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Tribune libre

OGM : information scientifique et désinvolture médiatique

par David Larousserie,

Il existe de solides arguments (économiques et sociaux, écologiques et scientifiques) pour être hostile aux OGM (et à certaines formes d’expérimentations les concernant), comme il existe, sans doute, des arguments sérieux pour y être favorable, du moins sous certaines conditions. Ces arguments relèvent du débat public et de choix politiques.
Les études scientifiques contribuent à ce débat... à condition qu’elles soient présentées avec un minimum de rigueur. La plupart des médias français qui, pourtant, n’ont de cesse de brocarder et de personnaliser (José Bové...) le prétendu « obscurantisme » des opposants aux OGM, n’hésitent pas pour autant à verser dans une vulgarisation scientifique pour le moins désinvolte. C’est pourquoi nous publions la tribune ci-dessous. (Acrimed.)

Les médias français n’aiment pas beaucoup les Organismes génétiquement modifiés (OGM). Pour s’en convaincre, il suffit de revenir sur les articles qui ont rendu compte d’une ambitieuse étude britannique comparant l’effet sur la biodiversité des cultures de trois espèces OGM. 
Ce travail, baptisé FSE (pas pour Forum Social Européen, mais pour Farm Scale Evaluation) a duré plus de trois ans et les premières conclusions ont été publiées le 16 octobre dans la revue de l’Académie des sciences britannique. Plus de 200 parcelles de soja, de betterave et de maïs ont été cultivées, soit avec des variétés conventionnelles, soit avec des variétés transgéniques contenant un gène de résistance à un herbicide (différent selon les plantes) qui permet d’éliminer les mauvaises herbes sans toucher à la plante cultivée. Les chercheurs ont ensuite recensé les mauvaises herbes et les insectes présents dans les champs et à leur frontière [1] dans le but de comparer l’effet des pratiques agricoles sur la biodiversité. Les conclusions montrent des différences importantes entre les variétés dues à des pratiques différentes d’épandage des herbicides : 60% de graines en moins dans les champs de betteraves transgéniques, 70% de biomasse en moins dans le soja OGM, mais trois fois plus de biomasse dans le maïs OGM. De l’aveu des chercheurs, le cas par cas et la prudence s’imposent.

Pourtant, la presse est unanime : « Mauvais labour pour les OGM anglais » (Libération, 17/10), « Certaines plantes transgéniques sont néfastes pour la flore sauvage » (Le Figaro, 17/10), « Organismes globalement maléfiques » (France-Soir en Une, 11/11), « Les surprises de l’effet mauvaises herbes » (Le Monde, 22/10), « Vent mauvais sur les OGM » (Le Nouvel Observateur, 30/10-5/11).
En fait, deux semaines plus tôt, The Guardian du 2 octobre avait violé l’ "embargo" sur la publication scientifique, en livrant ses principales conclusions. Le ton était donné. Haro sur les OGM. 
Malheureusement (pour la presse, pas pour les OGM), les choses sont un peu plus subtiles. Raccourcis, partialité et omissions ont entaché certains articles.

D’abord, l’étude anglaise ne met pas directement en cause les OGM, mais plutôt un de leurs effets indirects. Elle montre en fait l’impact des herbicides utilisés (et en particulier leur nature et leur saison d’épandage) sur les mauvaises herbes, les insectes et les graines. Le caractère apporté par transgénèse à ces OGM de betterave, maïs et soja, est une résistance à un herbicide.
Mais pour France-Soir, ce sont bien directement les OGM qui réduisent la biomasse ; le mot herbicide n’est même pas écrit ! Ses confrères s’en sortent mieux, mais pas un n’a été aussi loin dans ses commentaires que le directeur de ce travail, Les Firbank. Selon lui, si les espèces étudiées avaient reçu ce caractère de résistance par des méthodes traditionnelles de croisement et non pas par la biotechnologie, « les résultats auraient été identiques. Tous nos résultats s’expliquent sur la base des herbicides » (New Scientist du 25/10). C’est moins clair que l’équation OGM=danger, mais c’est plus juste...

Ensuite, nos médias ont également tous glosé sur le faible intérêt des résultats portant sur le maïs. Selon l’étude, c’est la seule espèce OGM qui est "bonne" : la biomasse est plus importante dans ces champs que dans ceux de maïs conventionnels. La raison de cette mise à l’écart médiatique est que l’herbicide utilisé sera bientôt interdit. Or, pour Les Firbank, considérer ce résultat comme "invalide" est un" non sens". « Ça prouve justement l’importance du choix de herbicide » (New Scientist, 25/10). Encore une subtilité qui a échappé aux journalistes.
De même, on sent bien que ces derniers préfèrent les papillons aux larves et aux araignées. La population des premiers est plus faible dans les champs OGM que dans les champs conventionnels. Mais pour les araignées et de petites larves, c’est le contraire... Tout compte fait, le résultat est vraiment négatif pour les OGM de soja et de betterave, mais pourquoi cacher ce "bon" chiffre sur les araignées ?

De plus, curieusement, les journalistes ont peu laissé la parole à un acteur important dans ce débat : les industriels semenciers. Or les arguments de ces derniers valent leur pesant d’OGM. « Je tiens à rappeler que tout travail sur champ cultivé supprime une partie de la biodiversité. Par exemple, si nous enlevons des mauvaises herbes, nous réduisons la biodiversité. » (Pierre Pagesse, président de Limagrain, au Comité Cultura, Palais de la Découverte, 28/10). Pire, si l’on ose dire : « cela dit, cette différence n’est pas liée à la plante, mais uniquement au parcours cultural ; le même résultat pourrait être observé sur l’utilisation de la binette »(Alain Toppan, société Biogemma, même circonstance). Pourquoi priver le lecteur d’arguments si forts ? Seuls les lecteurs du Nouvel Observateur ont pu un peu rigoler, grâce à un spécialiste de la transgénèse animale qui répondit que de toute façon ces insectes « n’appartiennent pas aux espèces menacées  ». Il n’y a finalement que Le Monde qui a interviewé un pro-OGM, aux propos très sérieux. Dans l’ensemble, la présentation journalistique a donc été très partiale.

Mais la principale anomalie dans les commentaires vient d’une étrange omission. Personne, en France, n’a souligné qu’en Grande-Bretagne aussi, il y a des arracheurs d’OGM. Et ils furent particulièrement présents sur cette étude : des parcelles dégradées, des clous lancés pour crever les pneus des tracteurs des fermiers, des barrières endommagées... Pire, le New Scientist cite une militante anti-OGM qui « depuis sept semaines a récupéré ses pièges à insectes » (25/10) ! La pression sur les agriculteurs fut donc assez forte, mais « ça n’a pas pesé sur les résultats », nous a rassuré Les Firbank. Tant mieux pour la science, mais pourquoi l’avoir tu en France (Le Guardian et The Economist au contraire l’ont fait) ? A-t-on peur de ternir l’image de José Bové en dévoilant qu’il a de la concurrence ? Rappelons que la Confédération paysanne ne débuta ses arrachages qu’en juin 1997, après les Allemands et leur mobilisation contre les navires importateurs d’OGM en novembre 1996. La palme de l’ignorance revient au Nouvel Obs, pour qui « en Grande-Bretagne, la connaissance peut progresser car il n’y a pas d’obscurantistes à la José Bové » [2]. Ses confrères se contentent de mentir par omission.

Incontestablement, cette étude anglaise est une mauvaise nouvelle pour les OGM, mais il n’était peut être pas utile de lui faire dire plus que ce qu’elle décrit.

David Larousserie

 
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Notes

[1Plus d’un million d’insectes et 750 millions de graines récupérés, souvent dans la boue !

[2« Obscurantistes » : le mot est lâché, dans l’hebdomadaire qui fait étinceler la raison (note d’Acrimed).

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