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Actualité des médias n°3 (mars 2017)

par Benjamin Lagues, Jérémie Fabre,

Nous poursuivons notre nouvelle série d’information mensuelle sur l’actualité des médias [1]

I. Du côté des programmes et des informations

  PMU de Sevran : le bidonnage de France 2 est démontré, France Télévisions s’en fout - Le 7 décembre 2016, les téléspectateurs du journal télévisé de France 2 découvraient avec stupeur que dans un bar de Sevran, en Seine-Saint-Denis, les femmes ne sont pas les bienvenues. David Pujadas l’annonçait en lançant un reportage, partiellement tourné en caméra cachée. Sauf que tout était faux. Le 10 mars 2017, le Bondy blog publie une contre-enquête démontrant que le reportage de France 2 a été manipulé. « Arrêt sur images », de son côté, montre que David Pujadas et le JT de France 2 n’ont pas l’intention de revenir sur leur bidonnage [2] : non seulement l’article du Bondy blog n’a jamais été mentionné dans les JT suivants, mais en plus France 2 a assuré au Bondy blog [3] que « la direction de l’information confirme que les règles de déontologie journalistiques ont été respectées pour ce reportage et réaffirme tout son soutien aux équipes de la rédaction injustement mises en cause. »

 «  Envoyé spécial » redonne dans le spectacle racoleur - « Envoyé spécial », une émission de France 2, capable du meilleur comme du pire, s’est dernièrement illustrée pour le pire. Coutumière des émissions racoleuses sur les quartiers populaires, comme nous l’avions analysé en 2014 avec un exemple sur un quartier de Grenoble (Mobilisation et plainte des habitants d’un quartier populaire grenoblois contre le président de France Télévisions), « Envoyé spécial » a remis le couvert récemment à propos des « casseurs » [4]. À l’époque du sujet sur Grenoble, nous écrivions que l’émission reprenait « tous les stéréotypes médiatiques, misérabilistes et obnubilés par "la violence", sur les quartiers populaires ». Le site Paris-luttes.info a ainsi publié un article dans lequel le ou les auteurs montrent que l’émission de France 2 « [sert] sur un plateau au public de leurs reportages tous les arguments du discrédit ». Le site explique ainsi que les journalistes d’« Envoyé spécial » « [reconnaissent] l’impossibilité de recueillir la parole des personnes qui incarnent politiquement les idées et pratiques radicales du “black bloc” ou des “cortèges de tête”, ils se rabattent [alors] le plus souvent sur des personnes un peu novices ou fascinées, voire malhonnêtes, pêchées dans la foule et qui peinent à exprimer devant la caméra la sincérité et la force de leurs convictions. On en retient essentiellement qu’elles sont “contre le système” et qu’elles sont prêtes à se la mettre avec les flics. » In fine, le reportage « participe de l’immense farce médiatique consistant à renforcer encore un peu plus le discours policier. »

 Racisme ordinaire à Gala - Le magazine de « presse people » Gala a publié, dans son numéro de début mars, une brève remarquable de racisme ordinaire, comme l’a relevé la version française du site Huffington Post. Dans un article consacré à la « visite du haut-commissaire du Swaziland et son épouse » auprès de la reine du Royaume-Uni, Gala accompagne une photographie de ce délicieux commentaire : les invités, habillés en costume traditionnel swazi, « ne se sont pas trop préoccupés de la tenue à adopter » ajoutant que « ce n’était pourtant pas mardi gras ». Face aux accusations, le magazine s’est finalement excusé en précisant que cet article était… inexcusable.


II. Du côté des entreprises médiatiques et de leurs propriétaires

 Mouvement social à Canal+ - Le mardi 7 mars, jour de la semaine où le milliardaire breton Vincent Bolloré se rend généralement au siège de sa chaîne Canal+ à Issy-les-Moulineaux, près de 300 salariés du groupe se sont réunis à l’appel des syndicats CFDT, CGC, CGT et +Libres. Ils protestent notamment contre la volonté de la direction de ne pas appliquer un accord d’intéressement sur les bénéfices du groupe qu’elle avait pourtant signé. D’après Les Inrocks, les salariés toucheront ainsi six fois moins que l’année précédente. Cette mobilisation prend place dans un contexte tendu pour le groupe Canal+, depuis sa reprise en main autoritaire par Vincent Bolloré, comme on peut le lire dans L’empire. Comment Vincent Bolloré a mangé Canal+, de R. Garrigos et I. Roberts, dont nous avons rendu compte ici-même [5]. Devant la mobilisation, Bolloré a finalement préféré décaler ses rendez-vous au siège du groupe Vivendi à Paris.

 Vincent Bolloré bientôt seul maître à bord de Vivendi ? - En mars, le groupe Bolloré a encore accru son emprise sur la multinationale française Vivendi (propriétaire notamment du groupe Canal+), en voyant ses droits de vote passer de 20 à 26 %. C’est le résultat de la loi dite « Florange » qui accorde des droits de vote double aux actionnaires de long terme, ce qui est le cas du groupe Bolloré. Cette part devrait encore augmenter en avril, pour passer à 29 %. D’après l’Autorité des marchés publics, cette nouvelle configuration permettrait à Bolloré de devenir, à lui seul, majoritaire en assemblée générale (selon le nombre d’actionnaires présents), et d’être ainsi en capacité de prendre totalement seul certaines décisions.

  Paris Normandie restera aux mains de Xavier Elie - La société normande d’information et de communication, qui édite notamment le quotidien régional Paris Normandie, était en redressement judiciaire depuis avril 2016. D’après Normandie-actu.fr, l’entreprise possédée par Xavier Elie « avait fait l’objet de trois offres de reprise dont celle de l’actuel propriétaire (qui prévoyait d’injecter 750 000 euros dans l’entreprise et prévoyait de supprimer 33 postes techniques) et celle du groupe de presse Rossel, qui détient notamment La Voix du Nord et qui proposait un investissement de 3 millions d’euros et 41 suppressions de postes ». Malgré la grève des journalistes de Paris Normandie le vendredi 10 mars en faveur de l’offre du Groupe Rossel, c’est celle de Xavier Elie qui a été retenue par le tribunal de commerce de Rouen.

 Patrick Drahi veut vendre plus de publicité avec les données des abonnés « SFR presse » - Les lecteurs des titres possédés par Patrick Drahi (L’Express, Libération, BFM-TV…), seront plus que jamais de la chair à publicité. D’après Les Échos, « le groupe de Patrick Drahi et Teads, une pépite française des technologies complexes qui sont derrière la publicité numérique, n’envisage en effet rien moins que de créer ensemble une alternative à Facebook et Google concernant leurs offres publicitaires. » On rappellera en effet que Facebook et Google monopolisent la publicité en ligne par le biais de leurs régies publicitaires ultra-dominantes. « L’idée est de marier l’audience de Teads et les données d’utilisateurs recueillies par Altice par le biais de ses médias (BFM TV, i24, SFR Sport, ses journaux Libération et l’Express, etc.) et de ses opérateurs télécoms ou de câble pour faire grossir le nouveau pilier "publicité" du groupe », explique ainsi Les Échos.

  Le Point « résiste » à SFR presse - L’hebdomadaire Le Point s’est fendu d’un éditorial, le 23 mars, pour expliquer pourquoi il n’adhérera pas à SFR presse, le service permettant d’avoir accès gratuitement à certains titres de presse. L’argument du directeur du Point : « SFR rémunère les journaux au téléchargement, et ce à une fraction – environ le dixième – de leur prix normal. Une aumône ! Certainement pas assez pour pratiquer un journalisme à la hauteur de nos ambitions, avec de longues enquêtes, des reportages. » SFR presse a répondu par la voix de Guillaume Dubois, son directeur, dans l’émission « L’instant M » sur France Inter, en affirmant que « dans le kiosque, les trois-quarts vont à la distribution, à la production. Ils ne vont pas non plus aux journalistes et au reportage. L’enjeu principal [de SFR Presse] est de reconquérir des lecteurs, et reconquérir au-delà de ceux qu’on a perdus en papier » [6]. Un argument qui ne risque pas de convaincre le directeur du Point, qui affirme dans son éditorial que l’hebdomadaire « gardera donc son indépendance. Notre bien le plus précieux. » Une indépendance, rappelons-le, protégée par François Pinault, financier et propriétaire du Point. De notre côté, nous avions relevé en janvier dernier ce qu’il en était des belles promesses de SFR presse.

 Le groupe Le Figaro condamné pour travail dissimulé - Evene, une filiale du groupe Le Figaro, a été condamnée à une amende de 25 000 euros et à dédommager à hauteur de 4 000 euros chacune des parties civiles pour travail dissimulé, après avoir payé pendant des années ses salariés en droits d’auteur et non en salaire. Pour ces derniers, cette condamnation est l’aboutissement d’une procédure de longue haleine, initiée en 2011 suite à la publication d’un rapport accablant de l’Inspection du travail au cours de l’année précédente. Le syndicat SNJ-CGT « se réjouit de cette condamnation définitive alors que des entreprises de presse ou d’audiovisuel tentent actuellement d’imposer le régime d’auto-entrepreneur à leurs journalistes rémunérés à la pige, pourtant considérés comme salariés par la loi et la Convention collective des journalistes », et dénonce « la duplicité de médias qui bénéficient d’aides publiques mais bafouent la loi et les droits sociaux et moraux de journalistes. » Le même syndicat rappelle d’ailleurs que cette décision constitue désormais une jurisprudence bienvenue pour « tous ceux dont le statut de salarié est nié par l’employeur ».


III. Du côté des institutions

 Débat en comité restreint à TF1 : le Conseil d’État valide - Contestant la décision de la chaîne TF1 d’organiser un débat télévisé avec seulement cinq des onze candidats à l’élection présidentielle, le candidat Nicolas Dupont-Aignan a saisi la plus haute autorité administrative du pays. Le Conseil d’État a finalement rejeté son recours, arguant que son absence « n’a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale au caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion ». Il s’appuie pour cela sur la réforme d’avril 2016, dont les dispositions ont fortement assoupli les contraintes qui pesaient jusqu’alors sur les médias audiovisuels en termes d’égalité du temps de parole des candidats pendant la campagne officielle. Nous n’avions pas manqué alors de contester le bien-fondé de cette loi, et nous en observons aujourd’hui les effets...


Jérémie Fabre et Benjamin Lagues

 
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Notes

[2article payant.

[3Message sur Twitter.

[4Au moment où nous écrivons, la vidéo est encore visible.

[6Selon une citation retranscrite par Arrêt sur images.

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