En un prologue et dix-huit courts chapitres, l’auteur [3] propose une critique vive et bien documentée du fond de commerce de certains éditocrates et de leurs amis « intellectuels ».
L’ouvrage explore le paradoxe selon lequel des journalistes, éditeurs, intellectuels qui peuvent s’exprimer continuellement et abondamment dans les plus grands médias, en viennent à déplorer qu’ils ne peuvent « plus rien dire ». La « bien-pensance » (quand ce n’est pas la « police de la pensée ») interdirait en effet l’expression et la diffusion des propos « subversifs », qui ne se conformeraient pas au « politiquement correct ».
Les briseurs de tabous ne sont « ni de droite ni de gauche »
Ce « raisonnement », explique Sébastien Fontenelle, repose sur un empilement de supercheries intellectuelles. La première est de faire passer pour « subversives » ou même pour « inclassables » des idées… de droite ! Le chapitre 4, intitulé « La ‘‘vague iconoclaste’’ » revient sur l’un des plus emblématiques exemples du genre. Le numéro 1732 du Point daté du 24 novembre 2005 consacre sa couverture et son dossier central à la « vague iconoclaste », menée par des personnages venus « de tous horizons » qui « cassent le clivage gauche / droite ». L’éditorial de ce numéro, encore en ligne n’est ni plus ni moins qu’une accumulation de lieux commun droitiers : la « police de la pensée » sévit au « royaume du politiquement correct », excepté dans les maigres espaces réservés à des penseurs « iconoclastes », « convertis au réalisme » (pour ne pas dire à la droite…) qu’ « il sera difficile, cette fois, de bâillonner ». Qui sont ces iconoclastes qui nous permettent de repenser nos catégories politiques ? Des gens aussi « inclassables » que… Nicolas Sarkozy ou Alain Finkielkraut :
Sébastien Fontenelle souligne au passage que, si certains de ces briseurs de tabous comme Alain Finkielkraut ne sont pas encartés à droite, leurs amitiés et leurs « critiques » n’en sont pas moins des marqueurs politiques. Ainsi Alain Finkielkraut salue Renaud Camus, penseur « singulier et rare » qui écrit, selon le philosophe préféré de France Culture, « sans crainte des tabous » (p. 20). Dans le même ordre d’idée, il soutien l’italienne Orianna Fallaci [4] qui, si elle écrit « avec des Pataugas » n’en a pas moins « le mérite de ne pas se laisser intimider par le mensonge vertueux » et « s’efforce de regarder la vérité en face » (p. 64). N’en déplaise à la rédaction du Point, tout indique que ces « briseurs » de tabous sont en réalité des personnes réactionnaires, voire proches de la droite la plus extrême.
Les « briseurs de tabous » sont muselés
La seconde supercherie du raisonnement des « mal-pensants », et non la moindre, est de faire croire qu’ils sont ostracisés de la vie politique française, voire qu’ils sont des « dissidents ». Éric Zemmour, Ivan Rioufol, Philippe Tesson, Élisabeth Lévy, Alain Finkielkraut, Jean-François Kahn, Christophe Barbier et d’autres, seraient quasi inaudibles du fait des tentatives de censures (staliniennes plus que nazies) et d’un climat général dans lequel seuls les propos « bien-pensants » seraient dicibles. En témoignent ces quelques titres dans lesquels ces iconoclastes brandissent tous une pancarte « Je suis Éric Zemmour » :
Sans brider son inspiration grandiloquente, Jean-François Kahn publiait pourtant quelques mois auparavant des avis pour le moins tranchés sur la liberté d’expression [5] :
En bref, pour les briseurs de tabous, « on ne peut plus rien dire » (dixit une sorte de manuel pour briser les tabous récemment publié par Valeurs Actuelles) :
Mais « on » peut quand même publier un journal… ou fréquenter télévisions et journaux ! Pour ne citer que quelques unes de leurs activités, ces penseurs anticonformistes et ostracisés occupent des fonctions de direction dans des grands médias (Élisabeth Lévy à Causeur, Jean-François Kahn à Marianne jusqu’en 2007), détiennent d’importants espaces médiatiques et éditoriaux (Alain Finkielkraut à France Culture ou aux éditions Stock et Gallimard, Éric Zemmour dont on ne recense plus les émissions auxquelles il participe régulièrement tant l’exercice serait fastidieux).
Les briseurs de tabous sont « réalistes »
Sébastien Fontenelle montre bien à travers son livre à quel point les discours des penseurs médiatiques « anticonformistes » ne reposent sur rien. Leurs opinions péremptoires ne s’encombrent pas, en effet, du fastidieux travail de la documentation et de la vérification par les faits de leurs propos les plus spectaculaires. On peut relever, parmi d’autres, l’exemple d’Alexis Lacroix, journaliste au Figaro, qui popularise la thèse d’Alain Finkielkraut selon laquelle les militants antifascistes « font la vie dure aux juifs » (p. 28), écrivant que « l’extrême-gauche maquille sa haine [des juifs] sous le discours antisioniste » (p. 31). Il est évident que l’extrême-gauche n’est pas vaccinée contre un antisémitisme qu’il faut toujours combattre. Mais le propos - pour le moins étonnant - selon lequel « l’extrême-gauche » en général est antisémite et « dure » avec les juifs peut difficilement se passer d’une documentation précise et abondante, que ni le philosophe ni le journaliste ne fournissent. Et pour cause.
Aussi, pour pallier ce manque d’une documentation sur laquelle les avis devraient se fonder, ces « anticonformistes » invoquent souvent une « réalité » pour montrer le bien fondé de leurs avis. Ainsi Alain Finkielkraut apprécie une Oriana Fallaci qui « s’efforce de regarder la réalité en face » (p. 64). Ainsi également du Nouvel Observateur qui révèle à ses lecteurs, en juin 2006, « la vérité sur l’islam de France », ou de L’Express qui publie en juin 2008 les « vérités qui dérangent » sur « l’islam » (p. 68).
Les briseurs de tabous, des prophètes qu’on attendait tous
Invoquant, donc, « la réalité » pour n’avoir rien à documenter et taxer tous les potentiels détracteurs d’irréalisme, les briseurs de tabous passent pour des prophètes dont on doit percevoir le caractère novateur voire révolutionnaire des propos (on ne saurait, eux, les qualifier d’ « archaïques [6] »). Briser des tabous serait « nouveau » et « courageux ». En réalité, les « tabous » brisés sont toujours les mêmes, et ce depuis de longues années : lorsque Le Point pourfend l’impôt ou lorsqu’Alain Finkielkrault dit leurs quatre vérités aux musulmans, ils ne font qu’entretenir des topos et brisent pour la millième fois des « tabous » qui sont déjà en miettes.
Le livre de Sébastien Fontenelle n’est ni un éloge des « tabous » ni un plaidoyer pour l’envoi en camp de redressement des éditocrates. Ceux-ci peuvent bien penser et dire ce qu’ils veulent, c’est là leur droit le plus strict. Ce qui est plus gênant, c’est qu’ils se disent persécutés quand ce sont eux qui font et défont le bruit médiatique dominant en France.
Vincent Bollenot