Le début de carrière : une haut-fonctionnaire (« de gauche »)
Noëlle Lenoir débute sa vie professionnelle en tant qu’administratrice du Sénat en 1972. Avec l’arrivée du Parti socialiste au pouvoir en 1981, sa carrière s’accélère brusquement et elle accède à des postes de plus en plus prestigieux, jusqu’à sa nomination au Conseil constitutionnel :
- directrice juridique de la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) de 1981 à 1984 ;
- membre du Conseil d’État de 1984 à 1992 ;
- directrice de cabinet du ministre de la Justice de 1988 à 1990 ;
- chargée de mission pour la bioéhique auprès du Premier ministre « socialiste » Michel Rocard, de 1990 à 1991 ;
- membre du Groupe européen d’éthique des sciences et des technologies nouvelles de 1991 à 2001 ;
- présidente du Comité international de bioéthique (CIB) de l’UNESCO de 1992 à 1999 ;
- membre du Conseil constitutionnel de 1992 à 2001, nommée par le président de l’Assemblée nationale, le « socialiste » Henri Emmanuelli.
Un parcours remarquable qui va connaître une bifurcation subite et une nouvelle accélération…
Seconde partie de carrière : une femme d’influence (« de droite »)
- Ministre et avocate d’affaires
Entre 2002 et 2004, Noëlle Lenoir est en effet ministre des Affaires européennes dans le gouvernement (UMP) de Jean-Pierre Raffarin. Une nomination (un débauchage) qui n’ira pas sans susciter l’ironie, non dénuée de fondement, d’un certain nombre d’observateurs, comme le rapportait alors un journaliste du Nouvel observateur : « Mme Lenoir était perçue jusqu’alors comme une femme de convictions. Ses convictions n’ont pas résisté à un changement de majorité. Comment ne pas s’interroger avec Arnaud Montebourg : la nomination au gouvernement de l’ancien membre du Conseil constitutionnel serait-elle une sorte de récompense ? La nouvelle déléguée aux Affaires européennes avait en effet été à l’origine de la décision des Sages, affirmant l’« immunité pénale » du président de la République pendant son mandat. Chirac s’en est souvenu. Noëlle Lenoir, elle, a oublié qu’elle devait tout à la gauche. ».
Cette expérience ministérielle vient parachever en beauté son irrésistible ascension et lui permet d’enrichir encore son carnet d’adresses – notamment « à l’international », ce qui se révèlera précieux dans ses fonctions ultérieures. En effet, Noëlle Lenoir ne se prive pas d’aller faire fructifier ses compétences juridiques et son capital de notoriété et de relations dans le secteur privé en se lançant dans une carrière d’avocate au sein des meilleurs (et des plus rémunérateurs) cabinets spécialisés dans le droit des affaires :
- membre du cabinet Debevoise & Plimpton de 2004 à 2009 ;
- membre du cabinet Jeantet et Associés en 2009 [4] ;
- avocate associée du cabinet Kramer Levin Naftalis & Frankel LLP depuis décembre 2011.
Par ailleurs, cerise sur le gâteau, Noëlle Lenoir accède au saint-des-saints du capitalisme, domaine réservé de la grande bourgeoisie d’affaires : les conseils d’administration des grands groupes privés. Ex-membre du conseil d’administration de Generali France, elle est toujours membre :
- du conseil d’administration du Cluster Maritime français ;
- du conseil d’administration de la Compagnie des Alpes ;
- du conseil d’administration de Valéo.
- Les mêmes friandises « ménagères » que ses collègues
Et ce n’est pas fini ! Noëlle Lenoir dispose en effet d’autres moyens encore de monnayer sa notoriété. « Intervenante » pour l’« agence de communication événementielle » Zehus, elle figure également dans le catalogue des « conférenciers » de la société Speakers Academy.
Elle a aussi intégré le microcosme des conférenciers-croisiéristes, où elle se retrouve en compagnie de nombre d’éditocrates fameux. Ainsi, en mars 2015 Luxe Magazine nous fait une proposition alléchante : « The Queen Mary 2 : un paquebot de légende. Mythique ! Découvrez le luxe à l’anglaise à bord du prestigieux liner […] Entre champagne, émotions, salle de bal et tea-time la transatlantique Southampton/New-York à bord du Queen Mary 2 vous embarquera vers des souvenirs inoubliables. » Parmi ces « souvenirs inoubliables », la « Spéciale transatlantique du 3 au 10 mai : débats animés par des personnalités telles que le journaliste Denis Jeambar, le réalisateur Elie Chouraqui et l’ancienne ministre Noëlle Lenoir. »
Une croisière qui lui a visiblement apporté toute satisfaction puisque Noëlle Lenoir a réitéré l’expérience en septembre 2017 : « Du 15 au 22 septembre 2017, Cunard assurera une traversée transatlantique, sans escale, entre Le Havre (France) et New York (États-Unis), à bord du Queen Mary 2. […] Des invités de prestige se trouveront à bord : Noëlle Lenoir, ancienne ministre des Affaires étrangères et plus jeune membre jamais nommé au Conseil constitutionnel, Didier Decoin, écrivain, et Denis Jeambar, journaliste, patron de rédaction et éditeur. »
Luxe, calme et entre-soi, tous frais payés, le secret de vacances réussies...
- L’accroc déontologique
Malgré la variété et la multiplicité de ses activités lucratives, Noëlle Lenoir, insatiable, ne renonce pas à la chose publique. En 2004, elle fonde le think-tank « Le Cercle des Européens, Un espace privilégié de débat entre décideurs pour faire avancer l´Europe », qu’elle préside encore aujourd’hui et dont les partenaires sont de très subversives entités telles que L’Express, HEC, la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris ou l’association française de droit constitutionnel.
Surtout, elle occupe le poste de déontologue de l’Assemblée nationale entre 2012 à 2014. Une nomination qui présentait pourtant, on l’apprendra après son départ, un vice caché sur le plan… déontologique ! Le 2 novembre 2015 paraît en effet un article retentissant dans Le Figaro titré « La déontologue de l’Assemblée nationale était payée par l’industrie pharmaceutique ». On y apprend que « Me Noëlle Lenoir défendait déjà les intérêts des laboratoires Genevrier en septembre 2013 quand elle exerçait la fonction de déontologue à l’Assemblée, poste qu’elle a occupé jusqu’à mi-avril 2014. Et c’est ce même industriel français qu’elle représente aujourd’hui encore, celui pour lequel elle a saisi le tribunal administratif de Montreuil, début octobre. » Un passif bien fâcheux, en lui-même, comme au vu de ses fonctions actuelles…
Pourquoi le Comité d’éthique de Radio France ?
Certes, Noëlle Lenoir a évolué dans le milieu journalistique – où elle fut pendant quelques années une éditocrate reconnue –, comme l’indique la notice qui lui est consacrée sur le site de Radio France : « Elle a animé l’émission Les Grands Débats européens sur BFM Business radio et France 24 et a été chroniqueuse à la matinale de France Culture et à l’Express. » Cela semble toutefois bien léger pour justifier qu’elle préside une instance dédiée à l’éthique journalistique… Certes, elle a appartenu dans les années 1990 à de nombreuses institutions chargées de questions « bioéthiques » – sans que cela entretienne évidemment le moindre rapport avec « l’éthique » des professionnels de l’information…
Déjà comblée d’honneurs, on peut se demander ce que Noëlle Lenoir peut bien venir faire dans ce Comité d’éthique. Censé réunir des « personnalités indépendantes », il est donc présidé par une femme qui entretient des liens d’intérêt multiples avec le tout-Paris des affaires et qui fréquente la haute fonction publique ainsi que la classe politique – de gauche comme de droite, ce qui ne peut pas porter préjudice par les temps qui courent – depuis près de 40 ans…
Qui plus est, depuis sa nomination, et alors qu’on aurait pu s’attendre à une certaine réserve de la part d’une titulaire de ce genre de fonction, Noëlle Lenoir ne se prive pas de faire connaître ses convictions politiques (visiblement conservatrices, et c’est un euphémisme) en déployant une intense activité sur Twitter. Avec, par exemple, un message sarcastique et méprisant envers le personnel d’entretien de la Ville de Paris comme nous le relevions il y a quelques jours, ou encore des re-tweets d’une déclaration tonitruante de Benjamin Netanyahu, d’un article du Point soulignant la remontée dans les sondages du couple exécutif, ou d’un autre de l’Opinion à charge contre la gestion d’Anne Hidalgo (une de ses cibles favorites)…
Finalement, la présence de cette « personnalité » à sa tête est un révélateur de la (double) fonction du Comité d’éthique du groupe radiophonique public. D’une part, c’est un pourvoyeur de hochets et de titres ronflants destinés à des « personnalités » publiques qui pour des raisons diverses y trouvent leur intérêt. Plus fondamentalement, vidé de son objet par sa composition même, ce comité d’éthique remplit une simple fonction d’affichage et d’alibi : il a vocation à institutionnaliser l’impuissance face aux dérives de l’information et de ceux qui la fabriquent.
Denis Souchon et Blaise Magnin