Accueil > Critiques > (...) > Journalisme et sciences

Michel Maffesoli, « expert » sociologique de pacotille

par Blaise Magnin,

Sociologue professionnel ou, plutôt, détenant les titres et les positions académiques permettant de se présenter comme tel, Michel Maffesoli est un habitué des plateaux de télévision, des studios radiophoniques, ainsi que des colonnes de la presse écrite où il est régulièrement invité à s’exprimer en tant qu’expert des « évolutions sociétales » et de la « postmodernité ». Déjà fortement contesté au sein de la profession, un canular monté par deux de ses collègues sociologues et rendu public le 7 mars dernier, attestait une nouvelle fois du peu de consistance et de rigueur, c’est un euphémisme, de ses analyses sociologiques. Disqualifié scientifiquement, Michel Maffesoli, devrait en toute logique l’être aussi médiatiquement. Pourtant, vu le fonctionnement ordinaire du petit monde de l’expertise médiatique, tout porte à croire qu’il n’en sera rien…

Un piètre scientifique

L’article publié le 7 mars 2015 par Manuel Quinon et Arnaud Saint-Martin et intitulé « Le maffesolisme, une "sociologie" en roue libre. Démonstration par l’absurde » ne fut pas une surprise. Les auteurs y expliquent avoir présenté à la revue Sociétés, affiliée au laboratoire de recherche que dirige Michel Maffesoli, un « article-canular », « dénué de tout fondement empirique et de toute consistance théorique  », intitulé « Automobilités postmodernes : quand l’Autolib’ fait sensation à Paris ». L’article, qui singe jusqu’à l’absurde la rhétorique et le lexique « maffesoliens » [1], fut publié dans la revue après un processus d’évaluation indigent [2].

Cette mésaventure n’est que le dernier épisode en date d’une longue série de polémiques et de mises en cause du sérieux du travail sociologique de Michel Maffesoli. Ses écrits articulés autour des notions de « tribus », de « nomadisme » et de « postmodernité », étaient considérés depuis bien longtemps comme fantaisistes par la plupart des chercheurs en sciences sociales. En 2001, il provoquait l’ire d’une grande majorité de la communauté des sociologues en permettant à l’astrologue Elizabeth Teissier, de soutenir une thèse de sociologie portant sur… l’astrologie.

Discrédité scientifiquement, l’expert Maffesoli ne brille pas non plus par son indépendance. En 2010, Acrimed, relève qu’un auditeur l’avait pris en flagrant délit de conflit d’intérêt alors qu’il venait débattre des « apéros Facebook » sur France inter, tout en étant conférencier pour la fondation Paul Ricard… Pis, en 2011 c’est la présomption de neutralité et d’objectivité de notre « expert » qui vole en éclats lorsqu’il commet aux éditions Albin Michel un ouvrage intitulé Sarkologies. Pourquoi tant de haine(s) ?, qui relève plus du panégyrique du Président en fonction et du pamphlet ultraréactionnaire que de l’essai de l’intellectuel engagé. On peut notamment y lire, entre autres joyeusetés, des expressions comme : « la nappe phréatique que sont les masses populaires » (p. 17) ; « l’enfermement dogmatique d’origine syndicale qui opprime le corps social, […] même en Europe, la France fait toujours figure de retardataire, qui pratique encore des horaires stricts, dédiant le jour au travail et la nuit au sommeil » (p. 84) ; Nicolas Sarkozy aurait voulu et contribué à « réenchanter le monde » et « améliorer le vivre-ensemble » (p. 83) ; à l’opposé de « l’apogée que fut la fin du 19e siècle sous la forme de l’occidentalisation du monde par l’exportation de ses valeurs, […] l’orientalisation du monde [consisterait en un] ensauvagement, c’est-à-dire un retour de la part animale de l’homme » (p. 147-148). Rien que ça.


Une star médiatique

Ainsi, si les médias sélectionnaient leurs experts en fonction de leur seule crédibilité scientifique et intellectuelle, cela ferait bien longtemps que nous aurions été privés des élucubrations de Maffesoli… Pourtant, une simple recherche dans « Google actualités » permet de constater qu’il n’en est rien. Trois de ses derniers ouvrages parus en 2014 (un pamphlet : Les nouveaux bien-pensants, avec Hélène Strohl, Éditions du Moment ; un ouvrage sociologique : L’ordre des choses : Penser la postmodernité, CNRS Éditions) et début 2015 (un essai : Le Trésor caché. Lettre ouverte aux francs-maçons et à quelques autres, Léo Scheer) ont donné lieu à des recensions ou à des interviews dans nombre de titres de la presse nationale et régionale. Peu de sociologues, et même de chercheurs en sciences sociales peuvent en dire autant…

Sa présence dans les médias ne se limite pas cette très généreuse attention prêtée à ses publications. Michel Maffesoli, en tant que prophète d’un futur déjà là, est l’interlocuteur attitré des nombreux journalistes à la recherche perpétuelle de nouvelles « tendances sociétales ». Par exemple, le 2 janvier 2013, lorsque Le républicain lorrain cherche à mettre en perspective la nouvelle année qui débute c’est « Le sociologue Michel Maffesoli, spécialiste de la postmodernité, [qui] donne son éclairage » ; le 20 févier 2014, il est dans l’émission de France info « Un monde d’idées » pour annoncer qu’« "Il nous faut réinventer de nouvelles valeurs" » ; le 24 mars 2014, il distille ses « conseils innovants aux créateurs de start up » dans Challenge  ; le 10 juillet 2014, il est interviewé dans L’Écho républicain pour disserter sur « Les tribus urbaines, "une nouvelle façon d’être ensemble" », etc.…

Pour ce qui est de ses prestations dans les médias audiovisuels, une rapide recherche qui ne prétend en aucune manière à l’exhaustivité montre que les journalistes et les présentateurs sont aussi généreux en invitations que Michel Maffesoli semble disposé à se rendre disponible. Sur France inter, par exemple, la page qui lui est consacrée recense pas moins de sept invitations dans des émissions différentes depuis 2011 ; sur France culture, l’hospitalité, après avoir tourné à plein entre 2007 et 2010, semble s’être tarie depuis 2012, mais la station de service public compense en diffusant sur plus.franceculture.fr, son « web campus », la plupart des conférences données par Maffesoli dans le cadre de la « Fondation d’entreprise Ricard » ; on peut aussi, à l’occasion, retrouver sa trace sur Radio courtoisie. La télévision n’est pas en reste puisque Maffesoli apparaît comme l’un des invités les plus fréquents de Frédéric Taddéi dans « Ce soir ou jamais » sur France 3 puis France 2, et qu’on le voit apparaître dans des programmes aussi différents qu’un débat portant sur « l’intégration » avec Michèle Tribalat en février 2014 sur iTélé, ou que l’émission « Zemmour et Naulleau » sur Paris Première dont il fut l’invité en février 2015.

À tout ceci s’ajoutent ses activités (intenses)… d’éditorialiste. Michel Maffesoli signe en effet un tel nombre de tribunes sur Atlantico, Le Figaro et Le Point, et sur des sujets « d’actualité » si brûlants, que l’on peut sans peine lui attribuer ce titre – qu’on en juge à travers ces quelques exemples : « Michel Maffesoli : mensonge de Taubira, de la gauche morale au cynisme d’Etat » ; « Michel Maffesoli en "divergent accord" avec Éric Zemmour » ; « Houellebecq a raison, les Lumières sont éteintes » ; « Un mois après l’élan du 11 janvier : ce qui n’a (toujours) pas été dit, ce qu’on devrait laisser dire » ; toujours à propos des manifestations du 11 janvier, « Michel Maffesoli : rites piaculaires » ; « De Riyad à Paris, à la rencontre des ennemis acharnés de la Saint Valentin » ; etc.


***



Le décalage, pour ne pas dire le gouffre, entre le crédit dont Michel Maffesoli jouit dans les médias et celui qui est le sien au sein de la communauté scientifique, aussi atterrant soit-il, ne devrait pas étonner outre mesure. Après tout, de mystérieux « synergologues » semblent en passe de devenir les nouvelles coqueluches de l’analyse politique dans les médias

Et Bernard-Henri Lévy lui-même n’est-il pas présenté comme philosophe sans avoir produit aucun concept philosophique reconnu comme tel par ses confrères, et n’a-t-il pas lui aussi été piégé par un canular littéraire (la célèbre « affaire » Jean-Baptiste Botul, du nom d’un philosophe fictif, auteur d’une œuvre gaguesque sur Kant abondamment et très sérieusement citée par BHL dans un de ses pensums) tout en demeurant malgré tout l’incarnation indépassable de l’intellectuel médiatique ? On ajoutera qu’en troquant habilement un nœud papillon du plus bel effet contre la chemise savamment déboutonnée de son illustre confrère philosophe, Michel Maffesoli offre une image alternative de l’intellectuel dandy, à la fois rassurante et séduisante pour les journalistes en mal de stéréotypes germanopratins… On ne voit pas dans ces conditions en quoi le récent et énième incident de parcours scientifique de Michel Maffesoli devrait entraver en quoi que ce soit son impeccable carrière médiatique !

Blaise Magnin

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1Dans le vrai-faux article on apprend ainsi, entre autres, que l’Autolib serait « un indicateur privilégié d’une dynamique macrosociale sous-jacente : soit le passage d’une épistémê “moderne” à une épistémê “postmoderne” ». Voilà qui méritait bien une publication dans une revue de sociologie…

[2Mauvais joueur, Maffesoli explique, dans une interview au Monde.fr (18 mars), que le canular a été en réalité « instrumentalisé par quelques vieux caciques de la sociologie réglant, par personnes interposées, des comptes ». Un moyen commode, chacun l’avouera, de se défausser de ses responsabilités…

A la une

France Inter, Sciences Po et la Palestine : « nuance » ou calomnie ? (3/3)

Comment France Inter défigure un mouvement étudiant.