Dans Le Monde du 29 mai 2003 (daté du 30 mai), à côté d’un article intéressant de Caroline Monnot consacré aux acteurs des mobilisations sociales en France [1] et aux conditions de leur présence à Evian, Nicolas Weill saisit l’occasion du contre-G8 pour tenter d’exaucer le rêve de la rédaction du Monde : « Le dialogue se noue entre "pro" et "anti"-mondialisation ». Tel est le titre l’article qu’il consacre au sujet que précise le sous-titre : « Dans les revues, partisans et adversaires polémiquent sur l’émergence de l’"ordre néolibéral" »
En réalité, il s’agit d’un survol des « lieux où s’opère la mise en question théorique de l’"ordre néolibéral" » : un survol qui mêle allègrement presque tout avec n’importe quoi. Dans ce pot-pourri, on cherche vainement un « dialogue », si ce n’est dans le passage suivant :
« Le semestriel Recherches, Revue du Mauss (…) a consacré ses deux premiers numéros de 2003 (…) à l’"autre mondialisation". A son sommaire, des interventions du sociologue Edgar Morin, de Zaki Laïdi, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (CERI), de Dominique Plihon, membre du conseil scientifique d’Attac, d’Antonio Negri, de l’économiste Daniel Cohen ou du commissaire européen Pascal Lamy. »
La coexistence, dans une même revue, de points de vue divergents, voire opposés s’appelle « dialogue » : « Cette tendance au dialogue entre partisans et adversaires de la mondialisation libérale fait écho aux réserves que continuent à susciter chez les premiers l’affichage d’un idéal révolutionnaire "dur". On discute plus volontiers de l’organisation de contre-pouvoirs telle qu’elle est prônée par l’universitaire britannique John Holloway, auteur d’un Faire la révolution sans prendre le pouvoir et dont certains textes ont été traduits dans Contretemps. »
A lire se Who’s Who confusionniste, on comprend mieux à quel « dialogue » aspire Le Monde : non une discussion sans concession, mais la recherche de « compromis ».
Ce n’est pas tout. Le passage cité porte pour sous-titre « Renouveau libertaire », expression empruntée à un propos de Philippe Corcuff : "Aujourd’hui, dit le sociologue Philippe Corcuff, l’un des animateurs de cette revue [Contretemps] et auteur récent de La Question individualiste (édition Le Bord de l’eau), l’altermondialisation déborde les catégories du marxisme dans lesquelles ont été formés ses initiateurs, dans les années 1970. Il y a un renouveau libertaire.". Faut-il comprendre que le « renouveau libertaire » participe du rapprochement dialogué « entre partisans et adversaires de la mondialisation libérale » ? On ne sait ce qu’en pense Philippe Corcuff ...
…. qui cependant n’a pas manqué l’occasion de répéter ce qu’il dit doctement partout [2] et que Nicolas Weill rapporte goulûment : « M. Corcuff craint par ailleurs qu’une conception "conspirationniste" des médias, telle qu’elle a cours dans des publications se réclamant de l’œuvre de Pierre Bourdieu comme PLPL serve, de façon simpliste, de "bouc émissaire"à la critique de la mondialisation. ».
Le « par ailleurs » ne manque pas d’intérêt … quand on sait que Le Monde a laissé entendre, en citant hors de son contexte un jeu de mots sur le nom de Nicolas Weill, que PLPL et Serge Halimi étaient antisémites. Dans ce contexte, choisir Le Monde pour s’épancher sur une conception « conspirationniste » totalement imaginaire, c’est tenter de gagner, sans le moindre conspirationnisme, les faveurs du Monde, en usant de procédés où souffle, indiscutablement, l’esprit d’un « renouveau libertaire ».
Le patchwork de propos disparates n’est pas encore fini. Nicolas Weil passe, sans transitions, à la pièce de tissus suivante : « La situation internationale a également contribué à déplacer les lignes de force. »
Et de rapporter que « Christophe Aguitton, membre d’Attac, estime que, après les attentats du 11 septembre 2001 et la mobilisation contre l’intervention américaine en Irak, la critique radicale du capitalisme s’est doublée d’un assaut contre l’impérialisme et le "fondamentalisme chrétien" censé inspirer la politique étrangère des Etats-Unis. ». Avant de donner subitement la parole à Zaki Laïdi, « partisan d’une mondialisation bien régulée ». Rapprocher ainsi « l’assaut contre l’impérialisme » et « la mondialisation bien régulée », clarifie le débat public !
Que Le Monde veuille « réguler » et tenter de rapprocher des points de vue en principe incompatibles, c’est son droit. Mais que, pour cela, il mélange des informations et des propos décousus, divergents ou opposés, c’est une affaire qui regarde une certaine pratique du journalisme.
H.M.
N.B. Sur ce genre d’"enquête", lire également : 2001 : Le Monde scrute l’« antimondialisation »