Un passé, un précédent
Avouons-le : de la longue, très longue, carrière de Florence Schaal (dont on peut lire une biographie sur Wikipedia) nous n’avions pas, sans doute à tort, retenu grand-chose, sinon que, journaliste à TF1 depuis plus de trente ans, elle a été correspondante, envoyée spéciale ou reporter (souvent primée) en diverses régions du globe.
En septembre 2004, correspondante permanente à Moscou, elle avait alors « couvert » pour TF1, la prise d’otages de l’école de Beslan au cours de laquelle trois cent quarante-neuf personnes, dont plus de la moitié d’enfants, avaient trouvé la mort. Une « épreuve » dont elle tirera un livre (Jamais je n’oublierai Beslan : Chronique d’une correspondante à Moscou [1]) et qui l’incitera à fonder l’association N’oublions pas les enfants de Beslan.
Mais c’est aussi à l’occasion de cette prise d’otages, que (les mêmes causes produisant les mêmes effets, comme on le verra plus loin) elle s’était signalée par un reportage en direct qui était un modèle d’information désinformée [2].
Mais, cette fois, c’était l’ensemble de la séquence qui témoignait d’un étrange « professionnalisme ». En effet, ce JT du 3 septembre 2004 livrait - au conditionnel, bien sûr - un cocktail d’informations fausses ou approximatives sur les circonstances de la fin de la prise d’otages et sur le nombre d’enfants morts. Sous la haute autorité de Jean-Pierre Pernaut, grand lecteur ce jour-là des dépêches de l’agence Tass, Marine Jacquemin commentait les images totalement trompeuses de la télé russe et une envoyée spéciale proposait depuis Moscou des informations falsifiées puisées aux mêmes sources, tandis que Florence Schaal faisait partiellement de même en direct de Beslan. Une séquence d’anthologie, visible – grâce à Christophe Del Debbio - dans le film collectif produit par Zalea TV : Désentubages cathodiques.
L’intervention de Florence Schaal du 8 août 2008 n’était donc, à bien des égards, qu’une forme de récidive individuelle d’une pratique collective qui n’a guère inquiété le CSA.
Des fautes et des causes
Près d’un mois après l’annonce intempestive de la mort du petit Louis, le 4 septembre 2008, devant les atermoiements de TF1, le CSA drapé dans sa toge mitée de garant autoproclamé et occasionnel de la déontologie annonce par communiqué de presse qu’il a reçu le jour même Nonce Paolini et Jean-Claude Dassier et « adressé une mise en demeure de respecter l’obligation prévue par sa convention (...) d’assurer l’honnêteté de l’information et la maîtrise de l’antenne qui implique, dans le cas où un envoyé spécial doit intervenir à l’antenne, qu’un contact ait été préalablement établi avec lui sur le contenu de l’information ».
Après un bon mois d’intense réflexion, la direction de TF1 a donc licencié Florence Schaal. La Société des journalistes de TF1, dès que la sanction a été connue, a estimé que la sanction était « disproportionnée » et que « cette faute résulte d’une précipitation et d’une erreur d’interprétation, pas […] d’une volonté de tromper ». » De là à penser que la licenciée sert de « bouc émissaire », comme elle le soutient elle-même, il n’y a qu’un pas…
En tout cas, Florence Schaal a été mal récompensée de sa fidélité inconditionnelle à TF1. Sur le site de LCI (à découvrir avant que cela ne disparaisse aussi…), on peut lire, daté du 10 juin 2007, un article intitulé « Prise d’otages - F. Schaal : "jamais je n’oublierai Beslan" » et signé par Florence Schaal elle-même. Il se conclut par ces mots : « TF1 m’a offert le plus beau des métiers, celui qui a fait de moi une autre femme, une autre mère, une autre citoyenne. » En la licenciant pour « faute grave » et en la privant ainsi d’indemnités [3], TF1 a brutalement repris le cadeau que la chaîne lui avait offert…
Que la fautive soit durement sanctionnée en raison de sa seule responsabilité ou en lui faisant porter tout le poids d’une responsabilité partagée n’est pas une différence anodine. C’est pourquoi Florence Shaal porte plainte aux Prud’hommes et le CSA, semble-t-il, n’est pas satisfait. Mais le plus important dépasse le cas personnel et dispense la critique des médias de jouer le rôle d’auxiliaire de coupeur de têtes : celles-ci repousseront ou d’autres prendront leur place tant que les mêmes causes produiront invariablement les mêmes effets, quelle que soit la part prise par des responsabilités individuelles. Le journalisme selon Florence Schaal, en effet, n’est que le symptôme d’une maladie du journalisme de télévision lui-même.
Celle-là même qui avait frappé, quelques années plus tôt, David Pujadas. Le 3 février 2004, la rédaction du 20 heures de France 2, obsédée par la course à l’audience engagée depuis longtemps avec TF1 annonçait, par la voix de David Pujadas, sur la foi d’une « source » mal interprétée et non recoupée [4] , le « retrait » d’Alain Juppé de la vie politique. Cette erreur s’est alors soldée par plusieurs décisions annoncées le 11 février suivant : Olivier Mazerolle, directeur de l’information, a démissionné, David Pujadas, présentateur du JT, et l’équipe du 20 heures ont été suspendus pour deux semaines. Mais, comme nous le soulignions alors, la faute de l’abbé Pujadas n’était que le symptôme d’une longue maladie. Une maladie dont nous avions relevé les manifestations dans les propos mêmes des propagateurs de la fausse nouvelle (sous le titre « Pujadas et Mazerolle s’expliquent : diagnostic d’un journalisme maladif », 16 février 2004).
Quelle maladie ? La course à l’audience et la concurrence entre France 2 et TF1. Avec quelles conséquences ? L’adoration des faits divers pour eux-mêmes, la quête de l’émotion à tout prix, la traque du « scoop » sur n’importe quoi et le culte de l’information « en direct » et « en temps réel » : avec les choix qu’elle impose, les approximations qu’elle entraîne, l’abus du conditionnel qu’elle provoque… et les assertions fausses qui en sont trop souvent la conséquence.
Quatre ans plus tard, une fois encore, plutôt que de s’interroger sur les causes, on a préféré sanctionner la fautive d’où viendrait tout le mal.
La sanction et son but
Croire que c’est la défense d’une quelconque morale professionnelle (ou de la morale tout court) qui a motivé la sanction, ce serait oublier la clémence dont a fait l’objet Patrick Poivre d’Arvor pour des faits autrement plus graves : la fausse interview de Fidel Castro (qui n’a fait l’objet d’aucune sanction) ou sa condamnation à quinze mois de prison avec sursis pour recel d’abus de biens sociaux dans l’affaire Botton (qui ne lui a valu que trois mois d’interdiction d’antenne) [5]. Il est vrai que sa présence était alors indispensable à TF1. Il a fallu attendre 2008 pour que PPDA soit licencié... mais pour le seul motif qui inquiète vraiment les dirigeants de TF1 : la perte d’audience du JT qu’il présentait.
Et que dire des conséquences pour Elkabbach de sa responsabilité dans l’annonce, par erreur (dès l’ouverture du journal de 19h00 sur Europe 1 le 21 avril 2008) de la mort (survenue depuis) de Pascal Sevran, l’animateur de « La Chance aux chansons » ? Amené à s’expliquer devant le CSA le 6 mai 2008, il est remplacé le 3 juin à la présidence d’Europe 1 par Alexandre Bompard. Mais non seulement il reste à l’antenne et garde la Présidence de Public Sénat, mais il est nommé à la tête de Lagardère News, propriété du Groupe Largardère, lui-même propriétaire d’Europe 1.
TF1, cette fois, s’est résolue à sacrifier une « brebis galeuse ». Par respect pour la déontologie ? Ce serait nouveau. Pour répondre aux admonestations du CSA ? TF1, habituellement, s’en soucie comme d’une guigne. Pour tenter de préserver son image auprès des téléspectateurs et des annonceurs ? C’est plus vraisemblable.
TF1, bien sûr, s’est empressée de dédouaner Jean-Claude Dassier, et surtout Michel Floquet, rédacteur en chef du 20 heures désormais présenté par Laurence Ferrari [6]. On ne change pas toujours une équipe qui perd des parts de marché !
Dans l’espoir d’enrayer les pertes, il était pourtant indispensable, non de condamner et de rectifier une erreur journalistique, mais de défendre la marque TF1 et de prendre une sanction mercantile. A TF1, même les licenciements ont, entre autres objectifs, celui de vendre des cerveaux disponibles à Coca Cola.
Pas sûr, cette fois, que le licenciement rehausse le prestige de la « marque », qu’il séduise les cerveaux récalcitrants et que Coca Cola soit très satisfait de ses représentants.
Henri Maler