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Macron, candidat imbattable pour Franceinfo

par Pauline Perrenot,

« Qui ferait mieux que Macron ? » s’exclame une éditorialiste sur BFM-TV. « Comment être contre la position d’Emmanuel Macron ? » dit un autre sur Franceinfo. On n’en finirait plus de chroniquer la servilité des commentateurs de l’audiovisuel. Reste que certains épisodes valent plus que d’autres. En particulier quand il s’agit du service public : retour sur « l’édition spéciale » de Franceinfo le 3 mars, au soir de l’annonce de candidature d’Emmanuel Macron.

La PQR annonçait la couleur, Franceinfo a joué le carré : Alix Bouilhaguet, intervieweuse et éditorialiste politique sur Franceinfo, Gilles Bornstein, éditorialiste pour Franceinfo également, Benjamin Morel, maître de conférences en droit public/expert médiatique, et Stewart Chau, consultant pour l’institut de sondages ViaVoice, ont été sélectionnés pour commenter la « mue » tant attendue : Emmanuel Macron, candidat à la présidentielle de 2022 !

Un « événement » qui de toute évidence, méritait une édition spéciale d’une heure, prolongée – les cauchemars les plus longs sont les meilleurs –, par l’émission « Les Informés », autre quotidienne d’éditorialistes. À 19h, l’heure était à la spéculation : officiellement, La-Lettre n’était pas encore publique, ce qui n’empêche nullement, on le sait, les commentateurs de commenter. Alix Bouilhaguet : « Il va cibler son enseignement des deux guerres qu’il a dû mener, la première, celle contre le Covid […], et celle qu’on rencontre aujourd’hui entre la France et l’Ukraine. » Sic. Si la reprise des éléments de langage élyséens au plus fort de la crise du Covid avait des accents gênants, le rapprochement avec la guerre russe contre l’Ukraine est pour le moins déroutant.

Place au deuxième perroquet. Gilles Bornstein : « Emmanuel Macron va essayer de nous expliquer qu’il veut d’une France réunie, unie. […] Quant il a dit : "Il y a des échéances démocratiques, mais je sais qu’on se retrouvera sur l’essentiel", c’est une façon de dire : "Nous serons tous unis, il y aura évidemment des débats contingents sur la politique […], mais pour le reste, la France unie, j’en suis le meilleur garant". » Un peu comme Gilles Bornstein vis-à-vis du journalisme. Et les frontières avec la communication sont toujours bien gardées. Emmanuel Macron ? « Il lit tout ! J’ai eu encore un témoignage récemment d’un techno du ministère qui disait : "Il lit tous les tableaux Excel de toutes les prévisions de toute l’administration." Il lit tout ! » Est-ce que le grand lecteur voudra débattre avec les autres candidats lors d’un débat télévisé ?

Objectivement, la période, l’actualité lui permet de ne pas le faire. Il va être chef de guerre, il nous a expliqué hier que ça allait durer longtemps […], et il aura toute légitimité pour dire : « Moi, je ne m’occupe pas et je ne débats pas des gommes et des crayons avec les autres candidats. »

Blâmons ainsi « la période » (non les chefferies médiatiques) et « l’actualité » (non les commentateurs qui la font), d’entériner par avance l’escamotage du débat démocratique. Autre chose que ne permet pas « la période » ? Oui :

Les Français, je pense, lui donnent quitus sur une assez bonne gestion économique – « le quoi qu’il en coûte » – de la crise du Covid. Maintenant, il y a de l’insatisfaction sociale en France qui est assez prononcée, et la période lui permet qu’on n’en parle pas.

Toujours rien à voir avec les choix éditoriaux des journalistes. Une chose à savoir en revanche : « la période » autorise les panégyriques.

Alix Bouilhaguet : Il y a un vote légitimiste, il y a une peur des Français, donc on se raccroche à la personne qui est là. […] 2017, c’est la start-up nation, c’était l’émancipation individuelle, c’était le réformateur. Et c’est vrai qu’on l’a entendu hier soir, du « je », il est passé au « nous ». Il est passé au Président protecteur. […] Il a été découvert, je pense, dans les situations de crise, les gilets jaunes, la crise du Covid, la guerre aujourd’hui […]. On s’est rendu compte que ce jeune président, finalement, dans des grands moments de tension, il avait du sang froid, il avait du bon sens, et qu’il savait s’adresser aux Français et les rassurer.

À coups de flashballs et de mains arrachées. C’est aussi ce qu’a constaté Gilles Bornstein :

Comme président solide au moment des crises, il a été bon. Les gilets jaunes […], il a inventé ce grand débat national, et il a miraculeusement trouvé le moyen de renouer avec les Français.

Pour prolonger cette analyse sans concession du quinquennat, Franceinfo lance un reportage intitulé « Que retenir des 5 ans d’Emmanuel Macron à l’Élysée ? » Deux options : Franceinfo a la mémoire courte, Franceinfo fait dans la propagande. Et « la question est vite répondue » ! Vide sur le fond – hormis la contre-réforme des retraites, aucune autre n’est citée –, le reportage se paye en revanche de mots : « Un an après son élection, tout lui sourit. L’équipe de France est sacrée championne du monde de football. Mais l’euphorie est de courte durée. Juillet 2018 éclate l’affaire Benalla. » Défilent ensuite des images du « saccage de l’Arc de Triomphe » par les affreux bonshommes en jaune : « Les gilets jaunes ont stoppé net les réformes. Pour renouer le lien, Emmanuel Macron lance le grand débat. […] Mais c’est autour d’un symbole qui part en fumée [Notre-Dame de Paris] que l’unité nationale revient. » Amen. La crise du Covid ? Le reportage affirme que « l’absence de masques et les débuts poussifs de la vaccination fracturent à nouveau le pays. » La faute à pas de chance…

Mais en réalité, à quoi bon la contradiction, puisqu’elle est impossible par essence ? C’est en substance ce que nous explique l’expert Benjamin Morel :

La question de la politique sanitaire pendant des mois a été un poison pour l’opposition. C’est en fait un peu le même jeu que la guerre en Ukraine. C’est-à-dire : comment être contre la position d’Emmanuel Macron ? Vous pouvez vous opposer à la marge, expliquer que peut-être, il ne faut pas le masque par ci par là, peut-être que le pass vaccinal, il faudrait le réserver à certains lieux, mais ça ce n’est pas réellement audible pour l’opinion. De même que pour l’Ukraine, dire que la sanction est trop élevée ou autre, ce n’est pas réellement audible.

Et Alix Bouilhaguet d’enfoncer le clou :

Dans le timing, [Emmanuel Macron] va avoir l’avantage de pouvoir faire le tempo, faire l’actu. Et c’est vrai que cette crise avec l’Ukraine, elle oblige à une forme de gravité, elle oblige à un retour à l’essentiel. […] Ce sera très compliqué d’avoir des petites guéguerres picrocholines politiques sur des sujets subalternes. Ça sera très compliqué pour l’opposition d’arriver à exister. On a vu Éric Zemmour, il a eu son moment de gloire à l’automne, mais parce qu’il ne se passait rien ! Enfin il y avait le Covid, mais il n’y avait pas d’actualité autre. Donc dès que l’actualité se resserre sur des sujets régaliens, c’est le Président qui a la main.

Tant de choses en si peu de mots ! Retenons toutefois que 1) toute question en dehors de l’Ukraine est étiquetée « sujet subalterne » et « guéguerre picrocholine » (des « gommes et des crayons » disait Bornstein) par les chefferies médiatiques ; 2) que le temps s’est arrêté de septembre à décembre 2021 en France ; 3) que dans les rédactions, banaliser les idées néofascistes est un remède à l’ennui ; 4) que la main invisible du journalisme fait l’agenda… celui d’Emmanuel Macron en particulier.

Ce que confirmera Stéphane Zumsteeg, directeur du département opinion et politique d’Ipsos, quelques instants plus tard dans « Les informés » :

Ce sont ses principaux adversaires qui ne pourront pas faire campagne, parce qu’ils seront inaudibles. Emmanuel Macron, lui, pourra faire campagne, par son action diplomatique notamment. Les médias ne feront que suivre Emmanuel Macron et ils parleront beaucoup moins des autres, donc c’est vraiment une situation inédite : ça sera une non-campagne, mais il y aura quelqu’un qui pourra faire campagne.

« Inédit », c’est le mot…

Autre argument pour justifier l’indigence de la couverture médiatique des enjeux de la campagne présidentielle ? Stewart Chau, sondologue : « Cette campagne, elle est surtout marquée par une forme d’indifférence, de manque de désirabilité par les Français. » Satanés Français ! Que bien des partis fassent salle comble dans les grandes, moyennes et petites villes ne change rien à ce qu’ont décrété les commentateurs. En revanche, parole de sondologue, « il y a un registre qui apparaît un peu ces derniers jours, c’est le registre émotionnel. Ça, c’est important dans une campagne présidentielle : l’opinion qui est saisie par une émotion, et voir comment on va conduire cette émotion. […] Et je pense que d’une certaine façon, Emmanuel Macron peut aussi bénéficier d’une forme d’émotion collective. À voir effectivement si elle ne se dilue pas dans les jours et les semaines qui viennent. » Charmant… Reste que l’on compte sur les éditorialistes pour veiller au grain.

Quant au fond des programmes, on l’aura compris, c’est une question subalterne. Benjamin Morel : « La présidentielle, c’est d’abord une bataille d’incarnation. Vous ne vous battez pas sur un programme. La plupart des Français, désolé de le dire, n’épluchent pas les 200 pages des programmes. » Une déclaration qui nous rappelle cette confession d’Alain Duhamel, tenue sur un plateau de BFM-TV deux jours plus tôt (01/03) :

De toute façon, vous savez très bien que quelle que soit la campagne, on retient maximum 4 ou 5 propositions de chaque candidat, et encore les bonnes années !

« Ça tombe bien ! » lui répondrait presque Gilles Bornstein sur Franceinfo : Emmanuel Macron « a toujours dit qu’il ne voulait pas un catalogue de mesures, mais qu’il allait proposer 4 ou 5 grandes mesures […]. À n’en pas douter, il le fera, et on s’en emparera. » En attendant, repeindre son bilan et annoncer qu’il prend sa carte à la France Insoumise, c’est possible ? Oui, avec Benjamin Morel :

- Présentateur : Est-ce qu’il est passé de la start-up nation à la réindustrialisation de la France et de l’Europe ?
- Benjamin Morel : Ah oui, totalement !
- Présentateur : C’est un changement de paradigme. Là, on a un changement de logiciel total !
- B. M. : Souvenez-vous, il y a une interview de lui en 2017 où on lui demande […] : « Vous êtes le seul à croire encore au libre-échange ». Il dit : « Oui, je ne changerai pas, c’est mon logiciel. » Il a changé depuis. Profondément. Il a même énormément muté !

Rideau.


Pauline Perrenot


Post-scriptum : Sur BFM-TV et Franceinfo, des éditocrates interchangeables


Deux jours plus tôt sur BFM-TV, le gratin de l’éditocratie racontait peu ou prou la même chose.

Catherine Nay : Les Français se disent aujourd’hui que dans la situation actuelle, vu le panel des candidats, qui ferait mieux que lui [Macron] ? Vous voyez bien qu’aucun n’a le leadership, Emmanuel Macron est là depuis cinq ans, il a subi des tas d’orages, par sa faute, d’autres moins, mais en tout cas, il a tout eu. Et il a créé une jurisprudence pour la gestion d’un Covid et là aussi, il crée une jurisprudence, il n’y avait pas eu de guerre si proche de nous à cette échelle-là.

Le programme ? La grande démocrate dit que ça peut attendre après l’élection, qui est visiblement déjà pliée : « Il aura deux mois avant les législatives, peut-être qu’une fois qu’il sera élu, il dira mieux ce qu’il veut faire. » D’où l’interrogation d’Olivier Truchot : « Est-ce qu’il n’est pas déjà réélu ? D’ici quatre semaines, vous pensez que les choses vont bouger Alain ? On ne change jamais un chef de guerre au milieu d’une guerre, à moins qu’il soit vraiment très nul. » Ce qu’il n’est pas, parole de Catherine Nay : « Ses jours et ses nuits sont occupés à téléphoner à ses homologues, quand vous regardez son emploi du temps, il n’en dort plus, on ne sait pas comment il tient. »

En regardant les grands médias ?

 
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