« C’est la petite musique qui monte depuis quelques jours », introduit le journaliste Loïc de la Mornais, dans son émission sur France Info (04/09) : « Un rêve, un espoir, pour la gauche en tout cas : le Parti socialiste pourrait-il s’installer à Matignon ? ». La veille, la problématique est la même dans la matinale de Guillaume Erner sur France Culture (03/09). Le journaliste politique du Monde Olivier Pérou y est invité à commenter les tractations de partis : « On sent qu’il y a une clé à trouver avec le PS, comme à chaque fois. Il y a un espèce de "moment socialiste", on ne sait pas s’il va aboutir ou pas, mais il y a un "moment socialiste". » La curieuse expression semble être l’un de ces syntagmes que les journalistes politiques se repassent entre eux sans réellement en questionner le sens. On le retrouve, le même jour, dans la chronique de Françoise Fressoz du journal Le Monde : « Les socialistes vivent leur "moment". » Quant aux « clés » dont parle Olivier Pérou, on les retrouve, elles, dans Le Point (03/09), qui s’inquiète : « "Le PS a les clés" : Emmanuel Macron prépare-t-il un virage à gauche ? »
Le magazine « C dans l’air » (France 5), présenté par Caroline Roux, se pose la même question : « Macron : et maintenant, la gauche ? ». Dans le reportage qui lance le sujet, la voix-off l’affirme : « En coulisse hier, le président a convié les chefs de la coalition gouvernementale. Au menu : apprendre à travailler avec les socialistes […]. » Des fuites organisées depuis les réunions internes du « bloc central », des « off » destinés à être rendus publics, que l’on va retrouver un peu partout dans la presse : « Réunissant à l’improviste les chefs de partis du "socle commun", Emmanuel Macron les a ainsi enjoints à travailler avec le parti socialiste », écrit la lettre politique de Libération, « Chez Pol » (03/09) ; même info sur le site de TF1, TF1 info, qui titre son papier : « Les socialistes au cœur des négociations pour l’après-Bayrou » (04/09). Avec une introduction pleine d’espoir : « Pour ce parti de gouvernement, duquel sont issus deux anciens présidents de la République, la traversée du désert a été longue. Est-elle sur le point de prendre fin ? » Même écho dans Le Figaro (« Courtisés par Macron, les socialistes se voient à Matignon », 04/09), qui note : « Agréablement surprises par Laurent Wauquiez, qui a affirmé que la droite "ne censurera pas" un gouvernement PS, les troupes d’Olivier Faure guettent les premiers signes d’ouverture du bloc central » ; « Les premiers signes d’ouverture seraient à guetter en septembre », écrit Charlotte Bélaïch dans Libération (« Entre Bayrou et le PS, je t’aide moi non plus », 03/09), qui explique que plusieurs ministres du gouvernement Bayrou ont échangé au cours de l’été avec les socialistes, et « veulent croire qu’un chemin, escarpé, existe pour traverser le débat budgétaire ». Tonalité similaire dans La Provence : « Après Bayrou, le PS s’y voit déjà » (05/09) ; La Nouvelle République : « Le PS un peu plus au centre du jeu » (05/09) ; et dans d’innombrables autres publications où l’on retrouve, aléatoirement, les mots de « parti de gouvernement », l’idée de « stabilité », ou encore l’appel à la « responsabilité ». Ainsi L’Express : « Les socialistes et le sinueux chemin de la responsabilité » (04/09). Le HuffPost : « Olivier Faure veut se frayer un chemin » (04/09). Le Parisien, qui évoque lui « Les pistes pour amadouer le PS » (05/09). Ou encore Politico, avec une infolettre mondaine dont les journalistes politiques raffolent, « Playbook Paris », qui titrait dès lundi (01/09) : « PS : l’idée fait son chemin ».
Si le journalisme politique semble vivre son « moment socialiste », ce n’est pas seulement parce que le président de la République a laissé fuiter qu’il fallait désormais « se tourner vers le PS ». C’est aussi parce que le PS a donné les gages nécessaires à tous ces amis de la « stabilité », en actant plus nettement sa rupture avec La France insoumise, et en présentant un projet de « contre-budget », qui abandonne de fait plusieurs mesures emblématiques du programme du Nouveau Front populaire. François Fressoz n’en fait pas mystère dans sa chronique :
D’Eric Lombard à Manuel Valls, en passant par Astrid Panosyan-Bouvet, tous les membres du gouvernement venus de la gauche estiment que, face à la gravité du moment, le contre-budget du PS ouvre des marges de discussion […] Remis au centre du jeu par la décision du Rassemblement national de jouer la carte de la dissolution, voire d’une présidentielle anticipée, les socialistes sont devenus incontournables pour stabiliser le jeu.
Et Olivier Pérou de prononcer la sentence finale sur France Culture : « Soit [le Parti socialiste] fait cet accord de non-censure [avec le bloc macroniste], soit ils retournent – pardonnez-moi l’expression – dans les jupes de Jean-Luc Mélenchon. »
De ce point de vue, la jurisprudence éditocratique est assez claire : dans le premier cas, le PS devrait avoir droit à la plus grande mansuétude (jurisprudence Cazeneuve) ; dans le second, il devrait faire face à des attaques virulentes (jurisprudence Nupes). En attendant, le PS vit assurément son « moment »… médiatique.
Jérémie Younes