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Patricia Chapelotte : ascension médiatique d’une communicante en marche

par Laurent Jubert,

Samedi 13 juillet, dans l’émission 24h Week-end diffusée sur LCI, plusieurs éditorialistes passés ou en devenir sont priés de commenter « l’affaire » concernant François de Rugy, épinglé par Mediapart sur ses dîners et travaux aux frais du contribuable. À l’époque, le futur ex-ministre de la Transition écologique et solidaire n’a pas encore cédé à ce que qualifie de « tribunal médiatique » l’une des invités, présentée sous l’étiquette neutre de « communicante » : une certaine Patricia Chapelotte.

Autour de la table de LCI, quatre personnes : d’un côté Béligh Nabli, présenté comme le directeur du site web Chronik.fr [1], accompagné de François de Closets, chien de garde d’un autre temps [2] ; et de l’autre, Olivier Babeau et Patricia Chapelotte, tous deux très sobrement présentés comme « économiste et essayiste » pour l’un, et « communicante » pour l’autre.



Bénédicte Le Chatelier, au centre, encadre la cérémonie. Celle d’une forme désormais répandue de journalisme qui prospère dans l’analyse bon marché d’une poignée de professionnels du bavardage et de la communication : le journalisme de commentaire.


Le degré zéro du pluralisme


Une cérémonie à nouveau dépourvue de tout pluralisme… À commencer par le pluralisme « sociologique » : ce soir-là sur LCI, ce sont ainsi trois dirigeants de leur propre entreprise ou institut que l’on invite au bavardage, dont un ancien journaliste issu d’une dynastie d’ingénieurs, diplômé de Sciences Po Paris, et un ancien professeur ayant enseigné dans la même école [3].

Ce relatif entre-soi, n’est certes pas nouveau sur les plateaux « débats » des chaînes d’information en continu. Reste que les « intellectuels médiatiques » d’hier ont aujourd’hui cédé un peu de leur place aux directeurs d’instituts ou de think-tanks, et aux communicants en tout genre. Ils accompagnent ensemble la « meute des éditocrates » [4], toujours disponibles pour défendre l’ordre en place.

La pauvreté sociologique n’incommode pas beaucoup les grands médias qui, pour remplir leurs plateaux, même en été, multiplient les émissions de « débat » avec les mêmes bons clients. Pratiqué de cette manière, le pluralisme ne reste jamais qu’à l’état de fable, qui doit à la multiplicité de ces débats ce que la variété alimentaire doit à la multiplicité des formes de pâtes.

Car le plateau témoigne également de la misère du pluralisme politique dans les débats télévisés, même si cela n’apparaît pas d’emblée, tant les présentations des convives sont réduites à la portion congrue. Ainsi « l’économiste et essayiste » Olivier Babeau, dont l’animatrice aurait pu mentionner les engagements auprès de la droite de gouvernement : en tant que membre du cabinet de Roger Karoutchi, alors ministre des Relations avec le Parlement sous le gouvernement de Sarkozy. Il aurait par ailleurs « inspiré » le candidat Fillon comme le candidat Macron lors de la campagne présidentielle de 2017, comme nous renseigne Le Figaro [5]. Mais de tout cela, il ne sera fait aucune mention.

Que l’on convoque Olivier Babeau, l’un de ces nombreux économistes libéraux patentés [6] dont on se garde toujours bien de mentionner les proximités idéologiques – même lorsqu’elles sont assumées – ne surprend même plus. En revanche, la présence récurrente de communicants sur les plateaux de télévision aux côtés des rituels « experts », a de quoi questionner : que pourraient bien « décrypter » des auxiliaires de l’exploitation médiatique au sein même des médias qu’ils cherchent d’ordinaire à exploiter ?

Présentée simplement comme « communicante et présidente d’Albera Conseil », Patricia Chapelotte livre donc, dans un premier temps, son « expertise » sur le traitement de l’« affaire de Rugy » :

Là on est effectivement dans un débat sur quelque chose qui n’est pas à ce stade répréhensible par la loi. On est dans un tribunal médiatique ! […] L’opinion et l’émotion, donc c’est là où à un moment donné il faut essayer d’arrêter, enfin moi je… je trouve ça assez détestable […] On est dans un espèce de débat hystérique où on sait pas quelle est la règle.

Puis, revient dans un second temps sur la gestion de cette affaire par le gouvernement :

C’était compliqué pour le Premier Ministre, sur une information qui venait de Mediapart sans être totalement vérifiée, de le débarquer ; parce que ça veut dire que on est… On vit à la pression au tribunal médiatique, comme je disais tout à l’heure, et sous couvert de trois chaînes d’info, on vire tout le monde ! [sic]

Son constat est sans appel : le ministre est victime d’un « tribunal médiatique », auquel le gouvernement a raison de ne pas céder. La « communicante », dont rien n’indique un éventuel engagement partisan, semble mieux renseignée que les journalistes de Mediapart – qui n’auront, une fois de plus, pas la possibilité de défendre une enquête accusée, par des non-journalistes, de ne pas être « totalement vérifiée » [7]. D’autant que sa tirade fait l’unanimité apparente sur le plateau.


Fière d’être marcheuse


Mais qui est Patricia Chapelotte au juste ? Un rapide tour d’horizon de ses publications sur les réseaux sociaux révèle son intérêt pour les membres du gouvernement Macron, ainsi que pour leurs « projets » :


(cliquer pour zoomer)


Un intérêt si vif qu’il l’a d’ailleurs conduite – sans doute pour raisons professionnelles – à se rendre à un meeting de Benjamin Griveaux, ou encore à célébrer publiquement l’anniversaire des deux ans de la République en marche [8] :



Simple curiosité ? Engagement plutôt, comme le rapporte La Lettre A : Patricia Chapelotte pourrait être candidate sous l’étiquette LREM à la mairie du 16e arrondissement de Paris [9]. Dès lors, il devient difficile de lui nier le statut de militante « en marche », sinon au moins une proximité évidente. Des éléments de contexte qui expliquent mieux sa « plaidoirie » à décharge du ministre de Rugy, mais également du Président de la République face au « tribunal médiatique » dans une autre de ses interventions au cours de l’émission :

Si on sent que cette affaire empêche [François de Rugy] de porter un projet important du Président de la République qui est la transition écologique, il faut qu’il parte ! Malheureusement, il faut qu’il parte ! Parce que, autrement, le Président va être encore mis à mal, et on va essayer d’éviter un deuxième feuilleton d’été qui n’a pas aidé le Président de la République l’année dernière… Et puis, trouver quelqu’un d’autre ! Il y a sûrement des talents… Brune Poirson est très bien !

Il est évidemment du droit le plus strict de Patricia Chapelotte d’avoir des sympathies pour La République en marche – tout comme de celui des médias de l’inviter – même au point de s’en faire la conseillère stratégique en direct de LCI. En revanche, qu’il n’en soit fait aucune mention auprès des téléspectateurs témoigne d’une pratique médiatique qui, quoique commune, n’en reste pas moins problématique.

Est-il devenu normal, parmi les journalistes de commentaire, d’être à ce point favorables au pouvoir en place qu’ils auraient à consentir un effort inconcevable pour relever ce penchant chez leurs invités ? Un effort que ces mêmes journalistes sont pourtant capables de produire lorsque les intervenants sont syndicalistes, opposés à la politique du gouvernement, ou tout simplement, de près ou de loin, engagés « à gauche » [10]...

Malgré son engagement partisan, Patricia Chapelotte peut ainsi tenir un discours favorable au gouvernement en bénéficiant de l’étiquette de « communicante ». Un discours présenté comme « neutre », et accueilli comme tel par la présentatrice.

On peut gager que la nouvelle vocation de « professionnelle du commentaire en plateau » de Patricia Chapelotte ne lui permet pas seulement d’exprimer ses partis pris sous le couvert de la neutralité… En dehors de ses propres interventions, il demeure en effet que celle-ci est payée à soigner l’image médiatique de ses clients, parfois gros, souvent politiques [11], et que sa présence en plateau n’a finalement peut-être pas grand-chose à voir avec le hasard, et sans doute beaucoup à voir avec ses intérêts personnels et professionnels, actuels ou futurs. En effet, on trouve parmi la description des fonctions de son agence Albera Conseil, publiques sur le site web de cette dernière, un volet pour le moins éclairant :



Des objectifs somme toute « banals » pour une « agence de communication d’influence », mais qui permettent de mesurer le degré de conflits d’intérêts potentiels lorsque ses « agents », en bonne entente avec les journalistes, mettent à profit les réseaux qu’ils entretiennent dans un cadre dit « professionnel », pour ensuite les utiliser afin de servir leurs carrières personnelles (voire politiques). Bref un mélange des genres qui ne manque pas d’évoquer, même dans un contexte bien différent… une certaine « affaire de Rugy » !


***


La présence récurrente [12] de Patricia Chapelotte en plateau illustre la porosité de l’industrie de l’information avec des intérêts privés, sa proximité grandissante avec le business du conseil et de la communication, autant que le fonctionnement en petit cercle fermé du système médiatique. Le discours de la « communicante » est quant à lui typique des chiens de garde qui l’ont précédée, et témoigne de leur alignement idéologique. Bref, même si Patricia Chapelotte n’en est pas encore à avoir son rond de serviette sur les plateaux, on a potentiellement en devenir, une parfaite éditorialiste.


Laurent Jubert, avec Pauline Perrenot

 
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Notes

[1Il est également directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques, et a travaillé de 2014 à 2017 pour France Stratégie, organisme rattaché au Premier Ministre.

[3C’est en effet le cas de François de Closets, et de Béligh Nabli qui a, selon sa propre biographie, « notamment enseigné (de 2009 à 2017) les "Questions européennes" et les "Questions internationales" à Sciences Po Paris. »

[4Voir notre article « La meute des éditocrates ».

[5Notons également que comme tout bon économiste qui se respecte, Olivier Babeau est en prime à l’origine d’un think-tank, « L’institut Sapiens » créé, toujours selon Le Figaro, aux côtés du très recommandable Laurent Alexandre et du directeur financier d’Accenture, entreprise internationale de conseil financier…

[6Challenges précise même les penseurs économiques qui l’ont inspiré plus jeune : « Étudiant, il s’est plongé avec passion dans Tocqueville, Bastiat et Hayek - « des auteurs trop rarement enseignés », soupire-t-il - et a goûté les écrits du libertarien Murray Rothbard, théoricien de l’anarchocapitalisme. »

[7LCI se rattrapera trois jours plus tard en interrogeant un journaliste de Mediapart, seulement pour lui infliger… un véritable tribunal médiatique, comme le rapportait Arrêt sur images !

[8Les deux captures d’écran reproduites ci-dessous, comme celles du montage précédent, sont issues du compte Twitter de Patricia Chapelotte.

[9Voir l’article, payant, de La Lettre A.

[10Voir, par exemple, le traitement de Valérie Foissey en avril 2018, aide-soignante ayant refusé de serrer la main d’Emmanuel Macron, et dont l’engagement militant à la CGT et à Lutte ouvrière a été presque systématiquement mentionné dans les articles de presse à l’époque, comme celui de Ouest France, ou encore celui de RMC-BFMTV. Rappelons que nous ne critiquons pas ce procédé d’« étiquetage » en soi, mais bien le deux poids deux mesures de son usage médiatique, par lequel certains animateurs exposent leurs intervenants dans un cas en vue de les délégitimer, ou dans un autre cas les couvrent pour dissimuler leurs affinités. Nous en avons également parlé dans des articles consacrés au traitement de journalistes indépendants, de chercheuses comme Monique Pinçon-Charlot, ou encore d’historiens osant critiquer les « historiens de garde ».

[11Voir notamment quelques exemples sur son profil LinkedIn.

[12L’Inathèque relève une douzaine d’interventions en 2018 http://inatheque.ina.fr/.

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