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Quand Les Dernières Nouvelles d’Alsace gourmandent les ministres

par ColMar, Stanislas,

Décidément, Olivier Picard est actuellement très remonté. Après avoir tancé d’importance les électeurs appelés à se prononcer en juin prochain sur le Traité Constitutionnel Européen (voir « L’Europe, l’Europe : Les DNA méprisent les lecteurs et l’électeur »), le voici qui a décidé d’abord d’expliquer à François Fillon comment il convient de s’y prendre pour être un bon ministre, puis de venir au secours d’Hervé Gaymard, ministre en péril.

Comment gourmander un ministre « piteux ».

Le lundi 14 février, Olivier Picard prend à partie - c’est le titre - « La désinvolture de François Fillon ». Question initiale : « Faudra-t-il que les candidats au poste de ministre de l’Education nationale passent un examen de psychologie avant d’entrer en fonction ? » Voilà assurément une piste à suivre ! Plus sérieusement, Olivier Picard a de toute évidence décidé d’une entrée en matière vigoureuse et un rien condescendante, fâché qu’il est : « Les revirements de François Fillon à propos du baccalauréat apparaissent tout bonnement sidérants pour une réforme présentée comme une priorité absolue du gouvernement dans la perspective de la deuxième partie de la législature. Comment pouvait-on arriver à un tel cafouillage au terme d’un processus de consultation inédit qui, avec le grand débat national, a mobilisé les Français, et coûté cher ? » Résumons l’argument : si déjà ce projet de réforme est censé être important, alors il aurait dû être mieux préparé. Mais qu’entend précisément Olivier Picad par là ?

Début de réponse dans ce qui suit : « La piteuse reculade du ministre, à moins de quarante-huit heures de l’ouverture de la discussion au Parlement de son projet de loi sur l’école, ne sauvera pas ce rendez-vous d’une impression de ratage absolu. En voulant calmer les lycéens pour préserver son image devant la représentation nationale, M. Fillon accentue, au contraire, un sentiment de faiblesse qu’il n’est jamais parvenu à dissiper depuis son entrée rue de Grenelle. Rarement un texte aussi important n’aura été précédé par une réputation aussi médiocre. »

Ah, on commence à voir : il aurait fallu que ce texte soit gravé dès le départ dans le marbre, intangible et définitif. Un ministre qui se respecte n’a pas à « reculer » devant des manifestants, ni à susciter « un sentiment de faiblesse ». Cette faiblesse, cette couardise même, qu’Olivier Picard pointe ainsi, est de toute évidence indigne d’un ministre ! Ah, si on pouvait faire passer un « examen de psychologie » ! Presque incidemment, Olivier Picard glisse ainsi que le défaut majeur du projet Fillon est d’avoir « été précédé par une réputation aussi médiocre », laissant ainsi entendre que le texte était bon, mais que certains n’y ont rien compris ... air connu. Pas un mot, surtout, pour préciser que jusqu’à présent, seules les dispositions concernant le Baccalauréat sont reportées, ou pour rappeler les conditions du si fameux « grand débat sur l’Ecole » ...

A présent, notre éditorialiste ne prend plus de gants et le Ministre de l’Education Nationale n’est plus ménagé, si tant est qu’il l’ait été jusque là ... « Même le groupe UMP a émis des doutes - le mot est faible - sur la consistance du dispositif gouvernemental destiné à assurer « la réussite de tous les enfants » ! [...] Nicolas Sarkozy, lui, a cru bon de fustiger le retour des forces de l’immobilisme qui contrarieraient l’élan réformateur de M. Fillon. Une défense bien charitable pour venir au secours de ce qui apparaît comme une démarche provocatrice ou inconsciente - c’est selon - du ministre.Toucher au bac, c’était inévitablement appuyer sur un abcès du système. Désormais, le mal est fait et c’est toute la réforme qui en devient illisible et inaudible. »

Bigre ! Notons bien que ce n’est pas ici que nous reprocherons à un journaliste de critiquer vertement le pouvoir en place ; seulement voilà : il est tout de même regrettable qu’à nouveau, Olivier Picard semble seulement suggérer, sans trop avoir l’air d’y toucher, que le projet Fillon lui paraissait intéressant (« c’est toute la réforme qui en devient illisible et inaudible »), au lieu de le faire savoir clairement. De plus, l’« abcès du système » (sic) que serait le Bac fait furieusement penser à ces reproches récurrents d’immobilisme, donc d’archaïsme, etc., qui sont faits à tout ce que l’Education Nationale compte de « fortes têtes » ! Où l’on se rappelle qu’on peut être remonté contre le gouvernement actuel parce qu’il ne serait pas encore assez libéral ...

Toujours est-il que la fin de l’édito est féroce : «  Jamais, de toute façon, M. Fillon n’a semblé être porté par une quelconque vision. Comme s’il s’acquittait d’une mission par devoir avec le souci de se débarrasser du fardeau au plus vite. Le résultat est là : un projet bâclé. Mal ficelé, mal financé, avec un ministre hésitant jusqu’à l’incohérence : au moment où le gouvernement jure, main sur le coeur, qu’il rêve toutes les nuits de l’avenir de l’école, l’administration de l’Education nationale continue de fermer des classes pour en surcharger d’autres, au nom de la rationalisation d’un système trop coûteux. Ce n’est même plus une politique de gribouille. Une incroyable désinvolture... » Fermez le ban ! Ici encore, rien pour signaler que le projet Fillon, que ce soit pour le Bac ou l’ensemble de l’Education Nationale, s’inscrit plutôt dans la continuité des projets proposés par ses prédécesseurs, ce que le ministre s’est vu reprocher par beaucoup, justement.

Enfin, notons que, selon notre éditorialiste-donneur de leçons, « Jamais, de toute façon, M. Fillon n’a semblé être porté par une quelconque vision. » Et si Olivier Picard nous indiquait là que pour lui, François Fillon n’est pas un bon candidat pour Matignon ?

Que conclure de cette envolée ? Que le commentaire sur la « méthode » tient lieu de prise de position sur le fond. Mais sur la méthode elle-même, on a le désagréable sentiment qu’il s’agit pour Olivier Picard, en prenant les lecteurs à témoin, d’inciter le gouvernement à passer en force sur le sujet du jour ... Démocratie, quant tu nous tiens !

Mais l’éditorialiste n’a pas fini de s’adresser aux gouvernants en affectant de s’adresser aux lecteurs.

Comment sauver un ministre en péril ?

Olivier Picard, décidément en grande forme, s’y essaye à nouveau dans son éditorial du 18 février titré « Les plombs de Gaymard ». Entendre, non qu’il soit la cible d’un fusil à plombs, mais qu’il est plombé et c’est dommage, selon notre éditorialiste.

Comment parler de l’affaire de l’appartement du ministre Gaymard tout en dédouanant ce dernier ? Exercice difficile que l’éditorialiste des DNA tente cependant en filant d’abord une métaphore cinématographique. Ainsi évoque-t-il « ce mauvais scénario de téléfilm ». Un casting erroné donc : « Gaymard n’avait pas vraiment le profil pour endosser le rôle qu’il a bel et bien tenu ». S’il s’agit d’un rôle, c’est quelque chose qu’on endosse et donc l’homme Gaymard ne serait pas en cause ; c’est une mauvaise distribution (par quel metteur en scène ?) qui lui a fait endosser une posture qui n’est pas la sienne. Subtile manière de dédouaner l’homme tout en condamnant sévèrement son comportement.

Picard ne tarit pas d’éloges pour Gaymard : « un type intelligent, plutôt simple, plutôt modeste (six cent mètres carrés !) ». Mais alors comment expliquer ce qui est arrivé ? Par un « pétage de plomb inattendu » ! Bon sang, mais bien sûr ! Tout s’explique donc par « la soudaine folie immobilière du ministre ». Une nouvelle maladie mentale non encore répertoriée dans le DSM 4 états-unien. Une crise aigue, aussi vite terminée que brutale. Nous voilà rassurés. Mais pas vraiment si on lit la suite

« Les explications données hier par le ministre aggravent son cas ». Il aurait dû reconnaître « qu’il avait perdu le sens de la mesure ». La folie, vous dis-je !

Cependant, de façon effectivement pertinente, Picard donne de nombreux exemples de « la coupure de nos élites politiques avec le réel » : « Trop de responsables politiques ne savent plus ce que c’est que faire la queue à un guichet de sécurité sociale, aux allocations familiales, au supermarché. N’ont plus fait une sortie d’école depuis longtemps. Ou vécu l’expérience passionnante et terriblement chronophage d’un passage à la poste aux heures de pointe pour récupérer une lettre recommandée. »


Et cette coupure les fait « paraître parfois comiques » : « C’est souvent drôle, mais il n’y a pas de quoi en rire ». Ce qui attriste le plus notre éditorialiste c’est ce qu’il désigne désormais, avec une soudaine modération, comme une « maladresse grossière ». Mais le plus grave ce n’est pas ce que cet épisode (qui n’est pas unique : rappelons-nous de la location de l’appartement pour le fils d’Alain Juppé) révèle, mais l’hypothétique conséquence de la « maladresse » : elle va « handicaper l’ascension politique de ce jeune homme légitimement premier ministrable », (encore un !). On compatit.

Et notre éditorialiste, branché M6, termine par une autre métaphore, musicale cette fois : « Il (Gaymard) risque d’être désormais inaudible sur bien des sujets où sa voix aurait pu apporter une tonalité différente ». Appauvrissement du vivier musical- politique de la droite ! Un seul chanteur vous manque et le music hall est dépeuplé ! Et au lieu de rappeler, ce qu’on aurait attendu d’un tel papier, une conclusion politique démocratique inspirée de Montesquieu, « Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser » ou, autre formule, de Lord Acton au 19e siècle : « Le pouvoir corrompt. Le pouvoir absolu corrompt absolument. », Olivier Picard nous balance le titre d’une chansonnette « Le succès rend con », de Steve Estatof, la nouvelle star de M6- on est people ou pas -, vous connaissiez ? Et s’interroge pour savoir « si ce poncif est vrai aussi en politique ».

On l’a compris : le grand art de l’éditorialiste consiste à dissimuler des prises de partie politique derrière de vigoureuses admonestations morales et de sentencieuses leçons de communication. Le lecteur est-il dupe ? On ne sait. Mais la posture de l’éditorialiste de manque pas d’intérêt : Gouverner moralement les gouvernants, quel beau magistère !

Colmar et Stanislas

 
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