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Actualité des médias : Elkabbach dans ses œuvres, Sarkozy à Lagardère, Niel à l’offensive dans la presse régionale…

par Benjamin Lagues, Jérémie Fabre,

Nous poursuivons notre série d’information mensuelle sur l’actualité des médias avec cette trente-troisième édition, revenant sur le mois de février 2020 [1].

Du côté des journalistes, des éditocrates et de leurs œuvres


- Rappel à loi pour les journalistes qui enquêtent sur le Yémen – Pour le procureur de la République de Paris, enquêter sur un sujet d’intérêt public est une infraction. C’est ce que viennent de constater les journalistes de Disclose, de Radio France et de l’émission « Quotidien » après que leur enquête sur les armes françaises au Yémen (avril 2019) a été inquiétée par le ministère des Armées. Si, selon Le Monde, « le parquet de Paris a décidé de ne pas engager de poursuites contre [les] journalistes soupçonnés de violation du secret-défense », ceux-ci ont malgré tout subi un rappel à loi. En conséquence de quoi ils pourraient bien être poursuivis si, dans une prochaine enquête, ils « s’approprient » et « divulguent un secret de la défense nationale » selon les termes du procureur cités par Mediapart. Un épisode de plus dans le raidissement autoritaire du quinquennat d’Emmanuel Macron vis-à-vis de la presse.

- La connivence de Jean-Pierre Elkabbach avec le pouvoir exposée au grand jourDans un article publié fin février, Mediapart a révélé des conversations privées de l’éditocrate de CNews Jean-Pierre Elkabbach avec l’ancien ministre sarkozyste Brice Hortefeux en 2013. On peut notamment y découvrir la « méthode Elkabbach » de la préparation d’une interview : « dans une incroyable symbiose, les deux hommes précisent ensemble au mot près certains moments clés de l’entretien à venir. On surprend non seulement l’intervieweur confier les questions à son futur invité mais aussi lui donner le verbatim des réponses qu’il attend. » Exemple : dans un de ces échanges, Elkabbach souffle à Hortefeux ses réponses à propos d’un retour de Nicolas Sarkozy dans la vie politique : « Ah, mais attends, pourquoi tu dis pas : “Il n’est prisonnier d’aucun calendrier. Si jamais il se décidait, il le ferait les yeux dans les yeux des Français.” […] Attends, on ne peut pas ajouter : “C’est un homme libre” ? » Au micro d’Europe 1, lors de leur entretien, Brice Hortefeux reprend telles quelles les suggestions d’Elkabbach : « Écoutez, d’abord, Nicolas Sarkozy n’est pas prisonnier d’un calendrier. Et c’est un homme libre […]. Sa décision sera connue tout simplement parce qu’il s’adressera aux Français les yeux dans les yeux… » Une connivence aussi grossière que ridicule, mais qui n’étonnera pas les lecteurs d’Acrimed [2]...

- Marianne noyauté par Natacha Polony – Il y a deux Natacha Polony : la directrice de la rédaction de Marianne d’un côté, et de l’autre la fondatrice de Polony.tv, une web-télé. Or cette situation génère des conflits d’intérêts de plus en plus visibles. En effet, selon Libération, « les lignes éditoriales des deux médias se croisent souvent, notamment sur les questions de souveraineté, ou les débats touchant à l’Union européenne. Mettant ainsi en concurrence directe deux titres dirigés par la même personne. » Une situation d’autant plus délicate que, d’après un ancien journaliste de Marianne interrogé par Libération, les thèmes abordés en conférence de rédaction du magazine étaient parfois traités sur Polony.tv par la suite. Par ailleurs, « les équipes de Polony.tv ont progressivement rallié Marianne » explique Libération en précisant que « sur les onze intervenants répertoriés sur le site de Polony.tv, dix collaborent régulièrement, ou ont collaboré avec Marianne. Plusieurs d’entre eux ont été embauchés, parfois à des postes importants, comme Franck Dedieu, désormais directeur adjoint de la rédaction. Les autres sont devenus pigistes très réguliers du journal. » Ce rapprochement de fait devrait aboutir à une fusion en bonne et due forme puisque « un accord a été trouvé en décembre pour que la société Marianne rachète l’intégralité des parts de Natacha Polony (49,98 %) au sein de Polony.tv » écrit Libération. La web-télé deviendrait alors « Marianne TV ».

- Mise en sommeil de la Société des journalistes de TF1 – « Manque de dialogue constructif », « manque de confiance de la Direction de l’Information », « incompréhensions répétées sur le rôle de la SDJ », « brutalité des réactions de la direction »… Voici le sombre constat fait par la Société des journalistes de TF1 début février. C’est dans ce contexte que ses membres ont collectivement décidé de ne pas se représenter à leur poste, et qu’aucune autre candidature n’a été enregistrée. Une affaire à suivre...

- Le nombre de cartes de presse toujours en baisse – La Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP) a publié ses chiffres actualisés pour l’année 2019. En France, 35 020 journalistes étaient donc officiellement reconnus en 2019. Ce chiffre est en baisse continue depuis plusieurs années : depuis 2009, la France compte en effet 7,5 % de journalistes avec carte de presse en moins. Ce chiffre ne dit cependant pas tout de la réalité journalistique en France. Rappelons en effet que seuls les journalistes qui possèdent cette carte de presse sont reconnus comme tels par cette commission. Une conception très étriquée du journalisme puisqu’elle exclut tous ceux et toutes celles qui, entre autres critères, ne tirent pas 50 % ou plus de leurs revenus grâce au journalisme. On peut notamment compter parmi ceux-ci les très nombreux médias alternatifs.

Du côté des entreprises médiatiques et de leurs propriétaires


- Arnaud Lagardère fait appel à Nicolas Sarkozy pour sauver son groupe – Connivence toujours. Cette fois, entre un patron d’un groupe de presse et un ancien président de la République. Selon Le Monde, « Arnaud Lagardère [a fait] entrer au conseil de surveillance du groupe propriétaire de Paris Match, d’Europe 1 et du Journal du dimanche Nicolas Sarkozy. » L’objectif, pour Arnaud Lagardère : profiter de l’entregent de M. Sarkozy pour le défendre contre le fonds d’investissement Amber, qui possède 15 % du capital du groupe Lagardère. Ce dernier juge en effet, toujours selon Le Monde, que M. Lagardère « ne remplit pas sa mission, en tardant à réorienter son groupe vers les activités qui fonctionnent – Hachette et les boutiques d’aéroport (Duty Free, Relay…) –, et en cédant, dans de mauvaises conditions, les activités peu rentables. »

- Xavier Niel en pleine offensive sur la presse régionale – Déjà propriétaire de 34 % du groupe Nice Matin depuis son duel victorieux avec le milliardaire franco-libanais Iskandar Safa [3], le milliardaire Xavier Niel vient de sceller le sort du groupe en rachetant la totalité des parts qui lui manquaient. Niel, déjà copropriétaire du Groupe Le Monde, est donc aujourd’hui l’unique actionnaire de Nice Matin, Var Matin et Monaco Matin, trois quotidiens régionaux totalisant 800 salariés. Ce n’est cependant pas assez pour le patron de Free, qui a annoncé être en négociation pour la reprise du groupe France-Antilles (dont la liquidation judiciaire avait été actée par le tribunal de commerce de Fort-de-France le mois dernier [4]). Une bonne nouvelle pour les 235 salariés du groupe qui attendaient leur lettre de licenciement, mais qui témoigne néanmoins de l’état piteux de la presse régionale française.

- Les salariés de Libération dénoncent les mensonges de leur propriétaire – Suite à la découverte en avril 2019 d’une sombre affaire de flux financiers douteux entre l’État gabonais et les caisses de Libération en 2015 [5], les salariés du quotidien avaient exigé des engagements écrits de leur direction bannissant ces pratiques. D’après la Société des journalistes et du personnel de Libération, « ces négociations de plusieurs mois avaient abouti en octobre à un accord cadre tripartite entre la direction de Libération, SFR Presse et la Société des journalistes et du personnel de Libération. Ce texte confère aux salariés du journal de nouveaux droits d’information et de vérification et prévoit leur retour au capital. L’accord final aurait dû être signé au 30 novembre. » Or dans ce même communiqué datant de fin février, la SJPL dénonce le comportement de son propriétaire SFR Presse, qui serait « revenu sur plusieurs points majeurs de cet accord-cadre. Ce non-respect d’engagements formels, longuement négociés, est inadmissible. » Un ultimatum public est lancé à SFR Presse, qui n’a pas communiqué sur le sujet. À suivre...

- Démission collective de la rédaction des Cahiers du cinéma – Fin janvier, un groupe d’investisseurs a racheté la revue Les Cahiers du cinéma. Problème : parmi ces investisseurs, on retrouve Grégoire Chertok, banquier chez Rothschild, le milliardaire Xavier Niel (encore lui), mais surtout de nombreux producteurs… de cinéma ! Devant le risque évident de conflit d’intérêt, l’intégralité de la rédaction de la revue a fait jouer sa clause de cession et a démissionné. Dans un communiqué lisible sur notre site, la rédaction démissionnaire explique notamment que « quels que soient les articles publiés sur les films de ces producteurs, ils seraient suspects de complaisance ».

Du côté des publications sur les médias

Note : cette rubrique ne constitue pas une sélection, mais recense les ouvrages parus dans le mois sur la question des médias, qu’il s’agisse de bonnes ou de moins bonnes lectures.

- Frau-Meigs (Divina), Faut-il avoir peur des fake news ?, La Documentation française, janvier 2020, 216 p., 7,90 euros.

- Laine (Michaël), L’économie vue des médias. Anatomie d’une obsession morale, Le Bord de l’eau, février 2020, 240 p., 22 euros.

- Ledit (Guillaume) et Tesquet (Olivier), Dans la tête de Julian Assange, Actes sud, février 2020, 224 p., 19,50 euros.

- Palacio (Manuel), Histoire sociale de la télévision en Espagne, Université de Saint-Etienne, février 2020, 176 p., 10 euros.

- Rohde (Eric), L’éthique du journalisme, Que-sais-je ?, février 2020, 128 p., 9 euros.

- Salmon (Christian), L’ère du clash, Hachette, février 2020, 368 p., 10 euros.


Jérémie Fabre, et Benjamin Lagues, grâce au travail d’observation collective des adhérentes et adhérents d’Acrimed

 
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