire le bonheur de la base et de son dirigeant en décidant de rejoindre Fabius dans son combat contre l’injustice. La courroie de transmission est remise sur son axe. L’avenir peut arriver. L’avant-garde du prolétariat l’attend de pied ferme. » (Philippe Val, Charlie Hebdo - 9 février 2005) [On appréciera tout particulièrement le passage souligné par nos soins]

C’est ce qu’on appelle une contribution rationnelle à un débat argumenté [2]

II. Mobilisation générale contre le « non »

 Panique sur le non ? Le 8 février 2005, Le Parisien s’affole et annonce comme un bulletin de guerre : « Le camp du non progresse  ». Pour Libération, « Le ton du non monte à gauche » (article du 9 février en pages politiques). Un revirement probablement dû aux « fautes des leaders du oui  », comme nous l’apprend un peu plus loin, à la rubrique « Rebonds », la chronique d’Alain Duhamel. (D’abord, on avait lu : « les fautes des dealers du oui ». C’était avant de prendre connaissance de la signature...)

Le Monde du 10 février 2005 partage la même inquiétude : « Le trouble tient à la réactivité du "non" et à la placidité du "oui" socialiste ». En revanche, Le Figaro, le journal des idées saines, demeure... placide. La preuve ? Cet euphémisme : « Référendum : pourquoi le oui faiblit  ».

 Service public ? (1) - Un reportage complaisant de France 2.Un correspondant nous transmet ce courrier :

« A l’attention de M. William Leymergie

Au cours de votre émission « Télématin » du vendredi 11 février 2005 2005, M. Jean-Paul Chapel est intervenu à 07h15 pour une chronique consacrée au projet de constitution européenne. Il a fait référence à la campagne organisée en Espagne sur le même sujet. Il a indiqué que des ’personnalités espagnoles’ avaient été ’choisies’ pour lire ’certains’ articles du projet de constitution. Un extrait de quelques-unes de ces interventions a été diffusé en langue originale sous-titré en français. Bien entendu, les articles lus par des ’personnalité’ du monde sportif (football) en particulier ont été ’sélectionnés’ dans la partie II dite ’La charte des droits fondamentaux de l’union’ et il semble que les articles les plus chargés affectivement aient été privilégiés (référence aux enfants en particulier). Or chacun sait que le caractère contraignant de cette charte des droits fondamentaux de l’union est très relatif comparé au caractère normatif et réglementaire de la partie III (Les politiques et fonctionnement de l’Union).

M. Jean-Paul Chapel a indiqué que ce genre de campagne serait plus difficile en France compte tenu de la réglementation en la matière.

Une véritable approche journalistique aurait consisté à se poser quelques questions simples mais éclairantes : Pour quelles raisons des personnalités du monde du sport ont-elles été choisies ? Quelle compétence particulière possèdent-elles par rapport à un Espagnol moyen. Le football a-t-il été privilégié ? Qui a été chargé de faire ce choix ? Y a-t-il eu équilibre impartial entre le nombre d’articles choisis entre les différentes parties du projet de constitution ? La présence de vocables à forte connotation affective est-elle le fruit du hasard ou a-t-elle pour but d’inciter habilement à voter ’oui’ sous le couvert d’une campagne de lutte contre l’abstention.

Si un simple citoyen est capable de se poser ces quelques questions, un chroniqueur véritablement exigeant devrait pouvoir le faire et, peut-être s’abstenir d’utiliser sur une chaîne publique française des extraits susceptibles d’influencer subtilement l’opinion.

Faute de ces vérifications élémentaires, un chroniqueur peut s’exposer à des risques de manipulations et d’instrumentalisation et il n’est alors pas à même d’éclairer totalement le téléspectateur.

Un téléspectateur attaché à la qualité du service public. »

 Service public ? (2) - Propagande mensongère sur France Inter

Le lundi 14 février 2005 à la fin de l’émission du Fou du Roi, à 12 h 40, un flash à la voix suave commence par lire le message suivant,

« Article 47- Des citoyens de l’Union, au nombre d’un million au moins, peuvent inviter la Commission à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire. »

Et la voix de marquer une pause comme pour une fin de phrase !... fin du flash.

Le hic, c’est que le texte exact de cet article 47 (souvent cité par les tenants du “oui” comme une avancée démocratique extraordinaire) a été opportunément écourté :

« Article 47 ; Des citoyens de l’Union, au nombre d’un million au moins, ressortissants d’un nombre significatif d’États membres, peuvent prendre l’initiative d’inviter la Commission, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application de la Constitution. »

Manque aussi la deuxième phrase qui énonce que « la loi européenne arrête les dispositions relatives aux procédures et conditions requises pour la présentation d’une telle initiative citoyenne, y compris le nombre minimum d’États membres dont les citoyens qui la présentent doivent provenir » ! D’autres restrictions en perspective...

Il n’était pas question de laisser passer ça. Lire : « Lettre ouverte au CSA, à Radio France et au Ministère de la propagande »

(Complété Lundi 28 février à 14h10) - Le ministère de la propagande persiste et signe sur un autre média, et avec son aide : Wanadoo. Ci-dessous la pub qui a tourné sur la page d’accueil de Wanadoo Sports, le 28 février à 11 h45, heure à laquelle un adhérent d’Acrimed l’a recueillie. Si l’on en croit les propriétés indiquées sur le fichier gif, cette merveille a été créée le dimanche 20 février 2005 à 19h03.

 Sociologie électorale anxieuse et dénonciatrice. Le Parisien, le du 8 février 2005 sous-titre ainsi un de ses articles sur le referendum : « Les fonctionnaires basculent dans le non ». Son analyse : « C’est l’une des premières conséquences concrètes de la montée du mécontentement social depuis le début de l’année. Les salariés de la fonction publique, qui ont multiplié grèves et manifestations tout au long du mois de janvier, sont en train de se radicaliser  ». Résumé : opter pour le « non », c’est « basculer » ; et « basculer », c’est « se radicaliser ».

 La déception du Parisien. Les lecteurs du Parisien du 19 février ont appris une triste nouvelle... Le footballeur Zinedine Zidane, la personnalité que les Français placent en tête de leurs préférences est « à titre personnel, tout à fait d’accord pour payer de sa personne aux côtés de Hollande et Zapatero. Mais le champion français a expliqué que le patron du Real, Florentino Perez (plutôt à droite comme le maire de Madrid), avait demandé à ses joueurs de ne pas s’afficher de manière partisane durant cette campagne. Déçue, la Zapatera n’a donc pu faire entrer en jeu Zidane. » Apparemment, cette déception est partagée par Le Parisien

 Le « choix de raison » de Libération . D’abord le ‘’courage’’ de Patrick Sabatier le 19 février 2005 dans Libération qui s’en va affronter les partisans du “non” : « Mieux vaut pourtant répondre de front aux arguments du non. Il en est évidemment d’audibles et de respectables, chez ceux qui ne confondent pas leur désir de corriger Chirac avec l’avenir de l’Europe. » Evidemment mais face à ces argument qu’ils ne se donne même plus la peine d’esquisser : « Il n’y a pas 36 réponses (oui « de droite » ou « de gauche », non « de droite » ou « de gauche », oui mais, non si...). Il y en a une seule. Et de bien meilleures raisons, fort simples, pour que cette réponse soit oui plutôt que non. » C’est la « paix ». Dans le meilleur des mondes de violence libérale ? C’était la rubrique des libres opinions. Mais dans l’éditorial de Jean-Michel Thénard, illustrant le dossier du quotidien sur Bernard Thibault (CGT), on pouvait lire cette opposition entre la raison du « Oui » et la déraison du « non » : « Nouvelle génération au PS, qui, avec François Hollande, a fait le choix d’un oui de raison contre le non fabiusien, synonyme d’opposition réflexe à Chirac. » (21 février 2005)

 L’épouvante de La Croix. Le 22 février, La Croix n’y va pas avec le dos de la cuillère : « Les ondes de choc d’un “non” français au référendum sur la Constitution européenne seraient violentes dans l’Hexagone et en Europe. Le “non” d’un seul État membre suffit pour que le traité ne s’applique pas. ». Le titre commente un film d’épouvante : « Le scénario noir d’un “non” français ».

III. Enfin, L’Espagne vota

Dimanche 20 février. Les Espagnols votent Résultats ? 60% d’abstentions. 77% des votant pour le « Oui », 17% des votants pour le « Non ». Que faire dire à de tels résultats ? Il suffisait d’écouter France Inter pour entendre ce que dirent la plupart des médias...

 France inter polyphonique (1) : Des chroniques plurielles !

Deux chroniques matinales, lundi 21 février 2005. Deux façons de commenter les résultats pour surmonter le scepticisme en faveur... du « Oui ».

- « Oui », discrètement, dans la chronique de Pierre Le Marc : « Le camp du “Oui” espère, on s’en doute, un “effet Espagne” sur le référendum français ». Indiscutable. Mais ce qu’espèrent les partisans du “Non” ne mérite aucune mention. Et Le Marc de poursuivre un peu plus loin : « L’évènement, en tout cas, peut contribuer à la réflexion des électeurs français qui auront à se prononcer au mois de mai sur la Constitution européenne. ». C’est donc au tour de Pierre Le Marc, porte-parole de l’événement, de « contribuer » lui aussi : « Le premier enseignement du vote émis par nos voisins d’outre Pyrénées, c’est en effet l’expression d’un choix sans ambiguïté en faveur de la construction européenne et de sa consolidation par le texte en question. Ce choix, le “Oui” massif en témoigne, mais aussi l’espèce de quitus passif que représente une partie de l’abstention. » Avec le « quitus passif », Pierre Le Marc parvient presque à faire voter “oui”... les abstentionnistes. La suite le confirme : « Le score du “Non” souligne, par ailleurs, le caractère très minoritaire du phénomène de rejet du processus européen en Espagne. ». Comme si l’en jeu du référendum était pour ou contre l’Europe ou son « processus »...

- « Oui », presque discrètement (il ne faut pas trop lui demander...) dans la chronique de Bernard Guetta, qui renonce pour sa part à faire voter les abstentionnistes : « Ce “oui” est massif. L’abstention ne l’est pas moins On ne peut d’abord pas sous-estimer le fait que près de 60% des Espagnols ait tout simplement ignoré ce scrutin. Pour eux, ce n’était ni « “oui » ni « “non ». C’était [non le « quitus passif », mais] l’indifférence [...] ». Si Bernard le dit... Et de se lancer dans un long diagnostic destinée à expliquer cette indifférence. Quand vient le « nous » européen au nom duquel s’exprime Bernard Guetta. : « Nous en sommes là. Nous manquons encore de forces politiques pan-européennes proposant aux Européens des programmes pour l’Europe. Nous manquons des débats qui donneraient vie aux institutions de l’Union. Nous manquons d’objectifs concrets et mobilisateurs, dans l’enseignement, la recherche, les systèmes de transport, d’une dimension européenne de la politique et, au regard de cette faiblesse, ces près de 77 % de “oui” espagnols constituent, abstention ou pas, un extraordinaire résultat. Il ne s’est trouvé que 17 % d’Espagnols, beaucoup moins encore par rapport aux inscrits, assez opposés à ce projet de Traité pour aller lui dire “non”. C’est peu, très peu. Cela rend encore plus insupportables et criants ces manques de l’Union. »

Tout va bien, en faveur du « oui », exclusivement, parmi les chroniqueurs de France Inter...

 France Inter polyphonique (2) : des invitations pluralistes !

... Mais au cas où les chroniqueurs n’auraient pas chroniqué comme il faut, il fallait compter avec les invités, dont Philippe Arnaud a relevé la présence et les prouesses sur le site de l’Observatoire Français des médias.

- Le 21 février 2005, sur France Inter, Stéphane Paoli, pour commenter les résultats du référendum espagnol sur le Traité constitutionnel européen (TCE), a invité trois députés européens : un Espagnol, Enrique Baron (du groupe socialiste et ancien Président du Parlement européen), une Italienne, Lilli Gruber (du groupe socialiste - Présidente de la délégation du Parlement européen pour les relations avec les Etats du Golfe) et Pierre Moscovici (du Parti socialiste). Pas un seul opposant au Traité.... Philippe Arnaud précise : « La durée de l’intervention s’est étalée de 7 h 55 à 8 h 55 (soit une heure) et le total cumulé m’a semblé être d’au moins 3 + 10 + 15 minutes, soit près d’une demi-heure. Or, dans des laps de temps bien moindres, tous les jours, sur des sujets controversés, France Inter n’a aucune difficulté à présenter des opinions opposées [...] Chacun sait que les horaires de la radio ne sont pas égaux, que la tranche de 7 à 9 heures est la plus écoutée, et que ce qui suit immédiatement un événement a plus d’audience que ce qui en est éloigné (dans deux jours, le référendum aura perdu de nombreux points d’audience) et qu’il vaut mieux battre le fer quand il est chaud. » (Lire sur le site de l’OFM : « Le "Oui écrasant" espagnol ... pour France Inter et ses invités »- lien périmé, août 2013.)

- Le lendemain, 22 février, pour rétablir un semblant d’équilibre, France Inter invitait un partisan du « Non » au Traité constitutionnel. Ce partisan était... Philippe de Villiers. Autrement dit, un représentant du « Non » de droite : « celui qui, aux oreilles des auditeurs de gauche, ringardise le plus le « Non » », comme le note Philippe Arnaud qui relève également qu’à 19 h 20, le « Téléphone sonne » invitait, outre ((Lionel Thomson, envoyé spécial à Madrid, un ambassadeur espagnol auprès d’une institution internationale et, surtout, Philippe Moreau-Desfarges, ministre plénipotentiaire, chercheur à l’Institut français des relations internationales et co-directeur du Ramses (IFRI), professeur à l’Institut d’études politiques de Paris et chargé de séminaire (gouvernance globale) en DEA de relations internationales à l’université Panthéon-Assas (Paris II). Encore un expert impartial, impartialement favorable au « Oui ». (Lire, sur le site de l’OFM : France inter « pour le oui et « contre le non » - lien périmé, août 2013.)

 Pour mémoire et pour bien comprendre France inter. Le 27 novembre dernier, sur France Culture, au cours de l’émission Le premier pouvoir, la journaliste Elisabeth Lévy interpellait à ce sujet Gilles Schneider, directeur de France Inter : « Il n’est évidemment pas question de contester aux journalistes le droit d’avoir un point de vue - d’ailleurs ce serait tout à fait illusoire - mais de se poser la question du pluralisme. Est-ce que par exemple, puisque nous parlons de l’Europe, il vous semble sain que l’ensemble des chroniqueurs de France inter soit favorable, de façon très claire, à la construction européenne telle qu’elle se réalise aujourd’hui, et qui ne fait pas forcément l’unanimité dans le pays ? »

Face à cette critique, appuyée par le co-présentateur de l’émission (Gilles Casanova) et l’un des chroniqueurs (Jean-François Colossimo), la réponse du directeur de France Inter fut instructive : «  Oui non mais alors je ne me pose pas toutes ces questions. Vous savez, d’abord je suis journaliste [...] J’ai toujours été le même homme. Euh... bon, il se trouve que dans l’univers de France Inter, euh, on peut faire un certain nombre de choses. Et on les fait au mieux. Mais je me pose pas les questions, vous savez... c’est : qu’est-ce qui se passe ? qu’est-ce qu’il y a de nouveau ? C’est euh, donner l’info. Ensuite, l’illustrer dans la diversité des opinions [...] Ensuite on essaie de mettre l’information en perspective, c’est-à-dire de donner du sens aussi à l’information. Et puis voilà ! J’ai toujours considéré ce métier avec beaucoup d’humilité. J’ai pas l’impression d’avoir une mission à remplir !  »[Souligné par nous].

Pas très clair tout ça... Illustrer l’information dans la diversité des opinions ? Comme si la diversité des opinions n’était pas partie intégrante de l’information... Pas de mission à remplir ? Même pas une mission de service public ?

 Question de psychologie - Les Dernières Nouvelles d’Alsace sont sur la brèche... Après avoir, dans son éditorial du 10 février 2005, ridiculisé les opposants au Traité constitutionnel européen et même malmené ceux qui étaient susceptibles de l’approuver (lire : « Les DNA méprisent les lecteurs et l’électeur »), Olivier Picard profite dans son éditorial du samedi 19 février sur le référendum espagnol qui devait se tenir le lendemain pour enfoncer le clou : « Mais le résultat final pèsera lourd non seulement pour l’Espagne mais aussi pour le reste de l’Europe. Il faut se souvenir que l’adoption difficile du traité de Maastricht avait commencé par un surprenant « non » danois. Cette fois les Espagnols donneront le « la » de neuf référendums et seize procédures parlementaires dans lesquels la psychologie jouera un rôle certain. Par comparaison, les hésitations françaises pour fixer la date du référendum semblent bien poussives . Le « oui » commence par un « si » sonore.  » . Ouf ! A défaut d’arguments (pas la peine : le peuple est irrationnel), il ne reste que la psychologie. La bonne psychologie, bien sûr : celle qui, venue d’Espagne doit pousser à voter « Oui ».

IV. En guise de bilan provisoire

 Une semaine bien remplie (17-23 février). Dans un communiqué daté du 26 février 2005, que l’on peut (lire ici même : « Pour une information honnête pendant la campagne du référendum  ») des partis politiques, syndicats et associations relèvent notamment :

« Le journal Les Échos, par exemple, du 17 au 23 février, a publié 23 articles, brèves, entrefilets, chroniques relatifs au référendum. Le "oui" a été mentionné 18 fois (78 %). Le "non" est systématiquement traité à partir du camp du "oui" ; il est présenté comme un risque ; il serait négatif et tournerait le dos à l’Europe ; il est associé à la "grogne sociale". Quand il est mentionné, il est quasiment toujours représenté par le "non" de droite ou d’extrême droite. [...]

L’émission "Question directe", sur France Inter, depuis septembre 2004, a invité 16 fois le Parti socialiste (dont 4 membres favorables au "non") ; 15 fois l’UMP ; 6 fois l’UDF ; 2 fois le PCF ; 1 fois les Verts (dont le représentant était favorable au "oui") ; 1 fois Philippe de Villiers. Au total : 34 personnalités favorables au "oui" et 6 favorables au "non".

L’émission "Respublica", sur France Inter, depuis mai 2004, a invité 9 fois le PS (dont 2 représentants favorables au "non") ; 11 fois l’UMP ; 3 fois l’UDF ; 2 fois le PCF ; 3 fois les Verts (tous les représentants étaient favorables au "oui") ; 1 fois le MRC ; 1 fois la LCR. Au total : 24 personnalités favorables au "oui" et 7 favorables au "non". »

 Le pire n’est pas encore sûr, mais... Si rien ne vient contrecarrer la mobilisation médiatique en cours, il apparaîtra une fois de plus [3], quelle que soit la position que l’on adopte face au « Traité » et quelle que soit l’issue du scrutin, que les médias dominants auront outrageusement favorisé une position au détriment d’une autre ; qu’ils n’auront pas rempli leur fonction d’information sur le contenu du Traité ; que l’information aura été dévorée par les commentaires ; et que la mobilisation monomaniaque aura absorbé la polyphonie des arguments. Fiers de leur « pluralisme » à sens unique, ils s’affligeront de la crise de crédibilité qui les mine sans s’interroger sur la disproportion entre une scène médiatique dominée par le « oui » et les suffrages du pays réel. Ils continueront à gloser sur le « déficit démocratique » dont ils sont les acteurs et pleurnicheront de ne pas être mieux écoutés par des lecteurs, auditeurs et téléspectateurs qu’ils traitent comme des moutons (consentants ou réfractaires) ou comme la matière première de leurs commentaires nécessairement avisés.

 
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Notes

[1Cet article sera peut-être ultérieurement complété et précisé

[2Bernard Langlois, dans son bloc-notes de Politis (17 février 2005) commente, sur un ton semblable à celui de Val : « Multiples exemples [de la campagne hostile à la CGT]. Le plus corsé sous la plume de Philippe Val, dont la dérive libérale n’est plus à démontrer, dans un édito particulièrement crapoteux. Et c’est dans Charlie, le canard de l’irrévérence et de la contestation tous azimuts, qui abrite encore quelques bons bougres (comme Siné ou Charb) dont on se demande comment ils ne s’y sont pas déjà asphyxiés. Depuis qu’il blablate sur Inter et devient un habitué des "débats" télévisés entre éditorialistes bien-pensants, Val ne se sent plus. Ne sois pas jaloux de Wolinski, cher Philippe. Toi aussi tu l’auras, ta rosette !  ».

[3Relire « Les cabris de Maastricht », extrait des Nouveaux chiens de garde, de Serge Halimi

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