Acrimed - Christophe Naudin, vous avez co-écrit un livre avec Aurore Chéry et William Blanc à propos des « historiens de garde » [2] qui sont particulièrement présents dans les médias. Pourriez-vous présenter le livre et la manière dont il a été reçu dans les médias ?
Christophe Naudin : On a commencé en 2012, avec William Blanc, à écrire chacun sur nos sites internet respectifs. À l’époque c’était « L’Histoire pour tous » pour moi, un site internet généraliste, et William avait son site « Goliards ». Le hasard a fait qu’on s’est intéressés tous les deux au « phénomène » Métronome de Lorànt Deutsch, qui était acclamé par les médias alors que son approche était très orientée, faisant l’apologie de la monarchie, et réhabilitait un roman national fantasmé. On a écrit des articles sur nos sites respectifs qui ont été très lus. Ça nous a permis ensuite, rejoints par Aurore Chéry, de faire le bouquin sur les historiens de garde. Il s’agissait d’évoquer le cas des Franck Ferrand, Éric Zemmour ou Michel Onfray, qui, comme Lorànt Deutsch, contribuent à réhabiliter dans les médias une version étroite et orientée de l’histoire. À partir de là, on a beaucoup été sollicités, en lien avec ce livre, et très vite ça tombait dans la demande de polémique. On n’était pas dupes, mais on a commencé à sérieusement se méfier du rapport aux médias, après avoir vu concrètement le « deux poids deux mesures » ; c’est-à-dire comment les dispositifs pouvaient s’avérer en notre défaveur et laisser beaucoup plus de latitude aux historiens médiatiques.
On a eu des exemples concrets, par exemple pour une émission de Canal + : Aurore et William ont été interviewés pendant trois heures au Louvre pour parler de notre livre, et le journaliste leur avait dit que Lorànt Deutsch ne serait pas en plateau. La veille de la diffusion, on apprend qu’il sera finalement en plateau. On a regardé l’émission : il avait toute latitude pour réagir à l’extrait d’Aurore et William, avec trois fois plus de temps que nous. Il y a eu plusieurs autres expériences comme ça. Une fois, Aurore a été interviewée pour France 5, elle a été très largement coupée au montage. Plusieurs fois, on a été présentés, de façon caricaturale, comme des agitateurs gauchistes. Le Nouvel Obs m’avait sollicité pour réagir sur un propos de Lorànt Deutsch, et c’est moi qui leur ai dit : « ce serait bien que je puisse dire dans l’interview que je ne suis pas affilié au Parti de gauche ». On peut très vite nous reprocher d’être historien « militant », ou historien engagé, c’est une façon de nous délégitimer. Bref, on était souvent dans une situation de devoir se justifier. Très vite, on se retrouvait face à des journalistes qui avaient un traitement à géométrie variable, c’était un peu fatigant, donc on a pris un peu de recul. Par la suite, on a réagi, soit à notre initiative, soit vis-à-vis de demandes précises : par exemple, quand Lorànt Deutsch, encore lui, a sorti son bouquin Hexagone, avec une version très orientée et bancale de la bataille de Poitiers, on a vraiment fait le tri vis-à-vis des demandes médiatiques.
Acrimed - Comment expliquer que les historiens de garde aient tant de crédit médiatique ?
Christophe Naudin : C’est une question difficile. Les historiens de garde font partie du « système », certains comme Stéphane Bern sont producteurs et disposent de position de pouvoir dans les médias. Quelque part, c’est ce « système » qui se défend. Et puis il y a parfois une question de paresse ou de manque de temps. J’ai été interviewé, des fois, par de très bons journalistes, qui étaient intéressés par le sujet mais qui disaient clairement qu’ils n’avaient pas pu fouiller, donc il fallait que j’aille droit au but, j’étais obligé de simplifier, et comme tout est complexe… c’est un autre type de problème.
Manon Bril : Ce n’est pas forcément du crédit, mais les journalistes se disent : « c’est cette personne là que les gens ont envie de voir », même si c’est pour se moquer de lui, ou pas. Mais ça fait parler, ça donne envie de voir, donc on lui accorde plus de temps, parce que ça va faire de l’audience.
Christophe Naudin : Les journalistes pensent que les gens veulent voir Lorànt Deutsch, mais on ne leur propose rien d’autre. Et lorsqu’on le fait, sur internet par exemple, ça marche aussi. Donc il y a des choix notamment du service public, puisque ces gens-là sont tout de même mis en avant et financés par le service public.
Guillaume Mazeau : Lorànt Deutsch n’est pas le seul, il y a évidemment Stéphane Bern, il y a Michel Onfray, qui se présente d’abord comme un historien de la philosophie plus que comme un philosophe. Leur succès repose beaucoup sur un ressort, un discours de vérité opposé à celui de l’université qui délivrerait un savoir d’élite, un savoir officiel, une sorte de propagande. Et évidemment, c’est beaucoup plus intéressant et croustillant d’aller dans ce sens. En réalité, c’est une manipulation.
Acrimed - Il y a aussi toute une mécanique médiatique qui, au nom du spectacle, bénéficie aux « polémistes ». Nous y étions revenus dans un précédent article à propos d’Éric Zemmour. Ils jettent un pavé dans la mare, et tout le monde est sommé (par les médias) de réagir sur des débats mal posés.
Christophe Naudin : C’est une des raisons pour lesquelles on ne répond plus à Lorànt Deutsch, parce qu’on sait qu’il le cherche, et on pense que ça a été relativement efficace. Lorsqu’on lui avait répondu à propos de la bataille de Poitiers, ça avait fait débat entre nous, avec William et Aurore. Est-ce que la polémique servait à quelque chose ? Après on a enchaîné sur un travail de fond, avec le livre [3]. Donc ça c’est important, de ne pas rester dans la polémique. La polémique alimente la machine médiatique.
Catherine Kikuchi : On a eu exactement le même débat sur Éric Zemmour, très récemment au sein d’« Actuel Moyen Âge » [4]. Florian Besson et Simon Hasdenteufel ont écrit un article qui reprend un chapitre sur les croisades de Zemmour où il raconte n’importe quoi. On a essayé de faire l’article le plus factuel possible, en reprenant une phrase de Zemmour et en réfutant point par point. À la suite de ça, on a reçu une espèce de torrent sur Twitter, assez impressionnant, et c’est pas toujours très agréable. Ce qui me fascine, c’est qu’il n’y a plus de faits, plus de vérité… les réactions qu’on avait suite à l’article contre Zemmour c’était ça : « Zemmour a sa vérité, vous avez votre vérité. » Il y a une part d’interprétation de l’histoire, évidemment, une part de subjectivité dans la manière dont on aborde les choses, mais derrière, il y a des sources, il y a des faits, une méthode, et je pense que c’est important de rappeler ça.
Christophe Naudin : C’est vrai que c’est un choix des médias. Ils invitent Zemmour, et le journaliste n’est pas un contradicteur, il est là pour lui passer des plats, il peut dire n’importe quoi effectivement, même si le journaliste sait qu’il dit n’importe quoi, il va estimer que son rôle n’est pas d’apporter la contradiction.
Acrimed - Le discours de dévoilement ou de vérité des historiens de garde apparaît dans de nombreux titres d’émission grand public, comme « L’ombre d’un doute » de Franck Ferrand sur France 3 ou « Secrets d’histoire » de Stéphane Bern, sur France 2. Que pensez-vous de ces émissions ?
Catherine Kikuchi : J’ai regardé une fois « Secrets d’histoire » car c’était sur le cours que j’étais en train de faire à mes étudiants, donc ils étaient tous en train de me dire : « Madame, est-ce que vous l’avez vu ? » Du coup je l’ai regardé, c’était sur la renaissance italienne. Le problème de l’émission que j’avais regardée en gros, tenait aux interviewés : il y avait certes un prof d’histoire-géo de lycée, sauf que tous les autres étaient des romanciers. Des choses très bien ont été dites, mais à côté de ça, il y avait par exemple la reproduction de fantasmes sur l’Italie de la Renaissance ; l’un d’entre eux consistant à dire que les mœurs étaient tellement libres que les femmes pouvaient se balader nues sans problème dans les rues. Un problème plus général réside dans le fait que persiste une vision de l’histoire comme quelque chose de poussiéreux, et d’ennuyeux…
Manon Bril : J’ai l’impression que pour parler d’un sujet historique, tout le monde a son petit vécu, sa petite expérience, et on peut vite avoir, sur un plateau, un journaliste ou un romancier présenté comme un « expert ». Alors que si on pose une question d’économie, on ne va pas inviter un romancier sous prétexte qu’il a écrit un livre qui se passe pendant la crise de 1929.
Christophe Naudin : Des émissions comme celles-ci, on en a regardé notamment quand on a fait Les Historiens de garde, parce qu’on en parlait, et j’en ai revu depuis. J’ai eu l’impression que Bern laissait un peu plus de place à la contradiction. Mais après, c’est un peu comme la fameuse émission de Franck Ferrand sur Robespierre et la Vendée [5], c’est qu’il y a quand même une grosse part pour la thèse qu’ils vont défendre, et puis ils vont laisser quelques miettes à ceux qui disent l’inverse. « Secrets d’histoire » est moins caricatural que l’émission de Franck Ferrand, mais on voit toujours les mêmes têtes et c’est toujours un peu les mêmes sujets, traités de la même manière.
Manon Bril : C’est aussi le problème global de l’émission, c’est-à-dire que c’est quand même l’histoire des « grands », des têtes couronnées, et des grands hommes.
Guillaume Mazeau : Le dispositif donne aux gens une image générale de l’histoire, qui est effectivement que l’histoire est faite par les puissants, et c’est pour ça qu’à un moment, j’ai décidé personnellement de ne plus y aller du tout. J’avais essayé une fois en 2007, en me disant que j’allais peut-être arriver à faire passer un message, et qu’il fallait parler à tout le monde… En fin de compte, c’est le dispositif qui nous mange, et participer à ça, c’est collaborer à la confiscation de l’histoire.
Acrimed - Les historiens de garde ont-ils toujours la main ? Des canaux alternatifs pour un autre manière de raconter l’histoire se sont beaucoup développés sur internet, sur Youtube en particulier. Peut-on dire qu’ils représentent une alternative aux émissions et magazines mainstream d’histoire ?
Christophe Naudin : Concernant Lorànt Deutsch, un des acquis, c’est que les journalistes vont presque toujours lui poser une question critique, donc il est presque toujours obligé de se justifier. Ses livres Hexagone, et Métronome 2 se sont énormément vendus, mais beaucoup moins que les précédents. Ça se compte toujours en dizaines de milliers, voire en centaines de milliers d’exemplaires, mais plus en millions. Franck Ferrand a perdu son émission sur France 3. « L’Ombre d’un doute » a été supprimée, et il a été débarqué d’Europe 1 récemment. Maintenant, il est sur Radio Classique. Il y a des petites choses comme ça. Deutsch a fait une émission il y a quelques mois sur France 2 avec Stéphane Bern, et ça n’a pas marché. Ça a été un échec d’audience, même si apparemment, il va y avoir un deuxième numéro. Stéphane Bern continue à fonctionner, mais il recycle aussi des émissions. C’est toujours en millions de téléspectateurs mais en parts de marché, ça arrive en troisième ou quatrième position.
Manon Bril : Sur le Youtube francophone, il y a de tout… mais il y a aussi de très bonnes chaînes d’histoire. La chaîne la plus importante pour l’histoire en France est « Nota Bene », avec presque 900 000 abonnés. L’audience dépend des vidéos. Certaines sont vues autour d’un million de fois, et d’autres des centaines de milliers de fois selon le sujet. Ce sont des grosses audiences, je ne sais pas si c’est comparable à « Secrets d’histoire ».
Christophe Naudin : Ponctuellement, peut-être, mais je reste persuadé que la télé a toujours énormément de poids par rapport à internet.
Manon Bril : Ce ne sont peut-être pas les mêmes tranches d’âge… Le gros de notre public a entre 18 et 35 ans.
Guillaume Mazeau : À titre de comparaison, le lectorat des livres d’histoire, c’est des hommes de plus de 50 ans. Donc c’est très important de varier les supports.
Manon Bril : Un autre aspect est qu’il y a peu d’historiennes ou d’historiens au sens universitaire (comme c’est le cas pour Clothilde Chamussy, pour la chaîne « Passé sauvage », ou de Laurent Turcot, pour « L’histoire nous le dira »). À ma connaissance, dans le Youtube francophone, nous sommes donc trois. Pour la plupart, ce sont des passionnés, qui ne s’en cachent pas. Benjamin, qui tient la chaîne « Nota Bene », le dit tout le temps : « Je ne suis pas historien, je fais de mon mieux, n’hésitez pas à corriger ». Il se fait relire par des historiens, dans une démarche d’ouverture.
Acrimed - Cela pose la question de savoir qui est légitime pour s’exprimer sur l’histoire.
Christophe Naudin : Tout le monde peut faire de l’histoire, c’est une question de méthode, de respect de la méthode. Ce que fait « Nota Bene », comme tu dis, c’est bien, il est tout à fait clair sur ce sujet. Il essaie de faire des choses, il permet de le corriger, on peut discuter avec lui, cette démarche là, c’est positif. L’histoire c’est d’abord une méthode, ce n’est pas un diplôme.
Catherine Kikuchi : La question de savoir qui est légitime pour parler de l’histoire dans les médias de manière générale est un problème sur lequel on n’est pas forcément tous d’accord parmi les historiens. Lorànt Deutsch, dans sa récente émission avec Stéphane Bern sur France 2, s’est présenté comme un linguiste, c’était écrit dans le bandeau quand il s’exprimait. Une manière facile de répondre dans ces cas-là, c’est de dire : « Vous n’êtes pas historien, vous n’êtes pas linguiste, vous n’avez pas de titre universitaire ». Mais je pense que ce n’est pas forcément très satisfaisant, parce que l’histoire appartient à tout le monde, la linguistique appartient à tout le monde… Il faut en revanche expliquer ce qu’est une méthode d’historien, mais ça prend du temps.
Guillaume Mazeau : C’est pour ça que c’est le piège : on est obligé de déconstruire, et de raconter en même temps. Donc évidemment, les armes ne sont pas égales. À cela s’ajoute une réalité, qui explique en partie leur succès, qui repose sur du ressentiment : les universitaires sont en tant que tels perçus comme des « élites » intellectuelles et sociales. Ce qu’on n’est pourtant plus depuis longtemps ! Mais si on surjoue l’argumentaire « Moi j’ai un titre, et tu l’as pas », ça nourrit ce processus… « Titre », ça veut dire privilégié en langage d’ancien régime… Donc on n’a pas toujours intérêt à se défendre comme ça dans les médias ; à la fois pour de bonnes et de mauvaises raisons, c’est pour ça qu’on est rejetés.
Manon Bril : Ces rapports se jouent à plein sur internet. Le vidéaste de référence de l’extrême-droite, c’est le Raptor Dissident, qui se présente, comme son nom l’indique, comme « dissident » : « Si vous me suivez, c’est que vous n’êtes pas des moutons, parce que je dis des choses que les autres n’osent pas dire », il y a un discours de cet ordre-là. On en revient à la rupture avec les universitaires et les intellos… le discours le plus académique est déprécié et en réalité, « si on veut me faire taire, c’est parce que j’ai raison ». La méfiance envers l’institution est très forte sur internet.
Acrimed - Guillaume Mazeau, vous faites partie d’un collectif qui a développé une réflexion spécifique vis-à-vis des médias. Il s’agit du « Comité de vigilance sur les usages publics de l’histoire » (CVUH), formé autour de Gérard Noiriel, Michèle Riot-Sarcey et Nicolas Offenstadt, au moment de l’adoption de la loi du 23 février 2005. Une loi qui demandait d’enseigner et d’axer des recherches sur les apports positifs de la colonisation. Pourriez-vous nous en dire plus sur votre rapport aux médias en tant qu’historien ?
Guillaume Mazeau : Notre position, au sein du CVUH, est que les historiens doivent jouer un rôle dans l’espace public, de vigilance, de déconstruction, de réaction par rapport aux usages de l’histoire. L’histoire a une fonction sociale et politique, et elle ne se fabrique que marginalement à l’université. Sur la Révolution française, qui est mon objet d’étude, l’imaginaire social, c’est-à-dire l’image que se forgent les gens de la Révolution, vient surtout des expériences de divertissement et de la culture de masse comme les jeux vidéo (Assassin’s Creed ou le récent We The Revolution), les parcs à thème (le Puy du Fou, qui accueille plus de deux millions de visiteurs par an), de la télé, du cinéma, de la BD, de la culture digitale en général etc... Or, on peut constater qu’en grande majorité, c’est une sorte de folklore révolutionnaire ou même la mémoire contre-révolutionnaire qui façonnent la conscience historique de nos contemporains.
Ce qui se fait dans les médias et ce qui se fait dans l’espace public, ça affecte la science elle-même, notre manière de penser. Les médias ne sont pas simplement un espace de diffusion, de vulgarisation, voire de promotion, c’est un espace où on fait de l’histoire. Ma manière de faire de l’histoire, elle commence dans les archives, mais elle se poursuit partout, dans la BD, au cinéma, au théâtre, à l’école. La question des médias fait partie, depuis le début, de la recherche, elle n’est pas quelque chose qui est en aval.
Il me semble qu’il y a deux écueils vis-à-vis des médias : ne pas y intervenir du tout, et trop y intervenir. Beaucoup d’historiens s’abstiennent d’intervenir dans les médias, car c’est très mal vu dans l’université française. On ne doit pas s’exprimer « dans l’espace du vulgaire ». Il y a un impératif de « modestie ». Nous pensons au contraire, au sein du CVUH, qu’on n’a pas assez occupé le terrain. Il faut qu’on le fasse, parce que de toute façon, notre travail est immergé en partie dans le présent et quoi qu’il arrive, il faut qu’on l’investisse.
À l’inverse, l’autre écueil, c’est d’intervenir systématiquement et de devenir ce qu’on appelle un « toutologue », quelqu’un qui parle à tort et à travers dans les médias. C’est bien pire que de ne pas intervenir. Le problème, c’est que ça arrive très facilement. Cela bafoue un principe élémentaire selon lequel on est un expert dans un domaine. Pour devenir un expert, on a besoin de temps ; et si on devient « toutologue », on ne peut plus prendre le temps de chercher. Mon éthique vis-à-vis des médias consiste donc, d’une part, à relier mes interventions dans les médias à une activité de recherche, et de l’autre, à refuser de tenir chronique. Tenir chronique, ça veut dire qu’on ne choisit pas sa périodicité. Je veux bien intervenir dans les journaux, mais je choisis quand j’ai quelque chose à dire. Et puis on devient le tenant d’une parole surmédiatisée, au sein d’une petite élite qui se reproduit, d’hommes, parisiens, qui interviennent dans les quelques grands quotidiens.
La réponse à cela, ça peut être de constituer des collectifs, comme le CVUH, le collectif Aggiornamento hist-geo, tout en sachant que c’est une approche diamétralement opposée à la manière dont fonctionnent les médias, qui insistent pour individualiser, par exemple, qui ne souhaitent pas qu’on signe une tribune en tant que collectif. Il faut parfois savoir incarner l’histoire si on veut intéresser le plus grand nombre. Mais probablement aussi réfléchir sur sa propre position au sein de l’espace intellectuel et médiatique afin de ne pas monopoliser le discours sur l’histoire : on doit ainsi réfléchir à deux fois avant d’accepter une chronique personnelle ou un portrait individuel, lorsqu’on est un homme blanc et prof à la Sorbonne et que l’on dispose déjà d’une certaine visibilité. C’est très dur à expliquer, parce qu’ils ne fonctionnent pas comme ça.
Un dernier aspect concerne la manière d’intervenir dans les médias. On ne peut pas se contenter d’être dans une position défensive, celle de « l’historien sniper », qui consiste à intervenir pour déconstruire certains mésusages publics de l’histoire. Ça nous rend esclave du temps très court. Ne pas être toujours dans la réaction, mais aussi raconter, proposer des récits, des imaginaires, c’est un travail qui s’inscrit dans le temps long.
Propos recueillis par Frédéric Lemaire, Pauline Perrenot et Blaise Magnin