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Les Grecs plébiscitent Bernard Guetta

par Nils Solari,

Le métier d’éditorialiste matinal sur une radio nationale n’est sûrement pas chose facile. En plus de se lever tôt, il faut trouver chaque jour de quoi alimenter sa chronique. Or, en matière de « géopolitique », Bernard Guetta ne tarit pas d’inspiration. Surtout lorsqu’il s’agit d’abonder dans son propre sens… En ce lundi 20 février 2012, c’est probablement à la lecture d’une dépêche de l’Agence France presse (reprise d’ailleurs par nombre de ses confrères [1]) que Guetta a été pris d’un accès de sondomanie aiguë… alimentant son affection chronique pour l’Europe libérale.

Pourtant, tout aurait pu si bien commencer :

« Alors même qu’en échange du soutien financier de l’Europe, le Conseil européen impose, entre autres, aux Grecs une réduction de 22 % de leur salaire minimum, et même de 32 % pour les plus jeunes, une baisse du montant des retraites, une réduction du nombre des fonctionnaires, la fin des primes d’ancienneté et une drastique diminution des dépenses publiques, alors même que les dirigeants européens les mettent au pain sec, les privent avant longtemps de toute possibilité de rebond économique et les condamnent à une absurde austérité qui va accroître et non pas résorber leur déficit budgétaire (…) »

… si tant est que la fièvre ne soit montée à la tête de l’éditorialiste juste auparavant :

« Oui, ce sont des chiffres fascinants et qui en disent long sur ce qu’est la profonde intelligence politique des peuples » [2]

… Des peuples qui ne sont intelligents que lorsqu’ils semblent donner raison à Guetta, qui conclut ainsi son entrée en matière :

« (…) les quatre-cinquièmes des Grecs repoussent toute idée de sortir de l’Union européenne. Selon un sondage publié hier (dont il ne mentionne pas la source [3]), seul 19,6 % d’entre eux souhaitent sortir de l’euro et en revenir à la drachme, tandis que 75,9 % des Grecs, une écrasante majorité de la population, se disent en faveur du maintien de la perspective européenne de leur pays ».

Loin des mobilisations qui traversent la Grèce depuis plus de deux ans, loin de l’opposition radicale que les manifestants ont opposée lors du vote au Parlement grec du plan d’austérité imposé par le Fonds monétaire international (FMI) et l’Union européenne (UE), Guetta n’en démord pas : « Malgré la violence des coups qu’elle leur assène, les Grecs demeurent massivement partisans de leur appartenance à l’Union », et s’apprête à révéler qu’« il y a quatre bonnes raisons à cela ». Raisons qu’il s’empresse de nous livrer.

Mais là réside la prouesse : les quatre raisons que Guetta attribue aux Grecs, réduits au silence par une arithmétique sondagière qui ne dit rien, et pour cause, de leurs motifs, sont exactement les quatre raisons qui font l’unanimité de Guetta, ainsi plébiscité par les Grecs eux-mêmes… qui ne sont sans doute pas au courant !

« La première – nous dit-il – est que, sortant de l’Union, la Grèce aurait soit à se déclarer en faillite, soit à rembourser avec une devise faible une dette souscrite en euro fort […] » Or il va de soi, pour notre éditorialiste, qu’il s’agirait là d’« un pur et simple suicide, un acte de désespoir aveugle auxquels les Grecs ont la sagesse de se refuser ». Ironie du calendrier, Libération publiait la veille un entretien de Roberto Lavagna, ancien ministre de l’Economie argentin, qui « a sorti son pays de la crise en 2002 en se passant des services du FMI » et qui « préconise la même solution pour la Grèce » [4].

La « deuxième raison pour laquelle ils ne veulent pas envisager de quitter l’Union » ? Guetta la trouve dans cette « solidarité impressionnante » de l’UE, et ce « […] quelles que soient la brutalité et l’inefficacité de la potion qu’elle leur impose ». Et d’insister : « Aussi détestables que soient ces prescriptions, l’Union ne laisse pas tomber la Grèce ».

Car Guetta, toujours à l’écoute de l’homme de la rue, sait bien, lui, que « les Grecs […] savent que ce n’est pas elle mais leurs propres dirigeants qui ont créé cette crise ». Les Grecs savent donc ce que Guetta sait : c’est touchant !

Mais surtout, si « ce pays ne veut pas rompre avec l’Europe », c’est enfin, nous dit Guetta, que : « les politiques dont une majorité des dirigeants européens peut décider un jour ne sont pas à confondre avec l’Union elle-même. Ces politiques peuvent être jugées aberrantes, elles le sont en l’occurrence, mais l’Union, son marché commun, ses aides structurelles et la force qu’elle donne à chacun de ses membres sont indispensables à la Grèce  ».

L’expert matutinal ès géopolitique de France Inter s’illustre donc par son incroyable sens de l’écoute des peuples à travers le monde et s’en fait indéniablement le porte-parole… surtout si ces peuples sont « malgré tout » favorables à une certaine idée de l’Europe chère à Guetta. S’il n’en est pas à son premier coup [5], c’est qu’il ne peut déroger au désormais célèbre « théorème de Guetta », selon lequel :

« Sitôt qu’un événement – diplomatique, économique, voire sismique – implique l’Union européenne, l’interprétation qu’en donne Bernard Guetta sur France Inter se rapporte à coup sûr à l’une de ces trois propositions : toute réussite s’explique par l’Europe ; tout échec est imputable au manque d’Europe ; toute réussite et tout échec appellent davantage d’Europe [6] ».

Il ne fait guère de doute désormais que les Grecs plébiscitent Bernard Guetta !

 
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Notes

[1Le Monde, Le Figaro, Le Point, Europe 1, Le Républicain lorrain, etc.

[2C’est nous qui soulignons, ici et par la suite.

[3Sondage publié le 19 février 2012, dans le quotidien grec Ethnos.

[5Voir, à ce sujet, ici même : Benoît Vernière, Bernard Guetta, « pédagogue » au bord de la crise de nerf, 19 juillet 2007 ; et Henri Maler et Mathias Reymond, « Bernard Guetta célèbre sa propre importance », 21 février 2005.

[6Pierre Rimbert, « Le théorème de Guetta », Le Monde diplomatique, novembre 2008 ; et Serge Halimi, « Contre les tsunamis, votez “oui” au référendum ! », février 2005.

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