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Marc Fauvelle : avocat de Sarkozy… ou détracteur de Mediapart ?

par Vincent Bollenot,

Le 25 septembre 2025, l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy est condamné en première instance par le tribunal correctionnel de Paris à cinq ans de prison pour association de malfaiteurs avec exécution provisoire en raison d’un pacte de corruption noué avec le dictateur libyen Mouammar Kadhafi. Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart ayant largement contribué à documenter ledit pacte, est invité sur le plateau de Marc Fauvelle sur BFM-TV quatre jours plus tard.

« J’étais sur le plateau de BFM où je n’aurais jamais dû aller pour parler de la condamnation de Nicolas Sarkozy », a publiquement regretté Fabrice Arfi (Bluesky, 29/09). En effet… Verrouillé par un présentateur reconverti en avocat de Nicolas Sarkozy – dont il mobilise les arguments de « défense » sous couvert de « questions qui fâchent » et de « nuances » –, le dispositif met le journaliste de Mediapart en situation d’être tantôt un « adversaire politique » de l’ancien président, tantôt le porteur d’une « opinion » parmi d’autres. Nourrir le confusionnisme tout en ayant l’air de servir le « pluralisme » et la « contradiction » : tel est le bilan de ce formatage du débat public, où les faits et l’information sont noyés sous un conducteur de fausses questions… et de vrais à-peu-près.


Un journalisme de diversion


Alors que le journaliste de Mediapart dénonce la stratégie médiatique de l’ancien président – accuser les médias « vendus à la gauche » et « les juges rouges » –, l’intervieweur relaie au contraire, dès sa deuxième question, l’un des principaux arguments de la défense Sarkozy : « C’est LA note qui a lancé la machine judiciaire. » Le lancement de Marc Fauvelle est sans équivoque : la première partie de son interview sera consacrée à la fameuse « note Moussa Koussa », du nom du chef des services secrets extérieurs libyens de Kadhafi, un document révélé en 2011 par Mediapart. « Que contient cette note ? », demande le présentateur à Fabrice Arfi. Alors que le journaliste de Mediapart explique ce que contient ce document, qui a permis de révéler une rencontre secrète entre le terroriste et chef des renseignements libyens Abdallah Senoussi et les proches de Nicolas Sarkozy, Marc Fauvelle ne rebondit pas sur « l’extraordinaire gravité » des faits qui sont évoqués face à lui… mais sur les arguments de la défense de l’ancien président, qui s’acharne sans succès depuis plus d’une décennie à discréditer cette « note » :

Marc Fauvelle : Nicolas Sarkozy dit que cette note est un faux. Il s’appuie d’ailleurs sur les mots de la présidente au moment de prononcer le jugement la semaine dernière, qui dit : « Il y a aucun élément qui a permis de corroborer le contenu de la note qui apparaissait déjà fragile. » Je cite les mots de la présidente du tribunal. Le plus probable est que ce document Mediapart soit un faux. Est-ce que vous vous êtes trompé ?

Si la question est d’un premier abord légitime, Marc Fauvelle ne se contente pas de la réponse de Fabrice Arfi sur cette affaire pourtant déjà jugée 3 fois – à chaque fois pour donner raison à Mediapart. Au gré de relances incessantes, témoignant d’une relative méconnaissance du sujet qu’il aborde, l’animateur entre dans des considérations juridiques byzantines – pour ne pas dire de mauvaise foi – revenant, in fine, à légitimer les arguments Sarkozy, ou, tout « au mieux », à semer le doute :

Marc Fauvelle : Il y a eu procès, il [Nicolas Sarkozy] vous a attaqué pour faux… […] Il y a eu procès, enfin vous avez raison, il y a eu procès, il y a eu procès en appel. Vous avez gagné procès, procès en appel. Il y a une Cour de cassation… sur cette affaire et la Cour de cassation dit à la fin… elle a écarté l’accusation lancée par Nicolas Sarkozy. Elle dit « Ce n’est pas un faux mais on ne peut pas dire pour autant avec certitude qu’il s’agit d’un vrai ». […] On n’est pas plus avancé à ce moment-là.

- Fabrice Arfi : […] Il y a ce qu’on appelle en droit une autorité de la chose jugée. Cette note est selon la justice française ni un faux matériel, ni un faux intellectuel. […]

- Marc Fauvelle : Mais vous êtes d’accord pour dire que la Cour de cassation n’a jamais dit « il s’agit d’un vrai » ?

- Fabrice Arfi : La justice s’est saisie pour dire s’il s’agit d’un faux !

Le présentateur conclut que cette question qu’il a lui-même posée… ne se pose pas – « Oui, elle [la Cour de cassation] n’a pas été interrogée pour dire si c’était un vrai » – sans en démordre pour autant :

- Marc Fauvelle : Ouais… ça a son importance…

- Fabrice Arfi : Mais non mais c’est le droit ! [M. F. : Oui…] La justice ne peut pas dire : « elle est authentique » ; elle dit : « il n’y a rien qui permet de dire que c’est un faux matériel et un faux intellectuel ».

Mais rien n’y fait. Les questions suivantes se focalisent de nouveau sur la fameuse « note Moussa Koussa », comme s’il en allait du cœur du sujet, – ce que surlignent (lourdement) les bandeaux tout au long de l’interview…



Aussi l’animateur embraye-t-il au quart de tour sur un détail, de façon à suggérer l’incompétence ou la manipulation de Fabrice Arfi :

- Fabrice Arfi : Nous le disons depuis des années, il y a probablement une erreur dans la date [coupé]

- Marc Fauvelle : C’est ce que j’allais vous demander. Il y a une date sur ce document qui n’est pas la date du document, mais la date qui est… de la réunion Takieddine/Brice Hortefeux. Il est inscrit qu’elle aurait eu lieu le 6 octobre 2006. Ce jour-là, Brice Hortefeux était non pas à Tripoli mais à Clermont-Ferrand qui n’a pas grand-chose à voir. Comment expliquer une erreur de date comme ça sur un document aussi important ?

Fabrice Arfi met alors en évidence les contre-feux médiatiques allumés par Nicolas Sarkozy, centrés spécifiquement autour de ladite note, avant d’être à nouveau coupé par Marc Fauvelle : « La présidente du tribunal, elle n’est pas manipulée par Nicolas Sarkozy ? »


Un journalisme d’accusation


Alors que l’échange se tend, Fabrice Arfi évoque l’hostilité (de longue date) des médias dominants à l’endroit de Mediapart dans cette affaire. Marc Fauvelle le rassure sur un ton piquant : « Vous n’êtes pas accusé Fabrice Arfi, je vous pose des questions parce qu’on se les pose, sans doute parce qu’on les voit passer partout. J’en ai plein d’autres à vous poser, si vous permettez. » Las… c’est bien au procès de Mediapart que nous continuons d’assister :

Marc Fauvelle : Bon, cette note, vous la publiez, vous, à Mediapart, le samedi 28 avril 2012. C’est pas une date anodine, on est pile poil entre les deux tours de l’élection présidentielle. Nicolas Sarkozy est candidat. Il est finaliste. Il va affronter François Hollande quelques jours après. Pourquoi à ce moment-là ? Depuis combien de temps vous l’aviez cette note ?

Et pourquoi relancer, à ce moment-là, un débat qui s’est déjà tenu moult fois sur la place publique au cours des treize dernières années ? Fabrice Arfi joue néanmoins le jeu, entrant dans l’explication, arguant que la responsabilité des conséquences politiques de révélations journalistiques n’incombent pas aux journalistes d’investigation… mais aux personnalités politiques prises la main dans le pot de miel. Peine perdue : il est coupé après 7 secondes à peine. Et Marc Fauvelle de poursuivre, non plus en insinuations mais en accusation explicite : « Donc c’est le 28 avril 2012 à une semaine du second tour que vous avez eu la preuve selon vous qu’elle était exacte ? Vous ne l’avez pas gardée sous le coude ? »

Alors que Fabrice Arfi s’indigne, Marc Fauvelle le coupe à nouveau en prenant cette fois-ci explicitement la défense de l’ancien candidat UMP avec une affirmation pour le moins inexacte :

- Marc Fauvelle : Parce que vous savez qu’à cette date-là, on est dans une période en plus où le temps de parole est géré. Les candidats peuvent pas s’exprimer, très peu. C’est l’égalité, entre guillemets, il pouvait pas répondre aux accusations à ce moment.

- Fabrice Arfi : Bien sûr que si, il a répondu. On a contacté l’Élysée, on a contacté tous les acteurs…

- Marc Fauvelle : Pas dans les médias audiovisuels. Vous savez, c’est la période de d’égalité entre les deux tours de la présidentielle.

Médias audiovisuels où Sarkozy disposait néanmoins… de vaillants porte-parole.


Un journalisme d’opinion


Dernier volet des « questions » de Marc Fauvelle ? L’accusation de complot à l’endroit des juges et des journalistes. Interviewé la veille dans le JDD de Bolloré, l’ancien président continue de donner le « la » de l’interview et ses élucubrations fournissent à l’intervieweur… son cadrage :

Marc Fauvelle : Nicolas Sarkozy, hier, vous l’avez sans doute lu comme nous dans l’interview au JDD, dit « l’officier de police judiciaire qui enquêtait sur moi likait les articles de Mediapart et par ailleurs à chaque fois qu’il y avait une audition chez un magistrat par exemple, je l’apprenais quasiment en lisant Mediapart ». Est-ce qu’il y a, pour répondre aux accusations qu’il a lancées contre vous, un complot de la justice ou la police et Mediapart pour le faire tomber ? […] C’est le mot qu’il utilise, le terme « complot ».

La réponse de Fabrice Arfi pique de nouveau au vif l’avocat de Nicolas Sarkozy. Mais piètre avocat, qui ne connaît pas bien son dossier :

- Fabrice Arfi : On est en train de parler d’un homme qui a été définitivement condamné pour corruption. D’ailleurs, il a assisté…

- Marc Fauvelle : Il a fait appel…

- Fabrice Arfi : Non, non…

- Marc Fauvelle : Ah oui pardon, pour corruption c’est l’autre volet…

- Fabrice Arfi : Non, non, dans l’affaire Bismuth, il a corrompu un magistrat, il est définitivement condamné au regard du droit français. C’est un délinquant.

Et Marc Fauvelle d’allumer instantanément un nouveau contre-feu, dont il n’aurait certainement pas eu l’idée pour un condamné sans col blanc :

- Marc Fauvelle : Donc il [ne] doit plus s’exprimer dans la presse ?

- Fabrice Arfi : Mais pas du tout...

- Marc Fauvelle : Non ? Bon…

Brutale, la conclusion de l’entretien est à l’image de l’orientation des questions du journaliste : elles épousent le point de vue d’un avocat qui s’émancipe des faits et qui installe son confrère de Mediapart dans une posture de commentateur, lequel donnerait son avis « comme tout un chacun » :

- Marc Fauvelle : Et là dans l’affaire libyenne, il est présumé innocent puisqu’il a fait appel. Merci beaucoup Fabrice Arfi d’être venu défendre ce point de vue ce soir sur ce plateau.

- Fabrice Arfi : Les faits. Je défends les faits.

- Marc Fauvelle : J’en ai rappelé d’autres aussi. J’essaie aussi, je vous assure. J’essaie aussi.

Disons plutôt que par ses choix éditoriaux (et ses angles morts), l’animateur a précisément dévalué ou noyé les faits, en instillant l’idée qu’il n’en existerait pas, que tout ne serait qu’« opinion » ou « point de vue » et que par conséquent, toutes les paroles se vaudraient. Une morale que Marc Fauvelle continue d’ailleurs de véhiculer alors que Fabrice Arfi quitte le plateau : « On va entendre à présent un point de vue assez différent, très différent même sur ce procès. » Des dires du présentateur lui-même, c’est un avocat dénué de toute spécialisation dans cette affaire, Patrick Klugman, qui fait son entrée :

Marc Fauvelle : Vous n’êtes pas dans le dossier Sarkozy […] de près ou de loin [1], et pourtant, vous avez un avis tranché [Marc Fauvelle aurait pu s’arrêter là pour justifier cette invitation ! NDLR] qui n’est pas celui de Fabrice Arfi sur cette affaire. Vous dites que « ce n’est pas une sentence qui a été rendue, mais une vengeance ». Qui se venge de qui ?

Cerise sur le gâteau : « l’avis tranché » en question n’est rien d’autre… qu’un tweet [2]. Une métaphore du « journalisme » dominant ? Au fond, que peuvent bien valoir 213 articles d’une enquête de treize ans face aux 166 caractères d’un « avis tranché » ?


***


Nicolas Sarkozy étant un expert en contre-feux médiatiques, la séquence est tristement banale. Quel dommage toutefois, pour un média dit d’« information », de ne pas profiter de l’un des journalistes experts du dossier pour… informer, mais, au contraire, pour instruire le procès de ce dernier – et celui de son média –, tout en prenant la défense de Nicolas Sarkozy. Si les grands médias nous ont habitués de longue date à la reprise des éléments de langage de l’ancien président, il est regrettable de voir le même procédé se répéter, tout particulièrement depuis cette nouvelle condamnation, comme l’ont longuement documenté Arrêt sur images ou Mediapart, ici, ou encore . Se répéter, jusqu’à l’appel, la cassation, et au-delà ?


Vincent Bollenot, avec Pauline Perrenot

 
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Notes

[1Un mensonge ? D’après Le Canard enchaîné, Patrick Klugman était en lien avec l’avocat de Nicolas Sarkozy autour d’un projet de tribune critique de la décision judiciaire. C’est même ce dernier qui aurait suggéré à BFM-TV d’inviter Klugman sur son plateau.

[2« C’est pas une sentence c’est une vengeance. Et sous couvert de rendre la justice en s’éloignant de l’administration charge de la preuve on l’affaiblit dangereusement » (X, 25/09).

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