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Quand les rédactions sont dépossédées du choix de leur Une

par Maxime Friot,

Depuis avril, des Unes de Marianne, Challenges et Paris Match ont été imposées par les directions, davantage préoccupées par les désidératas du propriétaire que par l’avis des journalistes.

1/Marianne, Une du 21 avril



Dès le 19 avril, la société des rédacteurs de Marianne publie un communiqué :

La société des rédacteurs de Marianne (SRM), réunie en assemblée générale, dénonce une atteinte inédite à son indépendance. L’actionnaire principal du journal est intervenu directement pour modifier la « Une » du numéro à paraître ce jeudi 21 avril 2022. Le contenu initial de ce qui devait apparaître sur cette « Une » avait été établi à l’issue de deux réunions collégiales associant la direction et l’ensemble de la rédaction. Un consensus clair s’était dégagé pour établir une distinction factuelle entre les deux candidats sans pour autant dicter leur conduite à nos lecteurs. Cette ingérence de notre actionnaire majoritaire, Daniel Kretinsky, constitue une attaque grave contre l’indépendance éditoriale de Marianne. […]

Et de présenter ce qui constituait la « version originale » :



La directrice de la rédaction, Natacha Polony, publie à son tour un communiqué le 20 avril, dans lequel elle déclare avoir « décidé d’entendre l’ensemble des sensibilités composant l’équipe rédactionnelle, tout en étant attentive aux souhaits du groupe CMI de ne laisser planer aucune ambiguïté quant à la position de notre hebdomadaire ». Arrêt sur images, qui a contacté la direction de CMI, a eu droit à cette réponse : « Les rédactions sont entièrement indépendantes. Il n’y a jamais d’intervention de la part de qui que ce soit. »


2/Challenges, Une du 9 juin



Le 8 juin, le bureau de la société des journalistes de Challenges publiait un communiqué interne, cité par Libération :

« Le 1er juin, un large consensus s’était pourtant exprimé au sein de la rédaction, y compris dans les rangs de la rédaction en chef, contre le choix de cette couverture », écrit la SDJ. Avant d’ajouter que « l’exacte similitude de ces deux couvertures porte à croire que l’extrême droite et l’extrême gauche sont des dangers de même nature. Pour autant, la direction du journal a maintenu son projet. Le bureau de la SDJ condamne ce passage en force et ce choix éditorial ».

La Une du 9 juin était en effet l’exact pendant de celle du 13 avril :



Et Libération d’expliquer :

À Challenges, le choix de la une revient à un triumvirat composé de l’actionnaire majoritaire et directeur du journal Claude Perdriel, du directeur de la publication Vincent Beaufils, et du directeur de la rédaction Pierre-Henri de Menthon. « Là, les trois, unanimement, ont tranché en faveur de cette couverture alors que plusieurs rédacteurs en chef s’y étaient opposés, de même que la plupart des auteurs des articles de cette une », explique un journaliste.

Ce que confirme en substance Pierre-Henri de Menthon auprès de Libération. Le directeur de la rédaction récuse l’idée de « passage en force » : « Le 1er juin, lors de notre réunion sur l’actualité qui a lieu tous les mercredis matin, j’ai évoqué l’idée que nous avions eue de faire la même une que sur Marine Le Pen. Le débat a eu lieu avec la rédaction. Moi, j’ai dit que j’étais favorable à cette idée, que j’estimais que Mélenchon et Le Pen étaient deux dangers. Il y avait aussi un coup marketing à faire en reproduisant cette une. Tout le monde ne partageait pas mon avis. J’ai dit que je prenais note. » Pour lui, la décision de choisir cette une s’est donc faite « en toute transparence », et seule une partie de la rédaction, qu’il réduit aux membres du bureau de la SDJ, était contre : « Ce n’est pas la société des journalistes qui décide des unes de Challenges. »

C’est dit.


3/Paris Match, Une du 7 juillet



Le 6 juillet, la société des journalistes de Paris Match publie elle aussi un communiqué :

La société des journalistes de Paris Match s’indigne du choix de mettre le cardinal Sarah en couverture du magazine cette semaine. Ce prélat est peu connu du grand public et se définit lui-même comme « radical », défendant des positions très clivantes. […] Nous soutenons l’initiative de notre rédaction en chef qui, le jour du bouclage, a tenté de convaincre la direction du groupe Lagardère de revenir sur son choix de Une. Malheureusement sans succès. La rédaction proteste contre cette ingérence de la direction du groupe dans les choix éditoriaux de Paris Match. Dans ce contexte d’OPA de Vivendi sur Lagardère, nous espérons tous qu’elle ne signe pas un virage éditorial mettant en cause notre indépendance.

« Je garantis votre indépendance » a néanmoins répondu Constance Benqué, la directrice de Lagardère News (la holding qui concentre les médias du groupe Lagardère), citée par Les Jours.


***


Ces trois exemples viennent s’ajouter à la longue liste des pressions et décisions des propriétaires de médias et de leurs hommes liges sur les choix éditoriaux de leurs médias. Ils rappellent l’importance de confier aux rédactions la maîtrise de leur ligne éditoriale, et non à leurs actionnaires !


Maxime Friot

 
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