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Lu, vu, entendu : « Bulletins de santé »

par Blaise Magnin, Henri Maler,

Bulletins de santé des Grands, bulletins de santé de l’info, bulletins de santé des journalistes, bulletins de santé publicitaire.

I. Le pape va bien, Nicolas Sarkozy et les éléphantes aussi

 Notre ami le pape (1) : Béatification

L’élection de Jorge Mario Bergoglio comme pape mit toutes les rédactions de France (et sans doute d’ailleurs) dans l’embarras : il ne faisait pas partie des favoris annoncés et nulle ne disposait d’une biographie immédiatement disponible. Heureusement, l’AFP fournissait gracieusement un beau « compliment » comme en rêvent tous les potentats en mal de popularité – que nombre de médias, et non des moindres, allaient reprendre (voir par exemple Libération, Le Monde, Le Parisien qui reprend le texte pour légender son diaporama, Le Nouvel Observateur, ou encore l’Est-Éclair pour la PQR). En voici les meilleurs passages :

« Jorge Bergoglio est considéré comme modéré, vivant simplement et refusant les privilèges. […] Archevêque de Buenos Aires et primat d’Argentine, cet homme timide et à la parole rare bénéficie d’un grand prestige parmi ses ouailles qui apprécient sa totale disponibilité et son mode de vie dénué de toute ostentation […] Pendant la dictature militaire en Argentine (1976-1983), Jorge Bergoglio se bat pour conserver l’unité d’un mouvement jésuite taraudé par la théologie de la libération, avec un mot d’ordre : maintenir la non-politisation de la Compagnie de Jésus. […] En dépit de cette carrière météorique, l’homme est resté « très humble » et « garde un profil bas » , selon le père Marco. Il se lève à 04h30 du matin et termine sa journée à 21h00. Il n’a pas de voiture, se déplace en transports en commun et a renoncé à occuper la somptueuse résidence des archevêques de Buenos Aires. On le dit très attentif aux besoins de ses collaborateurs, qui peuvent le joindre à tout moment sur une ligne téléphonique directe. Il n’accorde pas d’interviews, tout en étant lui-même un lecteur assidu de la presse. On sait toutefois le prélat grand lecteur de José Luis Borgès et de Dostoïevski, amateur d’opéra et fanatique du club de football de Buenos Aires San Lorenzo, fondé par un prêtre. »

 Courage Président !

Mis en examen dans l’affaire Bettencourt, Nicolas Sarkozy, qui n’avait pourtant pas épargné France Télévisions pendant son mandat, voit sa com’ « soigneusement préparée » sur Facebook être relayée servilement sur le site d’information du groupe audiovisuel public, francetvinfo.fr.

Avec une capture d’écran du message laissé par l’ex-président à l‘attention de ses « amis » sur le réseau social et, comme si ce n’était pas suffisant, une reprise dans le corps de l’article de ses arguments les plus poignants et convaincants : « "Je veux affirmer qu’à aucun moment dans ma vie publique, je n’ai trahi les devoirs de ma charge", assure-t-il, ajoutant : "Je vais consacrer toute mon énergie à démontrer ma probité et mon honnêteté." » ; « "La vérité finira par triompher. Je n’en doute pas", affirme Nicolas Sarkozy avant d’ajouter qu’il utilisera "les voies de droit". »

Et surtout, plus-value éditoriale qui donne tout son sens à l’article, Francetv Info apporte la preuve statistique de la popularité immense de Nicolas Sarkozy, de l’amour que les Français lui portent encore et en donne un aperçu saisissant en utilisant un « nuage de mots », procédé infographique qu’on aimerait voir plus souvent : « Publié en début d’après-midi, le message totalisait déjà plus de 14 700 mentions "j’aime" et plus de 2 700 commentaires en à peine 45 minutes. Francetv info les a compilés dans un nuage de mots. Un en particulier revient dans ces réactions : "courage". »

 Nos amies les éléphantes

Souvenons-nous un instant de cette histoire si triste et si belle que le quotidien lyonnais Le Progrès a couverte en fin d’année 2012 avec un sens de la responsabilité journalistique aigu, et qu’Acrimed avait su évoquer d’une bien belle manière... Il y était question de deux éléphantes pensionnaires d’un parc lyonnais qui, atteintes par la tuberculose, devaient être euthanasiées. Ce destin tragique ainsi que la mobilisation tous azimuts de Brigitte Bardot et du cirque Pinder pour les sauver avaient alors été l’objet d’une couverture aussi dense qu’irréprochable du Progrès

Et bien réjouissons-nous ! Les deux éléphantes du parc de la Tête d’Or, Baby et Népal, sont sauvées et vont être recueillies par... la Principauté de Monaco... qui n’accueille donc pas que des gros riches ! Déjà, le 28 février dernier le quotidien de Lyon titrait sur la suspension de l’abattage des deux éléphantes. Notez enfin que la bonne nouvelle est en Une le 4 avril... enfin un quotidien qui, ce jour-là, sut jouer sa partition en marge du barnum médiatique en épargnant à ses lecteurs une énième Une sur les aveux de Cahuzac !

II. Bulletins de santé de l’information

 Approximation méprisante, approximation méprisable

Le 7 avril, à la suite d’une énième « bavure » de l’OTAN, lemonde.fr titre sur « une dizaine » d’enfants tués en Afghanistan dans un bombardement...

Ils étaient onze, et Le Monde le savait puisqu’il le rapporte dans la première phrase de l’article… Mais les enfants Afghans, ça se compte à la louche, même lorsque l’on connaît le chiffre exact : un de plus ou de moins, quelle importance !

 Pan sur le bec !

Le Canard enchaîné du 10 avril 2013, sous le titre « L’incompris », en page 8, écrit : « Pauvre Mélenchon ! Quoi qu’il dise, ça lui revient dans la figure. Qu’il réclame "un grand coup de balai", pour nettoyer les pourris et on lui balance une vieille manif des rexistes belges des années 30 ; qu’il parle de "purification éthique" et le Vert Noël Mamère lui renvoie "des mots qui font peur". »

Pauvre Canard enchaîné ! Une fois n’est pas coutume, Le Canard se laisse induire en erreur par les divagations de Libération qui a voulu voir, avec sa Une du 5 avril, des velléités de « purification éthique » dans l’appel du président du Parti de gauche à « une marche citoyenne pour la VIe République, pour que le peuple s’empare, par une Constituante, du grand coup de balai qu’il faut donner pour purifier cette atmosphère politique absolument insupportable  »…

Morale de l’histoire : quand Libé se prend pour Le Canard et multiplie les « bons mots » dans sa titraille, les résultats sont aussi lamentables que lorsque Le Canard reprend les procédés de Libé en travestissant et en décontextualisant les propos qu’il rapporte !

 Notre ami le pape (2) : Béatitude et journées blanches

Mercredi 13 mars, les cardinaux offraient au monde un nouveau pape. Le jour précédent, la météo jouait un tour au futur François Ier puisque la France se couvrait de neige du nord au sud – et éclipsait en partie son élection… Résultat ? Deux journées blanches pour l’info, comme la fumée de la chapelle Sixtine, la soutane pontificale et les flocons de mars, ainsi que le montre ce relevé chronométrique sur les JT des deux chaînes principales :

- Mardi 12 mars 2013 :

JT de 13h, TF1 : 25 min de neige, 5 min de pape (30 min sur 40 min)
JT de 20h, TF1 : 30 min de neige, 5 min de pape (35 min sur 40 min)

JT de 13h, France 2 : 30 min de neige, 5 min de pape (35 min sur 45 min
JT de 20h, France 2 : 30 min de neige, 5 min de pape (35 min sur 45 min)

- Mercredi 13 mars 2013 :

JT de 13h, TF1 : 25 min de neige, 5 min de pape (25 min sur 40 min)
JT de 20h, TF1, 20 min de neige, 30 min de pape (50 min sur 50 min)

JT de 13h, France 2 : 35 mn de neige sur 40 mn
JT de 20h, France 2 : 15 mn de neige, 30 mn de pape (45 mn sur 60 mn)

- Bilan : 145 min sur 170 min, soit un peu plus de 85 % des JT de TF1 et France 2 consacrés durant ces deux jours à la neige et au pape.

 L’inquiétante étrangeté des Transalpins

Philippe Ridet est le correspondant du Monde à Rome. C’est sans doute la raison pour laquelle il s’autorise, lorsque les Italiens ont mal voté à son goût, à les tancer sur son blog à coup de paternalisme, de condescendance et de clichés ethnocentriques. Dès le titre, le ton est donné, « Chers amis italiens, cette fois, vous avez fait fort », mais c’est au cours de l’article que le spécialiste de l’âme italienne donne toute sa mesure :

« Je cherche à vous comprendre, à tordre le cou aux clichés (parfois fondés) qui voudraient vous résumer... Vous savez bien : les mandolines, les pizzas et le bel canto... Je vous devine déprimés, quand les guides touristiques continuent de vous décrire comme joyeux et bons vivants. Mais vous me fuyez quand je crois vous atteindre, vous me déroutez alors que je pense vous tenir, vous me décevez quand je suis sûr de vous aimer. Bref, vous êtes une énigme. […] J’ai admiré, comme tout le monde, […] votre élégance - même si elle est devenue plus rare -, l’extrême fluidité des rapports humains et votre gentillesse, même quand elle est feinte. J’ai ressenti comme une bonne partie d’entre vous la gêne, pour ne pas dire la honte, qui vous submerge à la lecture quotidienne des scandales du berlusconisme finissant. […] Mais cette fois, vraiment, je suis en colère. Une fois encore vous m’échappez. Même si je m’y attendais un peu, le résultat des élections, c’est San Remo puissance mille. Personne n’y comprend plus rien. Et si on faisait venir des ethnologues ? »

 Titrer plus vite que l’info

Aux Echos, on aime se réjouir quand le monde des affaires se pique de moraliser ses pratiques. Mais à trop s’enthousiasmer, le risque est grand d’annoncer les bonnes résolutions des industriels avant qu’elles n’aient dépassé le stade de la simple velléité…

Ainsi de cet article dont le titre avance : « Gaz de schiste : exploitants et ONG s’entendent sur de nouvelles normes », avant qu’on apprenne dans le texte que « Shell et Chevron vont définir des standards avec les ONG environnementales », et que pour ce faire, ils « ont signé la semaine dernière un accord avec des associations environnementales afin de définir de nouvelles normes pour les activités de fracturation hydraulique ».

Qu’il doit être rassurant d’annoncer à quel point les grandes entreprises sont vertueuses, les grands pétroliers soucieux d’intérêt général et le capitalisme vert…

III. Bulletin de santé des journalistes

 Bises interprofessionnelles

Gaëlle Macke, journaliste pour le magazine Challenges, participait à une émission d’Arrêt sur image, diffusée le 5 avril 2013 et consacrée au rôle des journalistes et des médias face à l’enquête de Médiapart. Au cours de l’émission on la voyait interviewer Cahuzac lors d’un reportage sur France 5. C’est évidement parce que la question était totalement périphérique par rapport à l’objet de l’émission que ni ses animateurs ni les autres participants n’ont remarqué ce petit détail incongru : la bise familière entre Gaëlle Macke et Jérôme Cahuzac, alors que ce dernier était déjà mis en cause. Cette familiarité qui n’implique a priori aucune connivence ne doit guère aider les journalistes à poser des questions embarrassantes…

Autre exemple. En 2008, la correspondante « Élysée » de l’AFP sous Sarko, Nadège Puljak, ne se gênait pas pour faire la bise à certains ministres. Le service vidéo de l’AFP, dans sa très grande naïveté, l’a même filmée dans cette posture, avec Rachida Dati le 5 septembre 2009.

 Chantage interprofessionnel

Pourquoi s’abaisser à payer sa note au restaurant quand on est « l’éditeur de Marie Claire  », « premier magazine féminin haut de gamme français (485 000 ex./mois) », « DG du groupe (90 mags dans 35 pays) », que l’on tire « à près de 100 000 ex. et touche près de 500 000 personnes habitant Paris et la région parisienne » ?

C’est en substance la question que pose l’important Jean-Paul Lubot, titulaire des importantes fonctions susmentionnées, à Pierre Jancou, restaurateur parisien qui avait trouvé « louche et frauduleuse » la demande du premier d’être gracieusement invité à dîner dans son établissement, en bonne compagnie, en échange d’une recension dans les pages gastronomie du magazine.

Entre racket, chantage et menace, un échange de mails édifiant qui révèle les mœurs étranges d’une partie des patrons de presse.

IV. Bulletin de santé publicitaire

 Prendre les euros sans prendre parti ?

Comme le rappelle le SNJ de Radio France dans un communiqué, il devient difficile pour des journalistes de démontrer qu’ils « sont parfaitement indépendants et résistent chaque jour aux pressions économiques, politiques, idéologiques » lorsque la politique publicitaire de leur employeur vient parasiter leur travail et leur crédibilité…

Pour preuve, deux exemples atterrants cités dans le communiqué : « En plein conflit entre les pro et les anti aéroport Notre-Dame-des-Landes, Radio France vient de vendre des espaces publicitaires au Syndicat Mixte Aéroportuaire pour qu’il vante les mérites du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes sur les antennes de France Bleu Loire Océan. À Poitiers, Radio France avait trouvé que c’était une bonne idée de faire sponsoriser la météo par les Irrigants de la Vienne, en plein débat très tendu et ultra politique sur la ressource en eau et la sécheresse. »

Ou de l’incompatibilité d’un service public radiophonique avec son financement par la publicité…

 Annonceur-propriétaire

Le Crédit Mutuel fait décidément bon usage des titres qu’il contrôle ! Comme le dénonçait un communiqué du SNJ que nous publiions le 6 mars dernier, la banque avait fait paraître un article à sa propre gloire dans les neuf journaux qu’elle possède… Elle récidive le 7 avril en s’offrant dans L’Est Républicain plus d’une pleine page de publi-reportage et de publicité.

Pourquoi se priver quand tout le monde sait qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même ? D’autant qu’on imagine que les négociations avec la régie publicitaire et la rédaction n’ont pas dû être trop âpres ! Quant à la satisfaction du lecteur de se voir informer que le Crédit Mutuel n’hésite pas à aller « à la rencontre de ses sociétaires lors des Assemblées Générales », c’est une autre question…

***

Blaise Magnin et Henri Maler
Grâce aux contributions précieuses de Gilles Balbastre, très attaché aux éléphantes désormais monégasques, d’Ève Guiraud qui a enduré les JT des « journées blanches », d’un ancien journaliste de l’AFP, aujourd’hui retraité, qui a repéré les embrassades politico-journalistiques et de divers correspondants, notamment sur Twitter (dont nous lèverons l’anonymat, s’ils le souhaitent).

 
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