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Bénéficier de l’hospitalité des grands médias pour les critiquer ? (à propos d’un choix de Daniel Schneidermann)

par Henri Maler, Martin Coutellier ,

« Critique des médias sur France Culture : la parole est (encore) à l’Ifrap » : c’est sous ce titre que nous avons consacré un article au « débat » proposé par France Culture sur les médias et les oligarques [1] et pipeauté par l’invitation d’Agnès Verdier-Molinié, directrice de l’Ifrap, lobbyiste ultra-libérale omniprésente dans les médias. Cet article nous a valu un « rebond » de Daniel Schneidemann (« Bolloré : retour sur un débat de France Culture »).

« Rebondissons » à notre tour, non pour entretenir une vaine querelle, mais pour expliquer quelques différences.

Le directeur du site arretsurimage.net, avant d’en venir à la question qu’il pose lui-même (« Ai-je eu raison d’accepter, en compagnie de l’économiste Julia Cagé, une invitation à débattre du cas Bolloré avec la directrice du think tank de droite libérale IFRAP ? ») nous propose de visiter les coulisses de l’émission. Invité à participer à un débat sur France Culture, il a eu le choix, pour lui donner la réplique en compagnie de Julia Cagé, entre Elisabeth Lévy et Agnès Verdier-Molinier. Ayant contesté la présence de la première, il a hérité de la seconde. Disons-le dans un sourire : Daniel Schneidermann n’a décidément pas de chance !

Et tout en reconnaissant qu’il peut être légitime de « refuser de débattre avec un interlocuteur estimé illégitime, dans un cadre inapproprié », il explique ainsi les raisons de son choix de participer à l’émission :

Depuis sa création, en 2008, notre site est totalement, radicalement, implacablement ignoré par les medias mainstream. Si nos enquêtes sont parfois chichement citées dans la presse en ligne, rien, jamais, pas un mot, dans les revues de presse radiophoniques. Mes propres invitations à m’exprimer à la télé française se comptent, chaque année, sur les doigts d’une main […] On ne s’en plaint pas spécialement, ni n’en tirons gloire. […]
Bref, nous devons bien vivre avec cette mise en quarantaine. Or, pour pouvoir conserver un niveau d’abonnés nous permettant de rester à l’équilibre, il nous est indispensable d’être visibles [souligné par nous]. Et pas seulement propagés sur les réseaux sociaux par nos vaillants abonnés, mais visibles sur les medias mainstream, qui ont conservé, que cela nous plaise ou non, une partie de leur pouvoir de prescription d’avant Facebook et Twitter. Voilà donc, chers camarades d’Acrimed, pourquoi je suis allé débattre avec Agnès Verdier-Molinié. Et je continuerai, le cas échéant.

Un tel choix a au moins le mérite de la clarté : cela n’aurait sans doute pas été le nôtre. Simple différence ou notable divergence ? Quoi qu’il en soit, les raisons de Daniel Schneidermann mettent en évidence qu’il existe entre Arrêt sur images et Acrimed une différence de vocation (qui peut recouvrir des divergences de fond, quelles que soient les convergences que l’on peut constater sur certaines questions). Et comme nous sommes régulièrement interrogés par des acteurs et consommateurs de contestation sur ce qui sépare Acrimed et Arrêt sur images, il vaut la peine de s’y arrêter.

L’indépendance d’Arrêt sur images est celle d’une petite entreprise médiatique, dont les articles et les émissions sont essentiellement dédiés au « décryptage » des médias ; l’indépendance d’Acrimed est celle d’une association militante, dont les activités et critiques ont pour visée la transformation des médias. Le site d’Arrêt sur images est un site payant dont le financement dépend de ses abonnés ; le site d’Acrimed est un site gratuit et la face la plus visible d’une association dont le financement dépend de ses adhérents et donateurs. Ces différences de visée et de statut ne sont pas sans conséquences [2] : non seulement il serait possible de montrer que nos articles en portent la marque, mais l’animation de notre site est loin d’être notre seule activité publique.

Bénéficier de l’hospitalité parcimonieuse des grands médias n’est donc pas une condition de notre efficacité et de notre pérennité. De son côté, comme Daniel Schneidermann le reconnaît : « Arrêt sur images » dépend pour une part de sa visibilité médiatique dans les grands médias, au risque d’avoir à leur concéder beaucoup pour tenter d’y avoir accès. Acrimed se prive volontairement d’un tel risque : non en boycottant les grands médias, mais en mettant des conditions rigoureuses à sa participation. Non par caprice, mais par souci de cohérence.

À dire vrai, nous n’avons guère eu à poser de telles conditions : en bientôt 20 ans d’existence, insidieusement censurés sur France Culture par Laure Adler secondée par l’actuelle directrice de France Inter, Laurence Bloch [3], nous n’avons été invités qu’une seule fois dans un grand média (dans l’émission « Ce soir (ou jamais !) » du 22 novembre 2013. Et si l’un des réalisateurs du film Les Nouveaux chiens de garde a été invité dans la même émission, le film lui-même a été censuré sur France Télévisions. Pis : sa diffusion sur « La Chaîne Parlementaire » (LCP) a été suivi d’un débat réservé aux chiens de gardes eux-mêmes [4].

Si, pour parler comme Daniel Schneidermann, « nous n’en tirons pas gloire », force est d’admettre que la censure de facto d’Acrimed et de ses amis les plus proches est le prix payé de notre indépendance et de notre radicalité.

Pas d’abonnements à prospecter, mais des adhésions à multiplier. Maintenant !


Martin Coutellier et Henri Maler

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[2Ces différences, et leurs conséquences, ont été plus ou moins largement discutées lors de notre invitation sur le plateau d’Arrêt sur images en avril 2010 en 2010 (en particulier le chapitre III). NB : la lecture des vidéos peut poser problème sous certains navigateurs, veuillez nous en excuser. Nous travaillons à la résolution du problème.

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