Au cours de ses trois semaines d’incarcération pour « association de malfaiteurs », Nicolas Sarkozy a eu le temps d’écrire un livre, Le journal d’un prisonnier, généreusement édité par la maison Fayard (groupe Bolloré). Dans ce touchant cahier de prison, Nicolas Sarkozy adresse ses remerciements pour services rendus à plusieurs éditocrates qui l’ont soutenu dans cette épreuve. Florilège :
Page 75, Jean-Michel Aphatie :
Je fus à l’inverse surpris du courage et de l’intelligence de deux personnalités pourtant peu réputées pour être de mes amis. Jean-Michel Aphatie prit ma défense au nom de ses principes et de ses convictions. […] Il réitéra ses prises de position à plusieurs reprises avec beaucoup de finesse et une réelle bravoure. De surcroît, il n’hésita pas à le faire en milieu hostile dans l’émission Quotidien. J’ai découvert en lui un homme de média doté d’une colonne vertébrale. J’ai beaucoup de désaccords avec lui mais cela ne m’a pas empêché d’admirer son courage.
On se souvient en effet comment, dans un long tweet grandiloquent (26/09), Jean-Michel Aphatie s’était porté au secours de l’ancien président : « Je ne comprends pas comment des juges ont pu rendre, au nom du peuple français, une décision aussi aberrante, inquiétante et finalement injuste. » Une prise de position que Jean-Michel Aphatie avait pu développer la veille dans « Quotidien » (« Une décision spectaculaire, violente et problématique », 25/09) et deux jours plus tard sur LCI, (« Je suis un peu bouleversé par cette décision de justice », 28/09), et qui lui avait valu, le temps de quelques jours, de devenir « la coqueluche » [1] (en réalité, la caution) de la presse de droite et d’extrême droite.
Confronté à cet extrait du livre de Nicolas Sarkozy sur LCI (7/12), Jean-Michel Aphatie n’apprécie qu’à moitié les éloges : « "J’ai découvert un homme qui a une colonne vertébrale" ! On se connaît depuis 20 ans ! "J’ai découvert"… Bon ben écoutez très bien monsieur, m’aviez-vous bien regardé jusque-là ? » Élégant, Aphatie retourne tout de même le compliment : « J’ai beaucoup aimé le livre, parce que je trouve que Nicolas Sarkozy trouve les mots pour décrire le dénuement de la prison, la tristesse de la prison… »
Page 76, Franz-Olivier Giesbert :
Franz-Olivier Giesbert fut un défenseur acharné, intelligent et pertinent.
« Acharné », FOG le fut effectivement. Comme dans son édito du Point du 24 septembre, dans lequel il s’alarmait que « le PNF s’acharne sur la droite et en particulier sur Nicolas Sarkozy », et voyait là un signe « du dévoiement de la justice et de la démocratie dans notre pays ». Ou dans un autre édito, publié dans le même journal deux jours plus tard : « Prison pour Nicolas Sarkozy : le spectre de la démocrature » (Le Point, 26/09). Ou bien encore dans ses nombreux passages télé et radio, sur Europe 1 (« Il deviendra un martyr », 26/09), RTL (« C’est une forme de régicide », 24/10), RMC (28/10), ou encore Radio Classique (« Une justice de république bananière », 27/11) [2]. « Acharné », donc, mais « intelligent et pertinent » ?
Page 78, Pascal Praud :
Je me souviens de ce dimanche si triste à la Santé où j’ai pu découvrir le billet de Pascal Praud dans le Journal du dimanche, « Je pense à lui ». Je l’ai lu comme la lettre d’un ami cher qui souffrait à ma place et imaginait ce qu’il en adviendrait s’il avait lui-même à affronter une telle épreuve.
Billet dans le JDD, éditos et débats sur CNews, échange avec les auditeurs sceptiques sur Europe 1… Pendant deux mois, Pascal Praud n’a pas lésiné pour s’attirer les faveurs du clan Sarkozy et a été l’un de ses plus zélés soutiens. Morceaux choisis : « La justice condamne qui elle veut, quand elle veut, comme elle veut ! Il n’est pas nécessaire d’apporter des preuves, ne sous-estimez pas ce message qu’envoient les magistrats, et qui va bien au-delà du cas Nicolas Sarkozy. Tremblez, mesdames messieurs, personne n’est à l’abri ! » (CNews, 26/09) ; « C’est un ancien président de la République qui est traité comme un voyou de grand chemin » (Europe 1, 26/09) ; « Qui donc prendra la plume pour s’élever contre la décision des juges ? » (JDD, 26/10) ; « Vous vous rendez compte que vous mettez un président de la République dans ces conditions, avec les gens qui sont autour de lui… c’est infamant » (CNews, 28/10) ; « Il a fait 20 jours pour rien ! » (Europe 1, 10/11). Etc.
Page 78, Laurence Ferrari :
Les éditos courageux de Laurence Ferrari m’ont particulièrement touché.
En fait d’éditos « courageux », des prises de position enflammées en soutien du délinquant. Exemple avec son lancement de l’émission « Punchline » sur CNews le 25 septembre : « Ils ont 17 ans et 19 ans, ils ont agressé avec une extrême violence un policier à Tourcoing le 19 septembre dernier et ils ont été remis en liberté. Ils dorment tranquillement chez eux ce soir. Il s’appelle Jordy G., il était sous le coup de trois OQTF, il avait été condamné 11 fois par la justice, mais il était en liberté lorsqu’il a violé deux jeunes femmes. […] Je pourrais multiplier les exemples à l’infini. Il s’appelle Nicolas Sarkozy, il a été président de la République, il a été jugé dans le cadre d’une affaire de soupçon de financement illégal de sa campagne en 2007. Le tribunal n’a trouvé aucune preuve de délit, aucune trace d’enrichissement personnel, et pourtant, la décision a été prise par les magistrats de l’envoyer en prison pour 5 ans. »
Page 78, Alexis Brézet et Vincent Trémolet de Villers :
J’ai été très impressionné par la violente prise de position après ma condamnation du très calme Alexis Brézet, le directeur du Figaro : « J’ai honte de la France. » Fallait-il que le choc soit violent pour que cet homme sage et pondéré en arrive à ce point d’exaspération ? Je pourrais dire la même chose de Vincent Trémolet de Villers.
Sages et pondérés, les deux chefs du Figaro le sont rarement. Outranciers et caricaturaux, beaucoup plus souvent. Comme dans cet édito de Vincent Trémolet de Villers, tout à son lyrisme habituel (Le Figaro, 27/09) : « L’autorité judiciaire, en état d’ivresse, remet en liberté surveillée des lyncheurs de policiers pris en flagrant délit mais coffre pour 5 ans un ancien président de la République, triplement relaxé, avant même son procès en appel. Motif de condamnation ? "Association de malfaiteurs" ! Apparemment c’est ainsi que certains magistrats envisagent les politiques, encore plus s’ils sont de droite, et par principe s’ils s’appellent Nicolas Sarkozy. »
Alexis Brézet, lui aussi, a bien mérité son petit mot doux : « […] Un homme qui a une famille, et pas plus que lui elle n’a mérité cette humiliation. Un homme qui a réagi, je trouve, avec une incroyable dignité, un homme pour qui, je vous le dis ce matin, en dehors de toute considération politique, j’ai une amicale pensée. » (Europe 1, 26/09)
Page 79, Patrick Cohen :
J’ai eu beaucoup d’autres témoignages humains et donc touchants de journalistes que je connaissais à peine. Jusqu’au très militant Patrick Cohen qui adressa un message à Véronique Waché pour qu’elle me transmette ses pensées amicales au moment de mon incarcération. Il ne s’en est pas vanté publiquement, et a même par la suite fait plusieurs interventions peu amènes. Le courage a ses limites, mais j’ai apprécié son geste.
Les interventions « peu amènes » de Patrick Cohen ? La première, le 25 septembre dans « C à vous » (France 5), puis la deuxième le lendemain matin sur France Inter (26/09), sont, en réalité, beaucoup plus complaisantes que Nicolas Sarkozy ne le laisse entendre. Sur France 5, Patrick Cohen explique que « la démonstration du tribunal apparaitra forcément fragile à une partie de l’opinion », puis réitère de façon plus affirmative sur France Inter : « Compte tenu de l’énormité des accusations, de la qualité du principal condamné, de la radicalité du jugement, de la déflagration politique qui en résulte, il eut fallu une démonstration éclatante. Hélas, elle ne l’est pas. » Hélas également – si l’on en croit les écrits du détenu Sarkozy – les auditeurs et téléspectateurs n’avaient pas été avertis du fait que Patrick Cohen avait, en parallèle, transmis ses « pensées amicales » à Véronique Waché, la conseillère en communication de Nicolas Sarkozy.
Le métier d’éditorialiste n’est pas toujours une promenade de santé. Mais lorsque les chiens de garde font bien leur travail, ils obtiennent, en plus d’une position économique et sociale avantageuse, des récompenses symboliques gratifiantes. Ainsi, les plus fervents défenseurs de Sarkozy ont vu leur travail salué dans un livre inédit, celui d’un ancien président de la République incarcéré pour « association de malfaiteurs » (et déjà, auparavant, condamné pour « corruption »). Nombreux ont dû être les commentateurs zélés déçus de ne pas trouver leurs noms parmi les hommages, après tant d’efforts et de désinformation. Mais, si Nicolas Sarkozy devait remercier un à un tous les hauts-gradés médiatiques qui l’ont dûment servi, lui et son clan,, il faudrait plus d’un livre...
Jérémie Younes



