A priori, c’est du sérieux. Sujet annoncé en Une. Double sous-titre, « Révélations » et « Exclusif ». Cet article sur une « alerte à la pollution nucléaire » paru dans le numéro d’octobre de Capital a de l’allure. Une belle carte de France avec zones rouges et points jaunes sur deux pages et demi complète l’alléchante vitrine. Certes un doute surgit en constatant que le très joli dessin occupe plus de la moitié de l’enquête (qui ne fait que quatre pages)... Doute aussitôt dissipé car, promis, Capital a « épluché les dossiers, interrogé les spécialistes, consulté les rapports officiels ». Nous allons donc voir ce que nous allons voir. Nous aurons donc exagérations, grosses erreurs, faux scoops et petites faiblesses.
Exagérations
Le journaliste attaque fort en racontant qu’ « une division blindée de bulldozers a forcé le portail de l’école » à Lachaux (Puy-de-Dôme) en août 2006 pour évacuer des terres radioactives. Rien que ça ! Renseignement pris par nos soins auprès de l’ancien maire de ce petit bourg de 300 habitants, les bulldozers n’étaient qu’une pelleteuse et le portail a seulement été élargi...
Lancée, la plume ne s’arrête pas, distillant le poison de la peur. « Des sites qui contaminent en silence », « un pays constellé de sites dangereux », « des baigneurs sortis de l’eau en catastrophe », « de vraies poubelles »... L’émotion est à son comble avec un enfant (imaginaire) « qui jouerait aux osselets avec des déchets fortement contaminés ». On frémit. Y compris le journaliste, qui se reprend vers la fin : « inutile pour autant de céder à la panique ».
Erreurs
Selon l’enquête de Capital, lors du fameux incident estival du Tricastin le 7 juillet dernier (le débordement d’une cuve contenant de l’uranium hors de l’enceinte de l’usine Socatri, propriété de Cogema), « la radioactivité a atteint un pic 1000 fois supérieur aux normes admises par l’OMS ». Or les normes de l’OMS ne concernent pas la radioactivité mais la concentration en uranium dans l’eau. La différence est tout sauf anodine. Bien que symbole du nucléaire, l’uranium n’est pas seulement un émetteur de rayonnement mais c’est aussi une molécule. Et cet uranium naturel est en fait plus toxique chimiquement que radiologiquement ! Bien entendu, mentionner cette différence n’aurait fait que nuire à la démonstration implacable de l’article pour qui nucléaire égale radioactivité.
Autre grosse erreur, « des résidus d’uranium militaire ont été découverts dans la nappe phréatique après l’accident ». Par uranium militaire, le journaliste veut sans doute dire « isotope non naturel de l’uranium ». Mais même avec cette correction, l’information est fausse. Aucune trace de cet uranium n’a été décelée [1]. En revanche, de fortes suspicions existent sur le rôle d’un site militaire dans le maintien de concentrations élevées d’uranium dans les nappes phréatiques plusieurs jours après l’accident. De là vient sans doute l’erreur.
Faux scoops
Incroyable, grâce à son enquête, le journaliste raconte qu’il lui est « apparu que les incidents (...) étaient monnaie courante ». Quelle découverte ! Tous les journaux et même les JT de 20 heures après l’incident ont rappelé les chiffres fournis... par l’Autorité de Sûreté Nucléaire. Il y a bien près d’une centaine d’incidents de même niveau que celui du Tricastin par an. Ironie de l’histoire, pour Capital, ce chiffre sert à effrayer, quand pour Areva ou pour le gouvernement il permet de minimiser, en le relativisant, l’incident. A qui se fier ? Pourtant le problème n’est pas que ces incidents soient nombreux mais que celui de la Socatri ait été classé au niveau 1 sur une échelle de gravité en comptant 8 (de 0 à 7). C’est en effet la première fois, selon l’ASN, qu’une telle quantité d’uranium s’échappe d’installations nucléaires. Mais comme il n’y a pas eu de conséquences immédiates sur la santé, c’est un incident classé en niveau 1.
Notre enquêteur précise aussi que « l’Hexagone abrite des sites à problèmes sans que les populations environnantes en soient toujours prévenues ». Selon quelles sources ? Une enquête de terrain ? On ne le saura pas. Cette affirmation est suffisamment vague pour ne pas être totalement fausse mais c’est surtout passer un peu vite sur le travail des Commissions Locales d’Information autour de la plupart des installations nucléaires... Ou sur celui de la Criirad qui est prompte à agiter le chiffon rouge. Ou sur les rapports publics... que le journaliste a consultés.
Faiblesses
La première faiblesse est classique dans ce genre d’article. Les sources manquent. Par exemple, on ne sait pas vraiment d’où viennent les données ayant servi à faire la carte géante. L’Andra est évoquée dans le texte mais cet organisme est chargé de l’inventaire des déchets. Pas de la mesure des contaminations ou pollutions. Il ne peut donc pas être la source des informations qui indiquent sur plusieurs sites que, « camping », ou « base nautique » ou « nappe phréatique » sont pollués. Alors d’où viennent ces informations ? Et quel est le niveau de pollution ? Mystère...
Cette fameuse carte frappe aussi par ses départements entiers en rouge clair ou foncé. Au premier coup d’œil, et vu la titraille inquiétante, le lecteur pensera que ce sont des zones polluées. En fait, non. La légende indique (heureusement !) qu’il s’agit de territoires où les quantités de radon sont supérieures à la normale. L’industrie nucléaire n’y est pour rien. C’est donc hors sujet. Reste que l’amalgame est redoutablement efficace.
Autre faiblesse, tous ces déchets sont traités sur le même plan. L’uranium des anciennes mines, les boues d’usine, les restes de combustible... C’est pareil ! L’usine de retraitement de la Hague, la centrale électrique du Bugey, les mines de Bessine, les bassins de décantation de Malvesi ? Pareil !
Passe encore que l’article omette la distinction entre toxicité chimique et radiologique de l’uranium mais qu’à aucun moment il ne soit fait mention des différentes catégories de déchets radioactifs (il y en a six en fonction de leur durée de vie et de leur activité) est la preuve d’une grande paresse. Comme cette complexité aurait, là encore, affaiblit la démonstration, elle est mise sous le tapis.
S’attaquer à un si gros dossier est fatigant. Alors le journaliste, après avoir recyclé les tracts des antinucléaires, flanche : « les installations récentes paraissent en général [sic] assez bien sécurisées et les déchets hautement toxiques sont désormais confinés avec la plus extrême rigueur ». De quel dossier, rapport, spécialiste cela sort-il ? Sans doute d’une plaquette publicitaire du... lobby nucléaire, cette fois. Comment peut-on ignorer les oppositions à l’enfouissement des déchets ? Ou les critiques techniques sur le futur EPR ? Ou encore celles sur les centrales actuelles ?
Sur la fin, l’enquêteur est complètement à bout. Sans source, il évoque l’implication de la radioactivité dans les maladies cardiaques, le diabète ou Alzheimer (comment ?). Il laisse la parole à un médecin qui dit que dans cinq ans on y verra plus clair. Pourquoi ? Une étude est-elle lancée ? Enfin, énigmatique, il lâche : « Un séjour prolongé près de nos sites poubelles peut suffire ». A quoi ? Mourir subitement ? Avoir un cancer ? Disparaître, désintégré ?
De l’information ?
Après avoir pointé toutes ces erreurs, il ne faudrait pas conclure que ces sites ne posent pas de questions. Ils existent bel et bien, sont souvent bien répertoriés et certains peuvent poser des problèmes. Et ce n’est pas le rôle d’Acrimed d’avancer des réponses. En revanche, la mise en scène catastrophiste et confuse nuit à la compréhension du sujet. Pire, malgré toutes ces révélations et exclusivités, l’essentiel est... oublié. Nulle part il n’est question des responsables de ces pollutions et de leur traitement. Areva ? EDF ? La Défense ? L’Etat ? Qui doit payer ? Etc.
Pour le journaliste, ces fameuses poubelles semblent arriver là comme une fatalité, sans raison, sans histoire, sans avenir. Il les découvre comme si elles n’étaient pas le résultat d’une politique énergétique, industrielle ou de Défense dont les citoyens ont été écartés. Tout à sa monomanie anxiogène, l’article n’explique même pas au lecteur si des décisions doivent être prises pour régler le problème ou réduire les risques. Alors que le sujet du nucléaire est bien connu pour ses implications environnementales ou sociales, Capital réussit l’exploit d’escamoter ces questions. A la politique et au débat, il préfère la peur.
David Larousserie