Le Monde encense Le Monde : en toutes circonstances
Toutes les occasions sont bonnes au Monde pour célébrer Le Monde. Un éditorial, une critique de livres, une émission télévisée : tout est bon.
Ainsi un éditorial consacré à Amnesty International permet de faire valoir la publication des reportages de Bernard-Henri Lévy (voir plus loin : Un éloge peut en cacher un autre).
De même, la critique d’un livre consacré à l’histoire du Canard Enchaîné (Le Monde des Livres, dans son édition datée du 8 juin) permet à Thomas Ferenczi, directeur adjoint de la rédaction du Monde, de glisser en conclusion de son article : " Le Canard n’est plus seul aujourd’hui à s’intéresser aux " affaires ", d’autres journaux, dont Le Monde, le concurrencent et parfois le devancent, mais il demeure irremplaçable. "
De même enfin, quand, le 9 juin 2001, Edwy Plenel, reçoit dans son émission de LCI (" Le Monde des Idées "), Marc Weitzmann (auteur d’un livre sur Israël) et Gilles Kepel, professeur à Science-Po (présenté comme "pour tout le dire l’un de nos meilleurs spécialistes du monde musulman"), le directeur de la rédaction du Monde et directeur général adjoint du Monde SA, se tournant d’abord vers Gilles Kepel, l’interpelle ainsi : "Ce voyage que vous avez fait a donné lieu à une splendide double page dans Le Monde, " brève chronique d’Israël et de Palestine ", fin avril-début mai. " [1]
Le Monde loue Le Monde : un éloge peut en cacher un autre
Dans l’éditorial du Monde du 29 mai 2001, consacré au quarantième anniversaire d’Amnesty International, on pouvait lire ceci, sous le titre "Les combats d’Amnesty" :
« Au nom du principe sacro-saint de "non indifférence", Amnesty attire inlassablement l’opinion sur les souffrances solitaires ou sur les victimes oubliées des "tueries muettes" qu’évoque Bernard-Henry Lévy en exergue de ses récits sur "les damnés de la guerre" dont Le Monde commence aujourd’hui la publication. Dans une sorte d’hommage au combat d’Amnesty, l’écrivain refuse l’endormissement de l’indifférence et lui oppose "l’intranquillité" à laquelle nous contraignent ces guerres oubliées ou éclipsées. »
« Dans une sorte d’hommage au combat d’Amnesty », Le Monde rend hommage à BHL et, à travers lui... au Monde lui-même ! [2]
Le Monde consacre Le Monde : le pluralisme de deux bords opposés
Le Monde du mardi 16 octobre 2001 publie simultanément l’allocution prononcée par Chirac devant l’Unesco le 15 octobre et deux pages consacrées à l’ouvrage du directeur de cabinet de Lionel Jospin, Olivier Schrameck : un " livre qui accuse la cohabitation". Fier de cette double audace, Le Monde ne pouvait pas ne pas lui consacrer... un éditorial du Monde.
Sous le titre "Penser librement", l’éditorialiste anonyme écrit :
« Dans les moments de trouble et d’inquiétude, à quoi peut servir un journal quotidien ? Certainement pas à offrir au lecteur le confort illusoire des pensées toutes faites. Plutôt à l’inviter à réfléchir par soi-même (...), à donner du sens et de l’intelligibilité à ce qui paraît obscur et menaçant, à mettre en évidence les fragiles lumières qui éclairent un chemin incertain. Cette mission, à laquelle Le Monde s’efforce d’être fidèle dans son traitement de l’ébranlement universel provoqué par les attentats du 11 septembre, se trouve illustrée, dans ce numéro-ci, par deux choix éditoriaux qui relèvent de la même démarche intellectuelle, alors qu’ils sont issus de deux bords politiquement opposés. »
Passons sur les "deux choix éditoriaux... issus de deux bords opposés" : ce qui ne veut strictement rien dire ou ce qui en en dit trop. Le lecteur, pour "penser librement", avait-il besoin que Le Monde, par temps de guerre, lui explique qu’il est lui-même l’une de ces "fragiles lumières qui éclairent un avenir incertain" ? Pour se glorifier d’être indispensable ? [3]
Le Monde félicite Le Monde : en supplément du supplément
Le Monde daté vendredi 14 décembre 2001 propose à ses lecteurs un "Cahier spécial" de 32 pages - "100 jours qui ébranlèrent le monde" : une compilation d’articles déjà parus. Cette compilation a un coût : le prix du quotidien passe à 10 francs. Une forme de vente forcée.
À la "une", trois promotions du "Cahier spécial"
- Parmi les événements du jour : "Un numéro spécial sur les inconnues d’un monde bouleversé".
- Au sommaire : "32 pages pour comprendre et se faire une opinion".
- Une présentation : "En 32 pages, notre cahier spécial revisite ces 1000 jours qui ont ébranlé le monde"
Et pour se féliciter de l’événement, Le Monde lui consacre quelques lignes bien senties de son éditorial. Sous le titre "100 jours après", on peut lire en effet après un rapide résumé de ces cents jours :
« C’est cette histoire que raconte aujourd’hui Le Monde dans un supplément spécial, reprenant les trois phases d’un drame marqué aussi, en Amérique même, par les attaques à l’anthrax, dont le lien avec Al-Qaida n’a aucunement été établi. » [4]
Le Monde est content du Monde : tout va bien pour le groupe
Voici les titres disponibles dans la page "Communication" du site du journal Le Monde du 5.06.2002 :
« La presse magazine d’information régionalise ses "unes" pour augmenter ses ventes. »
« "Le Nouvel Economiste" en grève à la veille de sa vente. »
« Bilan morose pour la presse écrite mondiale en 2001. »
« Une peine de 182 000 euros pour "Objectifs Rhône-Alpes".>>
« Lemonde.fr, premier site français d’information. »
« Le redressement du groupe Midi libre se confirme. »
« Le Monde continue sa progression et son expansion. »
« Courrier international" confirme son succès. »
Comme il n’échappera pas aux esprits critiques, les problèmes ne concernent que des titres qui n’ont aucun lien d’actionnariat avec Le Monde. En revanche, Le Midi libre, le site, le journal de référence, Courrier International vont bien dans le contexte d’un bilan mondial morose. Génial non ?
Pas de grève au Monde, pas d’amendes, pas de « marronniers » qui dopent les ventes, ni rien d’autre qui viendrait ternir le moral de Colombani et de son copain Minc, sans parler de ces actionnaires.
Comme quoi le service communication fait effectivement de la communication : "bilan globalement positif"...
Curieusement, Le Monde Diplomatique ne figure pas dans ce bilan...
L’autosatisfaction du Monde fait plaisir à lire... Tiens, justement, l’éditorial du jour est titré Contre-pouvoirs : une nouvelle occasion pour Le Monde de célébrer Le Monde...
Si Le Monde continue à prendre des participations de tous côtés et dans tout le secteur des médias, la situation des médias, on s’en doute, va s’améliorer !
Mais avec quels "contre-pouvoirs" ? Quand un quotidien autoproclamé "de référence" devient omniprésent, de nombreuses questions se posent ou bien faut il déja apprendre à ne plus se les poser ? [5]
H.M.