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« DPDA » reçoit Mélenchon : les jeux du cirque (politique) sur le service public

par Olivier Poche,

Jeudi 26 mai 2016, David Pujadas recevait Jean-Luc Mélenchon pour le dernier numéro de « Des paroles et des actes » – remplacé à la rentrée par un nouveau rendez-vous, qui devrait être présenté, notamment, par Léa Salamé. En fin d’émission, remerciant ses équipes et les téléspectateurs, David Pujadas a chanté lui-même les louanges d’une « aventure formidable » qui aurait défendu, cinq ans durant, « des valeurs : celle du débat, […] le goût de la politique, pas celle des petites phrases, […] pas celle du buzz, mais celle des idées, celle des convictions, de la diversité aussi… »

Certes, « Des paroles et des actes » est le « grand magazine politique » de la chaîne publique, grand au moins par sa durée, de plus de deux heures. Mais quelle forme d’expression offre-t-il à la « politique des convictions » soi-disant défendue par Pujadas ? Dans son panégyrique de lui-même, ce dernier célèbre « une émission où on parle d’idées, où on parle de programme ». C’est en partie vrai – mais au prix de beaucoup d’efforts, qu’il faut déployer… contre l’émission elle-même, son dispositif, et ceux qui l’ont conçu ou se chargent de le faire respecter.

Un séquençage façon carpaccio

Première remarque, la durée de l’émission (2 heures 17) est un peu trompeuse. Car elle se partage en plusieurs séquences, n’ayant souvent aucun rapport entre elles, mais ne s’enchaînant pas moins au moment que le conducteur avait fixé à l’avance (certaines sont minutées et un compte à rebours s’affiche à l’écran). Tout cela étant sans doute destiné à soutenir l’attention, qu’on suppose volatile, du téléspectateur, mais oblige l’invité à des coqs-à-l’âne quasi permanents – ce que ne manquera pas de relever à plusieurs reprises Jean-Luc Mélenchon, qui conclura l’émission en la qualifiant d’« épreuve physique autant qu’intellectuelle ».

Il faut en effet tenir le rythme : si l’on tente de reconstituer a posteriori le conducteur de l’émission, on obtient une dizaine de « séquences » de durée variable (de quelques minutes à la demi-heure pour la plus longue), et de sujets variés. On s’en fera une idée avec la liste ci-dessous, qui indique le thème général sans détailler le contenu précis des séquences, brassant parfois elles-mêmes plusieurs sujets :

1. Après quelques mots d’introduction, David Pujadas interroge lui-même son invité sur le « bras de fer social » en cours (15mn)
2. Diffusion d’un reportage sur le « personnage Jean-Luc Mélenchon » qu’on suit au festival de Cannes, dans une école de commerce à Nantes, sur un chantier à St-Nazaire. « Alors, réaction, Jean-Luc Mélenchon : “Le parrain”, “Le dernier des Mohicans”, qu’est-ce qui vous convient le mieux ? ». À l’issue de cette séquence, David Pujadas annonce le sommaire de l’émission (8mn)
3. Interview de Jean-Luc Mélenchon par Nathalie Saint-Cricq et François Lenglet (30mn). On y évoque le climat social, la montée de l’extrême droite, le protectionnisme économique, l’immigration, sa candidature à la présidentielle, ses « modèles » – et, last but not least, son choix pour le second tour de la présidentielle
4. En guise de transition (?), Pujadas pose une question à son invité sur « l’aliénation de la surconsommation » (3mn)
5. Premier « moment de dialogue » avec « quelqu’un qui souhaite vous poser une question » : Djibril Bodian, boulanger favorable à loi Travail (10mn)
6. « Duel » : entre Jean-Luc Mélenchon et Emmanuelle Cosse, ministre du Logement du gouvernement Valls, pour un débat sur « l’idée de responsabilité en politique » (17mn)

7. « Une autre personne souhaitait vous poser une question » : second « moment de dialogue », sur l’agriculture, avec Céline Imart, vice-présidente des Jeunes Agriculteurs (10mn)
8. Deuxième « Duel » : cette fois avec Gerald Darmanin, maire LR de Tourcoing, venu parler « laïcité » (18mn)
9. « C’est l’heure de la conclusion ». Ou plutôt, du « verdict ».

Un « verdict » en deux temps : Karim Rissouli revient d’abord sur les tweets postés à propos de l’émission au cours de celle-ci (12mn)
10. Puis Jean-Daniel Lévy donne les résultats d’un sondage réalisé en direct, avant et après l’émission (5mn)
11. Jean-Luc Mélenchon est invité, en guise de conclusion, à commenter cette intervention (3mn)
12. Conclusion de David Pujadas (3mn)


« Le goût de la politique » ?

En dehors de ce séquençage en carpaccio, censé concilier « goût de la politique » et préoccupations audimateuses, il y aurait beaucoup à dire sur le contenu de l’émission, les intervenants choisis et les débats qui s’y sont tenus. Certains ont déjà signalé le choix et la présentation lacunaire des invités « lambda » venu « poser une question » à Jean-Luc Mélenchon : Djibril Bodian, boulanger (attitré de l’Élysée), ou Céline Imart, syndicaliste (crypto-FNSEA) – sans que ces regrettables « omissions » aient donné lieu – pour l’instant – à la moindre réaction du CSA, parfois plus chatouilleux sur le sujet. Mélenchon lui-même a critiqué la conception d’une émission « corrida », révélant quelques détails édifiants sur les coulisses « humiliantes » de sa préparation.

Pour notre part, nous nous concentrerons ici sur l’ambition fièrement affichée par David Pujadas : donner le goût de la politique. Comment ? Et de quelle politique ? Celle des idées et des convictions, dit-il : on n’est pas sur BFM-TV. Vraiment ?

Disons-le tout net, cette émission présente un contenu « politique » indéniable, et même assez dense. Mais ce qu’il faut ajouter aussitôt, c’est que si des échanges « de fond » ont bien eu lieu, c’est principalement soit en l’absence des journalistes de France 2 (lors des « duels » ou des échanges avec des Français-e-s « lambda »), soit en leur présence, mais « contre leur gré », en quelque sorte : c’est-à-dire généralement en refusant de répondre à leurs questions, Jean-Luc Mélenchon ayant souvent tenté d’imposer d’autres façons de répondre, ou plutôt d’envisager les problèmes posés – ce qui n’a pas manqué de générer quelques tensions. On ne reviendra pas ici sur les positions défendues par Mélenchon, ni même sur les échanges – et les quelques « clashs » – qui ont eu lieu, mais sur les questions préparées par l’équipe de l’émission, et sur le contenu politique qu’ils comptaient donc donner à cette dernière. Idées ? Convictions ? Programme ? Ou faux-semblants, insinuations et fourberies ? Qu’on en juge à travers ces quelques exemples.


1. La Loi Travail

C’est le thème de la première séquence. C’est l’actualité, c’est le sujet « politique » du moment, et David Pujadas l’annonce d’emblée : « Pas de préambule ce soir, on est en plein bras de fer social et vous êtes attendu sur les événements. » Quels événements ? Ceux qui préoccupent les chefferies éditoriales : non pas la mobilisation, mais les conséquences de celle-ci, non pas l’ampleur de la grève mais celle des « blocages », non pas les motivations des actions des salariés en lutte, mais les « modalités d’action » :

« Est-ce que vous approuvez l’action, toute l’action, sous toutes ses formes, de la CGT et de ses alliés, y compris les blocages ? » C’est la première question, à laquelle Mélenchon refuse de répondre. Peu importe :
« Jean-Luc Mélenchon, ma question portait sur les modalités de l’action. Est-ce qu’il n’y a pas un paradoxe… […] Il n’y a pas beaucoup de monde dans les manifestations […] il n’y a pas énormément de monde qui est gréviste, quelques centaines de personnes à des ronds-points qui bloquent des dépôts : est-ce que c’est une action que vous approuvez ? » Mélenchon préfère répondre sur l’importance de la mobilisation. Peu importe :
« Je veux savoir si vous approuvez les modalités de l’action, c’est pas des modalités ordinaires ». Et Mélenchon persistant à ne pas répondre : « Je prolonge ma question : est-ce que vous souhaitez que ça aille encore plus loin et qu’on arrive à une paralysie du pays, la France dans le noir, l’Euro 2016 bloqué, je vous demande si vous y seriez favorable… »

Qui attend réellement la position – la conviction ? – de Jean-Luc Mélenchon sur une improbable « France dans le noir » ou un « Euro bloqué » – à part un journaliste qui attendrait… une petite phrase ? Mais Mélenchon, avec un talent qu’il faut lui reconnaître, parvient malgré tout, malgré la question, à évoquer le fond du sujet, le contenu de la loi, en l’occurrence ses conséquences sur le paiement des heures supplémentaires, et en particulier pour les femmes. Ce qui nous vaut cet échange significatif :

– Jean-Luc Mélenchon : « Vous savez ce que va faire la loi El Khomri ? Du chômage. »
– David Pujadas : « Dernier point, et puis on va avancer, sur les modalités : bloquer la parution… »
– Jean-Luc Mélenchon : « Vous ne me demandez pas pourquoi ? Moi j’aurais demandé pourquoi… Enfin bon, c’est pas moi le journaliste… »
– David Pujadas : « … Bloquer la parution des journaux, parce qu’ils ne publient pas le point de vue de M. Martinez, est-ce que c’est normal ? Qu’est-ce qu’on dirait si un gouvernement faisait de même avec une tribune de Manuel Valls ? »

Quelques échanges plus tard, Jean-Luc Mélenchon ayant tenté de répondre et David Pujadas ayant réitéré ses questions, ce dernier, rappelant irrésistiblement les manières de… BFM-TV, propose une conclusion provisoire : « On a noté que ces modalités d’action, vous ne les condamnez pas. » Après une dernière question, indispensable, à propos des affiches de la CGT sur les violences policières, le premier quart d’heure de l’émission s’achève, et avec lui « l’examen » – qui, rappelons-le, s’est fait, fugitivement, à la seule initiative de Mélenchon – de la Loi Travail. La seule fois où l’on y reviendra, ce sera via l’intervention du « boulanger de l’Élysée », venu défendre la loi sous couvert de poser une question fondée sur une expérience personnelle.


2. La critique du consumérisme

Autre exemple, inverse : alors que David Pujadas a donc consacré le seul quart d’interview portant sur la Loi Travail à tenter d’obtenir une condamnation des « modalités d’action […] de la CGT et de ses alliés », il prend un peu plus tard le temps d’interroger Jean-Luc Mélenchon sur une autre de ses convictions – cette fois sans ironie ; il pose une vraie question, une question de fond, qui s’appuie d’ailleurs sur le livre que vient de publier son invité : « Dans votre livre, et c’est assez nouveau côté gauche, vous êtes contre le capitalisme, mais vous pourfendez aussi le productivisme qui va avec le consumérisme […] mais que proposez-vous contre cette aliénation de la surconsommation ? »

Une question sur le « programme » ? Dont acte. Sauf que cette question est coincée entre l’annonce du débat avec Emmanuelle Cosse (qu’on voit brièvement à l’écran), et l’intervention de Djibril Bodian, « le boulanger ». Sauf que la séquence dure cette fois… trois minutes tout compris (dont trois interruptions du présentateur, pour une réponse de Jean-Luc Mélenchon, coupée en quatre épisodes, d’une durée totale de 2’10).

Voici le déroulé exact de cette façon originale de développer « des idées » et de parler « programme ». Après la « question économique » posée par David Pujadas, Jean-Luc Mélenchon indique la nécessité de « changer les modes de consommation ». Il est interrompu au bout de 22 secondes : « Mais comment ? C’est quoi ? C’est l’école, c’est l’éducation, c’est l’interdiction de la publicité ? ». Mélenchon peut alors répondre pendant 25 secondes, pendant lesquelles il mentionne « l’économie de la mer » – avant d’être interrompu : « Est-ce que ça va faire que nos enfants arrêtent de penser que leur bonheur dépend de l’accumulation des biens matériels ? » Cette fois, il peut répondre pendant 37 secondes avant une nouvelle interruption : « Et sur le fétichisme des objets de consommation, les marques ? » Pour sa dernière intervention, il aura droit à un tunnel exceptionnel de… 46 secondes, avant d’être coupé par Pujadas qui introduit la séquence suivante et donne la parole à Djibril Bodian : « On prolonge sur le terrain économique et il y a ici quelqu’un qui souhaite vous poser une question… »


3. L’art délicat de l’interview politique

Si Pujadas déclare vouloir transmettre le goût de la politique, celle « des idées », celle « des convictions », on s’attend à le voir se manifester dans la séquence reine de l’émission – la plus longue (30 mn), animée et préparée par le « gratin » journalistique de France 2 : Nathalie Saint-Cricq, responsable du service politique, et François Lenglet, chef du service économie. Le résultat est édifiant. On a déjà signalé qu’ils avaient soigneusement évité toute discussion sur le contenu de la Loi Travail. Mais on n’a pas encore détaillé quels sujets de la plus haute importance ont retenu l’attention de ces hauts responsables de l’information de la grande chaîne publique.

Autant le dire tout de suite, cette interview n’en est pas une. Comme finira par le dire Mélenchon lui-même, il s’agit d’une série d’affirmations (ou plutôt d’insinuations), affublées de points d’interrogation. On trouve seulement deux vraies « questions », dont on appréciera l’intérêt : celle qui porte sur le nombre de parrainages obtenu par Mélenchon, et celle lui demandant son choix, au second tour de la prochaine élection présidentielle, entre François Hollande et Marine Le Pen.

Pour le reste, comme on pourra le constater en annexe, où l’on trouvera une transcription brièvement commentée de cette interview, il s’agit, sous couvert de poser des questions, d’instruire le procès de Jean-Luc Mélenchon : seul, irresponsable, mégalo, proche du FN sur beaucoup de sujets, ayant choisi comme modèles des expériences politiques et économiques désastreuses et se préparant sans doute à faire de même. Nous ne prendrons ici qu’un exemple, celui déjà cité dans notre précédent article faisant le point sur l’affaire Lenglet/Morales. Relisons la question de François Lenglet, qui reprend ici la parole après un débat animé sur l’immigration. Le ton est posé, Lenglet lit manifestement sa question au moins en partie écrite :

Vous nous avez vendu successivement plusieurs modèles, trois hommes politiques que vous avez dit admirer. Le premier, c’est Ugo Chavez, le président du Venezuela, et son successeur Maduro. Après 15 ans de gouvernement chaviste, le Venezuela est dans un état de décomposition économique totale, en ruine, alors que c’est un des pays les plus riches d’Amérique du Sud. Vous avez également célébré Evo Morales, président de Bolivie qui est aujourd’hui empêtré dans des scandales de corruption considérables. Et puis le troisième, le Grec Alexis Tspiras. Vous avez dit d’ailleurs en 2014 : « Il a une volonté absolument inflexible, rien ne fera céder cet homme-là ». Bon. On sait évidemment la suite, Tsipras a finalement appliqué la politique d’austérité la plus dure et la plus stupide, nous sommes d’accord tous les deux là-dessus. Autrement dit : quelqu’un qui a précipité la faillite de son pays, un corrompu et un social-traître. Honnêtement, quel panthéon !

Les accusations diffamatoires de Lenglet à l’encontre d’Evo Morales ont fait couler beaucoup d’encre. À juste titre. Mais elles ont quelque peu dissimulé un autre problème. Car il s’agit bien d’une des quelques « questions », préparées et posées, répétons-le, par un grand responsable de l’information de la plus grande chaîne publique, à un responsable politique, dans la séquence dite de « L’interview ». Certes, Jean-Luc Mélenchon, après « Quel panthéon ! », semble interrompre François Lenglet. Mais celui-ci avait-il véritablement une question à poser ? Nous ne le saurons jamais. Au cours de l’échange qui suit cette « question », il ajoute simplement : « C’est trois faillites considérables, donnez-nous le fond de votre pensée » : toujours cette volonté de faire primer le « fond » ! Mais « le fond de votre pensée » sur quoi ? Qu’aurait-il pu demander, s’il avait eu la moindre intention d’interroger réellement Mélenchon, et non de souligner le désastre (supposé) de ses (prétendus) modèles ? Pour notre part, nous ne voyons que trois possibilités :
– Êtes-vous conscient des résultats catastrophiques de vos modèles calamiteux ?
– Vous félicitez-vous des résultats calamiteux de vos modèles catastrophiques ?
– Comptez-vous faire plus calamiteux ou moins catastrophique que vos désastreux modèles ?

Pour paraphraser Coluche, ne rions pas, c’est tout de même l’argent public qui finance cette « catastrophe » journalistique…


***

Ainsi, pour fêter la dernière de l’émission, David Pujadas et les grands professionnels qui président à la grand-messe politique de France 2 nous ont sans doute offert ce qu’ils pouvaient faire de mieux, et ce n’est guère rassurant : plus de deux heures où les échanges de fond ont eu lieu en leur absence ou contre leur gré, contre leurs questions piégeuses ou malveillantes. N’en déplaise à M. Pujadas, il n’y a pas que le « buzz » ou les « petites phrases » qui provoquent le « dégoût de la politique », mais aussi cette incapacité à organiser ou même favoriser un vrai débat approfondi, informé, portant sur « les idées, les convictions », voire le programme de l’invité, et non sur les préoccupations des chefferies éditoriales.

Et ce n’est pas les dernières séquences de l’émission qui rattraperont le naufrage. Ni Karim Rissouli, puisant dans les « 32000 tweets » postés pendant l’émission ceux qui lui permettent de dresser un « portrait robot » (à charge) de Jean-Luc Mélenchon, et de revenir sur les grandes « questions » soulevées par ses collègues (l’immigration, le deuxième tour de la présidentielle, l’action « antidémocratique » de la CGT du livre, etc.). Ni l’inénarrable Jean-Daniel Lévy, venu nous présenter les résultats de son sondage, nous apprenant combien de téléspectateurs ont une « bonne opinion » de Jean-Luc Mélenchon, combien l’ont trouvé « courageux », compréhensif vis-à-vis des « préoccupations des Français », capable de « réformer le pays dans le bon sens » (sic), et combien pensent qu’il « ferait un bon président ». Scoop final : Jean-Luc Mélenchon aurait obtenu un véritable « plébiscite » auprès des sympathisants du Front de gauche. Miracle de la sondologie !

Nous tirerons donc sans regret le rideau sur « Des paroles et des actes »… en attendant avec prudence les innovations de la rentrée « politique » sur la chaîne publique : le pire n’étant jamais sûr, il ne faut jurer de rien.

Olivier Poche



Annexe : « L’interview »

1. « Est-ce que vous jouez pas un peu avec le feu ? »
C’est Nathalie Saint-Cricq qui commence, avec trois « questions ».
– Nathalie Saint-Cricq : « Vous avez parlé d’une révolution par les urnes, mais il y a quelques jours, sur votre blog, vous prédisiez une forme d’explosion sociale qui pouvait arriver en France, et puis il y a une phrase un peu étrange sur votre blog, je voudrais qu’on la lise. »

Nathalie Saint-Cricq lit une phrase tronquée extraite du blog de Jean-Luc Mélenchon, qui s’affiche également à l’écran :

Elle reprend : « Qu’est-ce que vous voulez dire par là, un “événement fortuit”, un drame, un accident, un blessé ? »

Après cette « question » de 30 secondes, Jean-Luc Mélenchon a droit à 23 secondes de réponse, pour commencer à expliquer qu’il s’intéresse à la façon dont surgissent les révolutions. Il est interrompu :
– Nathalie Saint-Cricq : « Mais est-ce que ça vous inquiète, parce qu’on dirait qu’il y a une forme de jubilation, quand vous regardez ce qui se passe, l’explosion, en vous disant “Bah, faut que ça saute, dans deux mois y’aura plus Valls, etc.” Est-ce qu’il y a pas une forme d’attente, en fait, est-ce que vous jouez pas un peu avec le feu ? »


2. « le collectif finalement c’est pas trop votre genre… »
– Nathalie Saint-Cricq : « Très clairement, vous êtes en marche, vous êtes seul en marche, sans parti, sans les écolos, en ayant retoqué les frondeurs, le PC, vous avez court-circuité tout le monde en annonçant votre candidature à la présidentielle, la primaire, c’est bon pour les autres, alors je voudrais qu’on écoute cette dame de la CGT qui vous a interpellé en trouvant que le collectif finalement c’était pas trop votre genre… »

Est alors diffusé un extrait vidéo, sans aucune information sur son contexte, d’une dame interpellant Jean-Luc Mélenchon pour lui dire qu’elle l’a soutenu, mais qu’elle a pleuré à l’annonce de sa candidature.

– Nathalie Saint-Cricq reprend : « Alors, M. Mélenchon, y’a pas un côté exercice solitaire de la candidature… ? » Ce dernier l’interrompt avant qu’elle ne précise exactement sa « question », mais on a compris l’essentiel.


3. « Vos parrainages, vous en êtes où, justement ? […] 120, 130, 140 ? »
Après cette troisième question (cruciale), glissée par Nathalie Saint-Cricq au milieu d’un développement de Jean-Luc Mélenchon, et après la réponse de ce dernier, David Pujadas donne la parole à François Lenglet.


4. « On dirait du Le Pen dans le texte »
– François Lenglet : « Dans toute l’Europe, l’extrême droite progresse […] comment expliquez-vous que la crise économique ait profité davantage à l’extrême droite qu’à la gauche radicale des partis comme le vôtre ? »
Mélenchon commence à répondre sur la dénaturation des partis « socialistes » traditionnels, ce qui conduit Lenglet à préciser sa question – c’est-à-dire à insinuer plus explicitement :
– François Lenglet : « Jusqu’ici, M. Mélenchon, la différence, l’une des différences, très importante, entre l’extrême droite et la gauche radicale, c’était la référence à la préférence nationale, au nationalisme, à la frontière, et j’ai observé justement dans votre discours récent, notamment dans votre blog du 24 novembre, que vous vous rapprochez de ces vocables-là. Vous dites, alors vous partez de la lutte contre le terrorisme, “il faut reconstruire les frontières”, mais vous allez beaucoup plus loin, en condamnant le “mythe rédempteur de la libre circulation des marchandises”, et je vous cite “les frontières sont des portes, on doit décider souverainement de les ouvrir ou de les fermer” : “souveraineté”, “frontières”, c’est quand même des mots qu’on entend plutôt dans l’extrême droite, et qui jusqu’ici n’était pas du tout dans votre vocabulaire. On dirait du Le Pen dans le texte ! Elle vous a pris votre programme, une partie de votre programme social, et puis vous semblez lui emprunter des éléments qui sont tout à fait inhabituels dans le registre traditionnel de l’extrême gauche qui est plutôt internationaliste »

Mélenchon préfère répondre sur l’internationalisme et le rapport à la nation de la gauche et néglige la « question » d’une proximité avec le FN. Mais il a le malheur de se déclarer pour le protectionnisme solidaire. Avant de pouvoir expliquer ce qu’il entend par là, Lenglet reprend la parole, pour remettre un peu de FN sur le feu :
– François Lenglet : « J’allais y venir, le protectionnisme, est-ce que ce n’est pas de la préférence nationale ? »
– Jean-Luc Mélenchon : « Mais non, je vais vous expliquer pourquoi »

C’est inutile, car François Lenglet a la réponse. C’est sans doute pour cela qu’il excelle à poser des fausses questions.
– François Lenglet : « Mais attendez, c’est la définition même… »
– Jean-Luc Mélenchon : « Vous me posez une question, je vous réponds ! »
– François Lenglet : « C’est la définition même du protectionnisme : une préférence nationale »
– Jean-Luc Mélenchon : « Mais non, mais pas du tout, vous n’y êtes pas ! »

François Lenglet persistant à faire les « questions » et les réponses, c’est David Pujadas qui intervient pour que Jean-Luc Mélenchon puisse répondre. Sans grand succès.
– David Pujadas : « Alors allez-y, allez-y là-dessus. »
– Jean-Luc Mélenchon : « Écoutez la formule : protectionnisme solidaire »
– François Lenglet (qui n’en démord pas) : « Non mais ça c’est comme l’eau qui ne mouille pas, ou comme la vierge enceinte, vous réconciliez deux choses tout à fait contradictoires. »
– Jean-Luc Mélenchon : « Alors je vais vous donner un exemple, comme ça… »
– François Lenglet : « C’est arrivé, vierge enceinte, mais une fois seulement »
– Jean-Luc Mélenchon : « Est-ce que vous voulez un exemple concret ? D’habitude vous aimez ça, les journalistes, concret, immédiatement, et en peu de mots »
– David Pujadas : « Nous sommes tout ouïe »
Et de fait, Mélenchon peut alors évoquer l’exemple de la TSA. Mais au prix de quel effort !

Le dialogue se poursuit sur le commerce international et le « libre-échange », François Lenglet continuant de faire les réponses et les réponses :

– François Lenglet : « Mais vous qui êtes internationaliste, le commerce international, il a quand même permis à la Chine se développer de façon extraordinaire… »
– Jean-Luc Mélenchon : « Mais je ne suis pas Chinois, je suis Français. »
– François Lenglet : « Alors donc vous préférez la France. »
Comme Marine Le Pen, si on comprend bien M. Lenglet, qui enchaîne aussitôt : « Alors on va regarder quelque chose… » Quelle surprise (une nouvelle séquence ?) Lenglet avait-il dans son chapeau ? Nous ne le saurons jamais, car Mélenchon l’interrompt pour exposer la façon dont il faudrait négocier à l’international, et la surprise de François Lenglet passe à la trappe. Mais David Pujadas finit tout de même par interrompre Mélenchon (au bout de 30 secondes) pour donner la parole à Nathalie Saint-Cricq.


5. « Est-ce que vous vous dites : “[Angela Merkel] est une femme formidable” ? »
– Nathalie Saint-Cricq : « Je vais vous parler de votre grande amie Angela Merkel, alors en septembre 2015, elle a décidé d’ouvrir grand les portes de l’Allemagne, afin d’accueillir des réfugiés »
– Jean-Luc Mélenchon : « Vous n’y croyez pas j’espère ? »
– Nathalie Saint-Cricq : « Ben je pense que vous allez me répondre. Vous qui êtes internationaliste et qui considérez que le Nord/Sud est important, est-ce que vous vous dites à ce moment-là : “C’est juste l’honneur de l’Europe, c’est une femme formidable !” ? »
Une « question » qui vise donc essentiellement à pointer une contradiction supposée de Mélenchon, entre l’internationalisme qu’il affiche et son « amitié » modérée pour Angela Merkel – sans que la réalité de la politique de celle-ci soit jamais interrogée. S’ensuit un échange très animé et très confus, en grande partie parce que Mélenchon, sans cesse interrompu, est interrogé à la fois sur l’internationalisme, la politique – telle que Saint-Cricq la présente – de Merkel (« est-ce que vous approuvez l’ouverture des frontières ? »), ou l’immigration en général (« une chance ou non pour la France ? »).

Significativement, quand Jean-Luc Mélenchon souligne que « vous posez mal la question », et essaie de poser le problème de la guerre, il se fait aussitôt recadrer :
Nathalie Saint-Cricq : « Non, mais il faut que la guerre s’arrête, on est tous d’accord ! Ils sont là : on les accueille ? »
David Pujadas : « Est-ce qu’on ouvre les frontières ou pas ? »

Et après un nouvel échange, Jean-Luc Mélenchon parvient à revenir à son raisonnement. Pas pour longtemps :
– Jean-Luc Mélenchon : « Il faut faire arrêter les guerres, premièrement »
Quelle naïveté ! Il n’y aura pas de deuxièmement, car Pujadas le coupe, pour lui faire la leçon avec une indulgence condescendante : « Oui mais ça vous savez Jean-Luc Mélenchon que c’est pas pour tout de suite. On va pas arrêtez la guerre comme ça en claquant des doigts […] Il y a une question de l’immigration qui est d’abord posée. »
Elle est « d’abord posée », parce que c’est ainsi que l’entendent ceux qui posent les questions…


6. « Donnez-nous le fond de votre pensée »
Après ces échanges animés, David Pujadas donne la parole à François Lenglet, qui veut « vous interroger sur vos modèles ».
– François Lenglet : « Vous nous avez vendu successivement plusieurs modèles, trois hommes politiques que vous avez dit admirer. Le premier, c’est Ugo Chavez, le président du Venezuela, et son successeur Maduro. Après 15 ans de gouvernement chaviste, le Venezuela est dans un état de décomposition économique totale, en ruine, alors que c’est une des pays les plus riches d’Amérique du Sud. Vous avez également célébré Evo Morales, président de Bolivie, qui est aujourd’hui empêtré dans des scandales de corruption considérables. Et puis le troisième, le Grec Alexis Tspiras. Vous avez dit d’ailleurs en 2014 : “Il a une volonté absolument inflexible, rien ne fera céder cet homme-là”. Bon. On sait évidemment la suite, Tsipras a finalement appliqué la politique d’austérité la plus dure et la plus stupide, nous sommes d’accord tous les deux là-dessus. Autrement dit : quelqu’un qui a précipité la faillite de son pays, un corrompu et un social-traître. Honnêtement, quel panthéon. […] C’est trois faillites considérables, donnez-nous le fond de votre pensée »


7. « En cas de second tour… »
La réponse de Mélenchon occupe les dernières secondes du temps imparti à « L’interview ». Le gong sonne, mais Pujadas accorde « une dernière question » à Saint-Cricq. Une faveur sans doute due à l’importance cruciale de la dite question :
– Nathalie Saint-Cricq : « En cas de second tour François Hollande-Marine Le Pen, est-ce que dans ce cas-là vous continuez à ne pas choisir ou à vous dire définitivement “Je ne voterai jamais”… »

Question à laquelle Jean-Luc Mélenchon refusera d’ailleurs de répondre. Dommage…

 
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