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Dupont de Ligonnès. Jour 1 : le naufrage médiatique

par Maxime Friot,

Tout commence vendredi 11 octobre par un scoop du Parisien : en cavale depuis plusieurs années, Xavier Dupont de Ligonnès « a été arrêté » à Glasgow. Puis le lendemain, le démenti tombe. En moins de 24 heures, le scoop du Parisien s’est transformé en fiasco. 24 heures, qui auront suffi à emporter la plupart des grands médias en plein tourbillon... jusqu’au naufrage. Adhésion aveugle aux sources policières, course à l’audience, mimétisme professionnel, bref… la mécanique des médias dominants dans toute sa misère.

« Xavier Dupont de Ligonnès a été arrêté ce vendredi après-midi à l’aéroport de Glasgow (Écosse), en provenance de Roissy-Charles de Gaulle, selon les informations du Parisien. » Ce vendredi à 20h40, le quotidien semble tenir une information exclusive. Pas avare de détails, il poursuit : « Le suspect de la tuerie de Nantes […] voyageait sous une fausse identité, grâce à un passeport volé en 2014, et avait changé d’apparence. Il a été confondu par ses empreintes digitales, recueillies par la police écossaise et qui vont être envoyées en France à la DCPJ (Direction centrale de la Police judiciaire). Xavier Dupont de Ligonnès, qui faisait l’objet d’une fiche rouge d’Europol, n’a opposé aucune résistance. »

Un tel scoop n’en méritait pas moins : le lendemain matin, Le Parisien fait sa Une et l’ouverture du journal sur l’arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès.



Dans son édito, Stéphane Albouy donne le ton :

Il s’agit sans doute d’un des plus incroyables rebondissements de l’histoire judiciaire française. L’arrestation, hier, de Xavier Dupont de Ligonnès a fait l’effet d’une bombe. […] Mais son interpellation à l’aéroport de Glasgow (Écosse) n’est pas un épilogue. C’est au contraire le début d’une nouvelle enquête. Le suspect de « la tuerie de Nantes » a-t-il bénéficié de complicités ? Vivait-il en Écosse ? Et, surtout, que révélera-t-il sur les circonstances et le mobile de ce drame ? Les policiers qui n’ont jamais cessé de le rechercher vont enfin pouvoir lui poser les questions qui les hantent depuis des années.

Non content de ne prendre strictement aucune précaution, l’éditorialiste s’emballe : dramatisation, emphase, mise en récit théâtrale, questions prospectives, la « bombe » médiatique est bien ficelée, et le scoop s’étale dans le journal. L’article en double page est à l’avenant de l’édito, brodant avec une fierté non dissimulée autour de la « révélation » du Parisien. Extraits :

- L’un des plus grands mystères de l’histoire criminelle a pris fin, hier après-midi, à l’aéroport de Glasgow (Écosse). Recherché par toutes les polices de France et d’Europe depuis le mois d’avril 2011, Xavier Dupont de Ligonnès, 58 ans, a été interpellé à sa descente d’avion, comme l’a révélé notre site Internet hier.

- Quelques minutes plus tard, le résultat tombe. Sans appel selon les enquêteurs écossais : cet homme qu’ils viennent d’interpeller, c’est Xavier Dupont de Ligonnès […] Mais même si cela prend du temps, un juge va enfin pouvoir entendre l’ancien commercial, qui reste muet jusqu’ici. Et peut-être obtenir une réponse à une question qui obsède la France depuis huit ans : qu’a fait l’auteur présumé du quintuple meurtre durant toutes ces années ?

- Finalement, selon nos informations, Xavier Dupont de Ligonnès aurait, pendant plusieurs années, vécu à Glasgow sous une fausse identité, et en ayant quelque peu changé d’apparence. Toujours selon nos informations, il parvenait pourtant à voyager grâce à un passeport volé en 2014. Il a d’ailleurs été interpellé en tentant de rentrer en Écosse après avoir séjourné ces derniers jours à Limay dans les Yvelines.

Nous ne résistons pas à la tentation de vous livrer, « et pour cause », la conclusion du scoop :

Quatre ans après sa disparition, des ossements humains sont découverts, près de Fréjus. Il ne s’agit pas de ceux de Dupont de Ligonnès : et pour cause, il n’était pas mort. Après tant d’années de mystères et de spéculations en tous genres, les enquêteurs ont retrouvé sa trace. À la descente de son avion, sur le tarmac de l’aéroport de Glasgow, en Écosse.

N’en jetez plus !

D’une affaire qui intéresse sans doute policiers et enquêteurs, suivis de près par une poignée de journalistes, nous sommes ainsi passés à « une question qui obsède la France depuis huit ans » ! Une chose est sûre, elle n’obsède pas seulement Le Parisien si l’on en croit le nombre de journaux à lui dédier leur Une le samedi 12 [1] :


Bref, les autres journaux ne sont pas en reste. Libération, quant à lui, se contente d’un encart, sobrement intitulé « Fin de cavale pour Xavier Dupont de Ligonnès » et renvoyant à un court article page 15. Suffisant pour tomber dans le panneau :



C’est que le scoop du Parisien sera repris (très) rapidement et étayé par l’AFP et de nombreux médias [2]. Dès le vendredi soir en effet, et jusqu’au samedi matin, les chaînes d’information en continu s’illustrent (une nouvelle fois) en basculant en « édition spéciale » (effet immédiat : la marginalisation du reste de « l’actualité », notamment internationale) et brodent sur une arrestation qui ne semblait (souvent) faire aucun doute.

BFM-TV et LCI étaient sur le coup moins de trente minutes après la publication du scoop du Parisien. Et si BFM-TV a indiqué que l’information émanait de la police écossaise dans ses bandeaux [3], LCI ne prenait pas de telles pincettes et confirmait sans ambages l’arrestation :



Dès 21h25, LCI joignait d’ailleurs la parole à l’image :

Alors que l’information vient de tomber, encore une fois si vous nous rejoignez sur LCI : Xavier Dupont de Ligonnès qui a été arrêté en Écosse ce soir, soupçonné d’avoir tué à Nantes toute sa famille, sa femme et ses quatre enfants en 2011.

Puis les tweets à la parole :



CNews, bien sûr, n’a pas déçu [4]. Le samedi matin, dans « La matinale du Week-end », le sujet était encore « à la Une » :

9h19 si vous nous rejoignez à l’instant sur CNews, nous sommes bien sûr en direct. Un seul titre à la Une de votre samedi : l’arrestation, donc, d’un homme qui serait bel et bien Xavier Dupont de Ligonnès. Ce pourrait être le scénario d’une série, tant cette affaire est rocambolesque.



« Rocambolesque »… Voilà un terme qui pourrait bien qualifier la couverture médiatique de France Info. Dans le JT de 23h, la présentatrice, Sorya Khaldoun, commence sur les chapeaux de roues : « Bonsoir, merci d’être au rendez-vous du 23h, le JT du soir de France Télévisions. Un 23h largement consacré à cette information tombée en début de soirée : Xavier Dupont de Ligonnès a été arrêté en Écosse à Glasgow. » Et d’insister : « D’abord bien sûr, les faits, avec la fin d’une cavale et d’un mystère qui aura duré huit ans. Xavier Dupont de Ligonnès a été, donc, arrêté à Glasgow. »

Las, ce n’est pas sa consœur, Marine Demazure, qui viendra nuancer le tout, ni la « spécialiste police-justice », Sophie Neumayer, également présente en plateau, qui évoque la traque « d’éventuels complices qui ont pu l’aider lors de cette cavale qui a duré huit ans ».

Et France Info de dérouler le scénario d’un véritable film d’action coproduit entre policiers et journalistes :

- Sorya Khaldoun : Fin de cavale qui serait donc due à un témoignage, une dénonciation, celui d’un proche.

- Sophie Neumayer : Oui, effectivement, c’est un informateur qui a appelé en fait la police judiciaire française pour signaler que Xavier Dupont de Ligonnès allait prendre cet avion depuis Paris jusqu’à Glasgow. Les policiers se sont précipités pour essayer de l’interpeller avant qu’il ne monte dans cet avion mais ils sont arrivés trop tard. Ils ont donc fait fonctionner, eh bien, la coopération européenne, ils ont appelé Europol, qui a saisi les policiers écossais. Ce sont eux qui sont allés interpeller Xavier Dupont de Ligonnès à la descente de l’avion.

- Sorya Khaldoun : Arrivés trop tard, et peut être aussi ils ont eu du mal à le reconnaître parce que selon nos informations, Xavier Dupont de Ligonnès a très changé, beaucoup changé, beaucoup changé d’apparence.

- Sophie Neumayer : Oui en effet, difficile de le reconnaître. Tout d’abord il voyageait avec des faux papiers et il était méconnaissable selon les mots de certaines de nos sources. Il a donc certainement grimé son apparence afin de ne pas être reconnu puisqu’effectivement il y a cette photo, ces photos que l’on voit de lui depuis huit ans, eh bien visiblement il ne ressemble plus du tout à cette personne que l’on voit sur ces photos.

- Sorya Khaldoun : Ce sont donc les policiers écossais qui l’ont arrêté. Il a été identifié grâce à ses empreintes digitales. Fin de cavale de huit ans.

Quelques minutes plus tard, Sorya Khaldoun note qu’« il reste beaucoup de questions, beaucoup de zones d’ombres autour de cette arrestation ». Mais peu importe, et surtout pas de panique, car avec France Info, « tout est plus clair »… surtout lorsqu’on est branché directement sur les sources policières :

- Sorya Khaldoun : Alors Sophie donc encore beaucoup de questions, on attend encore la confirmation de l’ADN, c’est essentiel.

- Sophie Neumayer : Oui, effectivement puisque les premières confirmations sont venues de la police écossaise via ses empreintes digitales. Les empreintes digitales correspondent à celles de Xavier Dupont de Ligonnès, mais effectivement il y a d’autres méthodes notamment l’ADN pour être sûr à 100% qu’il s’agisse de la bonne personne. Mais les enquêteurs ont peu de doutes puisqu’ils ont eu ce fameux tuyau, cette personne qui les a informés que Xavier Dupont de Ligonnès devait prendre cet avion entre Charles de Gaulle et Glasgow, complétez avec les empreintes digitales, peu de doutes pour les enquêteurs avec lesquels nous échangeons.

- Sorya Khaldoun : Ce qui interpelle aussi Sophie, c’est que Xavier Dupont de Ligonnès s’aventure à aller à l’aéroport parisien Roissy, prendre l’avion, il ne se sentait pas inquiété visiblement.

- Sophie Neumayer : Oui visiblement, ces huit années de cavale lui auront permis d’acquérir une aisance, peut-être qu’au bout de huit ans, on se dit que finalement on est assez libre pour voyager, et puis il faut rappeler qu’il s’est procuré une fausse identité, qu’il est grimé, qu’il n’a plus la même apparence, certains disent même qu’il est méconnaissable, et donc peut-être s’est-il dit qu’il pouvait voyager assez facilement.

Bref : broder comme dans une discussion de comptoir, spéculer, confondre rumeurs et information, et vérifier après : c’est plus clair, en effet !

Mais France Info n’a pas le monopole du ridicule sur le service public : France Inter s’est également hissé au sommet du journalisme. Ainsi le journal de 23h est-il catégorique :

Re-bonsoir. Il était introuvable depuis plus de huit ans : Xavier Dupont de Ligonnès a finalement été arrêté aujourd’hui en Écosse […]. Les circonstances de cette arrestation dès le début de ce journal.

Et de noter : « Xavier Dupont de Ligonnès arrêté, c’est la fin d’un très long feuilleton... » Ou le début d’un feuilleton médiatique, car France Inter ne lâche pas le morceau. Sept heures plus tard, le sujet ouvre en fanfare le journal de 6 h :

Bonjour à tous. Ce coup de théâtre dans l’une des plus incroyables énigmes criminelles des dernières décennies : Xavier Dupont de Ligonnès, soupçonné d’avoir assassiné toute sa famille, activement recherché depuis avril 2011, a été arrêté hier soir à l’aéroport de Glasgow en Écosse en provenance de Roissy-Charles de Gaulle.

Autre coup de théâtre, d’un autre genre, puisqu’il sera finalement établi, quelques heures plus tard, que l’homme arrêté n’était pas Xavier Dupont de Ligonnès. Tout l’emballement médiatique autour de cette affaire n’était en réalité que spéculation.


***


Que révèle le fiasco médiatique de ces vendredi 11 et samedi 12 octobre ? Il y est question, d’abord, d’une foi, voire d’une confiance aveugle dans les sources policières [5] puis dans les dépêches de l’AFP. Il y est question, ensuite, d’une logique du scoop, qui conduit les rédactions à tout faire pour sortir « l’info » en premier [6] ou pour, tout du moins, « être dans le coup ». Logique qui s’inscrit dans la course à l’audience et dans la mécanique de la circulation circulaire de l’information… quitte à piétiner toute déontologie [7] et à bousculer la hiérarchie éditoriale. Car il y est question, enfin, de l’importance démesurée accordée aux faits divers. Les médias se sont jetés sur cette nouvelle affaire au prétexte que l’affaire « obsèderait la France depuis huit ans » (Le Parisien), voire « passionnerait depuis plusieurs années » (BFM-TV). Autant d’énoncés performatifs qui justifient surtout un emballement : celui de la quasi-totalité des grands médias, pendant presque 24h non-stop.

Le résultat est là : un (énième) naufrage médiatique. D’abord, parce qu’un non-sujet a totalement focalisé l’attention médiatique et éclipsé tout le reste. Entre le vendredi 11 octobre à 22h et le lendemain à midi (soit donc pendant 14 heures de diffusion), BFM-TV n’a semble-t-il cessé de parler de Xavier Dupont de Ligonnès… que pour annoncer la météo ! Et, si le présent article n’est qu’un bref échantillon de cet emballement médiatique, il témoigne néanmoins d’une chose : la diffusion à échelle industrielle d’une fausse information.

À suivre…


Maxime Friot, grâce au travail d’observation collective des adhérentes et adhérents d’Acrimed

 
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Notes

[1Montage réalisé à partir des Unes répertoriées sur le site unes.spqr.fr.

[3Une précaution pas toujours respectée par la chaîne, si l’on en croit le compte Twitter « Fallait pas supprimer » qui indique par exemple que BFM-TV a publié puis supprimé un tweet dans lequel était écrit : « C’est désormais confirmé, l’homme interpellé à Glasgow (Ecosse) est bien Xavier Dupont de Ligonnès ». À propos de BFM-TV, lire aussi l’article de Samuel Gontier : « Affaire Dupont de Ligonnès : la leçon de “prudence” de BFMTV ».

[4À propos de CNews, voir, notamment, le montage vidéo réalisé par Arrêt sur images.

[5On pense aussi, bien sûr, à l’épisode récent de la Pitié-Salpêtrière.

[6Voir sur notre site les dégâts que cela occasionne.

[7Dans un communiqué, le SNJ rappelle que « la notion d’urgence dans la diffusion d’une information ou d’exclusivité ne doit pas l’emporter sur le sérieux de l’enquête et la vérification des sources ». À bon entendeur !

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