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Mediapart et Arrêt sur images dans la tourmente

par Acrimed,

De lourds redressements fiscaux

Les instances judiciaires et l’administration fiscale ont donc tranché en la défaveur de Mediapart et d’Arrêt sur images, condamnant de facto les deux sites d’information à un lourd redressement fiscal : 4,1 millions d’euros pour Mediapart et 540 000 euros pour Arrêts sur images.

Ces sommes correspondent à un arriéré de TVA pour la période 2008-2014, durant laquelle les deux sites ont fait le choix de s’aligner sur la TVA de la presse classique, soit 2,1%, et non sur celle que la loi leur imposait (entre 19,6 et 20%).

Mediapart et Arrêt sur images seraient-ils donc de vulgaires fraudeurs, sortes de Jérôme Cahuzac de la presse en ligne ? C’est ce que d’aucuns semblent penser en exigeant des deux sites qu’ils s’acquittent de sommes qui mettent en péril leur santé, voire même leur survie.

Mais la vérité est bien différente : non seulement Mediapart et Arrêt sur images n’ont pas dissimulé leur « fraude », mais ils l’ont revendiquée, cherchant à la politiser, soutenus dans cette démarche par de nombreux autres titres regroupés dans le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne [1], qui a publié un communiqué dénonçant les décisions de l’administration fiscale.

Nulle dissimulation, mais bien une lutte contre une situation manifestement inéquitable : alors qu’ils étaient soumis au droit de la presse au même titre que la presse classique, les sites d’information étaient sujets à une TVA 10 fois plus élevée ! Une incohérence qui a finalement été admise par le législateur, avec une modification de la loi en 2014 et un alignement des taux de TVA.

Edwy Plenel affirme en outre que «  de 2008 à 2013, tous les interlocuteurs officiels de Mediapart, informés du taux de TVA que nous pratiquions, ont soutenu notre défense de l’égalité entre presse imprimée et presse numérique. Qu’ils soient à l’Élysée, à Matignon, au ministère de la Culture et de la Communication, au ministère des Finances et à celui du Budget, dans les cabinets ministériels comme dans les administrations concernées, ils appuyaient notre position, parallèlement soutenue par tous les syndicats professionnels, parmi lesquels au premier chef le SPIIL ».


Légalité vs légitimité ?

Était-il justifié de recourir à des moyens illégaux pour défendre une revendication légitime ? On peut en discourir à perte de vue : ce ne serait pas la première fois ni sans doute la dernière qu’une illégalité serait légitime. Ne pas payer la TVA en vigueur et se mettre de facto hors-la-loi dans l’attente et l’espoir que la loi change était-il le moyen le plus approprié ? Force est de constater que c’est aussi l’auto-réduction de la TVA qui a permis d’obtenir sa réduction légale, et ainsi de corriger une inégalité de traitement, d’autant plus flagrante au regard des dizaines de millions d’euros attribués dans la plus grande opacité aux « grands » titres de la presse écrite via le système des aides publiques à la presse. Mais force est de constater aussi que leur refus de se soumettre à une fiscalité discriminatoire – et reconnue comme telle par les pouvoirs publics – met aujourd’hui Mediapart et Arrêt sur images dans une situation périlleuse.

C’est pourquoi nous relayons les campagnes de soutien financier lancées par les deux titres, qui en appellent à leurs abonnés et plus généralement à leur lectorat pour les aider à traverser cette mauvaise passe – en attendant les résultats d’un éventuel jugement en appel. Il s’agit ainsi pour les deux sites de préserver un modèle garantissant leur indépendance : pas de publicité, pas de subventions, un capital qui n’est pas sous le contrôle d’actionnaires extérieurs.

C’est ce que rappelle Daniel Schneiderman dans son appel aux dons/abonnements : « Nous n’avons jamais dépendu que de nos abonnés, et de tous ceux qui, sans l’être, nous soutiennent. Nous y croyons plus que jamais : ce modèle est le seul qui garantisse une totale indépendance. Nous ne voulons dépendre ni des banques, ni des subventions, pour faire face à tous les impondérables qui pourraient survenir, pour investir quand nécessaire (prochainement, par exemple, dans du matériel pour vous proposer des émissions en Haute Définition). Bref, si nous changions de modèle économique, ce ne serait plus le même site ».

Il existe bien des différences entre, d’une part, Acrimed et, d’autre part, Mediapart (par exemple sur la critique des médias) et Arrêt sur images (par exemple sur le rapport aux médias dominants), et nous continuerons de défendre un projet politique de transformation des médias, qui ne peut se réduire à la création de médias privés indépendants, aussi utiles soient-ils.

Mais de toute évidence, et ce sans faire fi de nos divergences d’approche, voire de nos désaccords, l’urgence est à la défense de médias dont la disparition ou même l’affaiblissement serait un coup dur porté à l’indépendance journalistique et au pluralisme déjà bien rabougri du paysage médiatique. Une mauvaise nouvelle dont il est encore possible de se passer.

 L’appel d’Arrêt sur images
 L’appel de Mediapart



Acrimed

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1SPIIL, 148 membres et 175 titres.

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