Accueil > Critiques > (...) > 2003 : Le Forum Social Européen de Paris-Saint Denis

Ouest-France et le Forum Social du Pays Nantais

par Henri Maler,

Dans les pages « Actualité locale » de l’édition nantaise de la pieuvre Ouest- France, on pouvait lire, le lundi 29 septembre 2003, un article dédié au Forum Social du pays Nantais qui s’est tenu du 26 au 28 de ce mois. Quelques extraits et quelques commentaires.

Le titre - « L’Auberge espagnole du Larzac nantais » - n’annonce rien de bon. Et les premières lignes donnent le ton :

« C’est l’Auberge espagnole de la revendication. Un Larzac sur asphalte. Un micro Porto Alegre coincé entre la Fnac du richissime François Pinault et le Gaumont, mastodonte du multiplexe. En ce samedi où le soleil n’est pas pingre, le fric est vilipendé. Le militant voudrait lui faire la peau une bonne fois pour toutes. Mais sa (douce) armée manque de bras pour harponner le capitalisme. »

Dans cette prose qui se veut elle-même ensoleillée, le mépris suinte déjà : un forum ridicule et hargneux, tenu par un militant (heureusement) désarmé. Le militant, comme on va le voir, archétype de tous les militants, est un condensé de tous les personnages d’une farce grotesque. Le mépris alors dégouline abondamment :

« Alors ? Alors, le militant débat sans fin, s’insurge, pousse des coups de gueule qui tournoient dans des airs plutôt désertiques. Bref, il se fait du bien en se retrouvant en famille. En espérant, au fond de lui, convaincre le piéton venu baguenauder dans la société consommatrice (…) Aujourd’hui comme hier, le militant a mal à son Europe et à son monde.  ».

Ce personnage pitoyable, quand il cite quelques auteurs, est de surcroît nécrophage :

« À deux pas, on appelle les morts à la rescousse : Sartre ("Quand les riches se font la guerre, ce sont les pauvres qui meurent. "), Camus (" Ce n’est pas la révolte en elle-même qui est belle, c’est ce qu’elle exige. "), Jaurès (" Le capitalisme porte la guerre comme la nuée porte l’orage ")... ».

Faut-il comprendre que, selon le très chrétien Ouest-France, ces morts sont convoqués depuis l’enfer où ils devraient séjourner ?

Vient alors le tour d’un exemplaire du militant, ce produit de synthèse fabriqué par un « journaliste de terrain ». Un exemplaire sans doute imaginaire, qui, à propos de ces morts appelés à la rescousse, aurait déclaré : « "Seront-ils un jour entendus ?, s’interroge cette jeune femme, dont l’intonation de voix fait le grand écart entre la désillusion et l’enthousiasme de la lutte. »

La condescendance du détecteur d’intonation prépare les derniers paragraphes, qu’annonce le sous-titre : « Lupuline, douce Lupuline ».

Et d’abord ceci :

« Une lutte hybride, aux fronts multiples qui ne donne aucun répit au soldat altermondialiste. Palestine, OGM, " troupes d’occupation en Irak ", commerce équitable, " privatisation des ressources en eau "... Drôle de monde aussi où l’assassinat rôde plus souvent qu’à son tour ; là, c’est " le Medef et le gouvernement (qui) assassinent la culture "  ; ici, " c’est la protection sociale qu’on assassine ". Pendant ce temps, toujours en France, " 48 000 femmes, entre 20 et 59 ans, ont été victimes de viol en un an " et " deux millions sont battues par leur conjoint ".

La lutte au fronts multiples est, bien sûr, « hybride ». Le militant, bien sûr, est devenu « soldat ». Le monde réel des conquêtes sociales piétinées et des violences infligées aux femmes devient un « drôle de monde » N’en jetez plus !

Et pourtant, il reste encore une dernière pelletée à déverser :

« Heureusement, au beau milieu de ce monde, Lupuline, Ursule, Urbain et Unique paissent la fleur bleue, celle de la salvatrice naïveté face au désenchantement. Les charolaises, normandes, nantaises... des paysans de la Confédération paysanne redonnent en choeur du baume au militant. Une ferme, fût-elle place Royale, est une bouée de sauvetage face aux Invasions barbares. »

Seules les vaches enchantent ce « drôle de monde ». Leurs meuglements soutiennent le moral du militant qui tient enfin une « bouée de sauvetage ». Et pour finir, une fine allusion aux les « Invasions barbares », dont on ne sait si elles désignent ici les militants ou le « drôle de monde » : si c’est la seconde hypothèse qui est la bonne, nul doute que notre bon journaliste y fait de la figuration.

Cet exercice de style a un auteur : Jean-François Martin. Ce n’est en rien un article d’information, mais une satire. Mais pas n’importe quelle satire : une satire réactionnaire. Et alors ? Alors, Ouest-France se présente comme un journal quasiment apolitique, fier de son « humanisme ». Il est grand temps de dénoncer par tous les moyens cette imposture.

 
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