Moderato
L’éditorial médicinal du Monde s’ouvre sur deux paragraphes où, parmi des informations factuelles sur les résultats, se nichent des inexactitudes qui éclairent le passé et des évaluations qui préparent l’avenir.
Soit, par exemple, le deuxième paragraphe :
« Mais ce référendum, réclamé par l’opposition, ne devrait pas mettre fin à la crise qui divise le pays depuis plus de deux ans. Après avoir promis qu’elle respecterait le verdict des électeurs, la coalition hétéroclite de partis unis seulement par leur détestation du leader populiste de Caracas a dénoncé des "fraudes massives". Elle refuse pour le moment de se plier au processus démocratique, soutenue en cela par l’administration Bush, qui a réclamé une enquête sur ces supposées fraudes qu’aucun des observateurs indépendants n’a pourtant constatées. »
Inexactitude rétrospective. Il est inexact d’affirmer que l’opposition aurait « promis qu’elle respecterait le verdict des électeurs ». Au contraire. L’opposition avait « promis » qu’elle ne respecterait les résultats que si les élections étaient sans fraudes, mais elle avait par avance annoncé que si elle perdait les élections, ce serait forcément en raison de fraudes. Autrement dit, elle avait promis de respecter le verdict des électeurs ...uniquement à condition que l’opposition l’emporte [1].
Evaluation prospective. L’opposition serait, lit-on dans Le Monde, une « coalition hétéroclite de partis unis seulement par leur détestation du leader populiste de Caracas ».
Chavez serait donc un leader « populiste ». L’éditorialiste anonyme du Monde n’aura pas eu à chercher très loin ce premier diagnostic : les dépêches de l’AFP (que Le Monde reproduit et retraite avec constance) le martèlent à flux tendu. Et nous verrons un peu plus loin que si cette « information » trône en début d’éditorial, c’est que notre éditorialiste a particulièrement bien retenu la leçon....
Mais tout cela se joue encore moderato.
Forte
« Les urnes ont parlé au Venezuela, et le président Hugo Chavez a sauvé son poste, face à une opposition qui exigeait sa destitution », constatait notre éditorialiste dès la première phrase. « Que cela plaise ou non, Hugo Chavez reste, jusqu’aux élections de 2007, le président légitime de son pays », confirme-t-il a présent...
... avant d’entreprendre un va-et-vient entre « d’une part » et « d’autre part » :
« La démocratie voudrait que l’opposition - qui regroupe pas loin d’un Vénézuélien sur deux - utilise ce délai au mieux pour se doter d’un chef - elle n’en a que trop - et du programme dont elle manque. De son côté, M. Chavez devra se rappeler qu’il n’est pas l’élu d’une fraction de ses compatriotes, mais bien le président de tout le pays. »
D’une part, « La démocratie voudrait », d’autre part « M. Chavez devra ». D’une part Le Monde voudrait... ce que la démocratie voudrait. D’autre part, Le Monde prescrit ce que M.Chavez devra : « se rappeler » ...ce qu’il a dit lui-même le jour même de l’annonce de sa victoire électorale.
Désespérant de voir le pays trouver un « compromis provisoire », l’éditorialiste anonyme note au passage que le Venezuela est « un pays autrefois prospère et qui vacille depuis des lustres de crise politique en crise économique » : on relèvera la précision de l’ « autrefois » et des « lustres », avant que Le Monde ne vacille à son tour.
Cela commence par un souhait platonique :
« D’ici là, le mieux que l’on puisse souhaiter est que personne ne jette de l’huile sur le feu, au Venezuela comme à l’étranger, de Washington à La Havane. ».
... immédiatement suivi d’une injonction qui s’adresse ... à la « région ». : « Il faut savoir raison garder dans cette région si volatile [qui nous dira ce qu’est une région « volatile » ?] et dans un pays qui est le cinquième exportateur de pétrole. ».
Fortissimo
« D’une part » et « d’autre part » sont de retour :
Voyons « d’une part » :
« Ce n’est pas parce que cet ancien officier putschiste devenu une sorte de tribun d’un national-populisme tropical s’appuyant sur les casernes s’oppose à Washington qu’il doit être considéré comme un homme politique responsable, ou capable de sortir son pays du marasme où d’autres avant lui l’avaient jeté.
« D’une part », Chavez est un irresponsable. C’est un « ancien officier putschiste devenu une sorte de tribun d’un national-populisme tropical s’appuyant sur les casernes ».
Les mots ont un sens. Et chacun sait que le médiateur du Monde veille jalousement sur leur emploi. « National-populisme » consonne avec « national-socialisme » : c’est sûrement une déplorable bévue... De surcroît, ce « populisme est « tropical » : c’est sûrement un qualificatif dénué d’ethnocentrisme et strictement estival... Et ce « national-populisme s’appuie « sur les casernes » [2]. Et sur la majorité du peuple ? Le Monde ne sait pas : l’absence de cette précision ne serait donc pas une regrettable omission...
Reste à effectuer maintenant un petit détour par « d’autre part » :
« Mais ce n’est pas non plus parce que l’administration Bush l’assimile sans nuances au dictateur cubain et soutient ses adversaires - y compris dans une tentative avortée de coup d’Etat en 2002 - qu’il faut considérer Hugo Chavez comme un nouveau Castro, porte-parole des déshérités. »
« D’autre part », Chavez n’est pas un nouveau Castro. Bon... Mais on ne sait que vient faire, placée en en apposition, cette expression : « porte-parole des déshérités ». Cela non plus il ne faut pas le « considérer » ? Pourtant, « que cela plaise ou non », comme dit Le Monde, impossible de nier qu’Hugo Chavez est le « porte-parole des déshérités » et d’affirmer que le « tribun national-populiste », ne s’appuie que sur les casernes.
« D’une part » et « d’autre part » claudiquent quelque peu...
Pourquoi ? Parce que - effet de l’obsession mondesque contractée depuis que « Nous sommes tous américains » -, l’administration états-unienne est la pierre de touche de ce déhanchement : ce n’est pas parce que Chavez s’oppose à Bush qu’il est fréquentable. Ce n’est pas parce que Bush le compare à Fidel Castro, qu’il « qu’il faut considérer Hugo Chavez comme un nouveau Castro ».
Après cet extrait de « géopolitique de la pensée », vient l’explication...
Allegretto
Nous en étions-là : ne pas considérer « Hugo Chavez comme un nouveau Castro, porte-parole des déshérités. ». Pourquoi ? « Car c’est avant tout à la hausse du prix du pétrole que Hugo Chavez doit sa survie politique. ».
Avant de revenir sur cette explication miraculeuse, nous devons essayer de résoudre une énigme : cette phrase explique-t-elle pourquoi Chavez n’est pas « un nouveau Castro » ou pourquoi Chavez n’est pas « le porte-parole des déshérités » ? Le mystère est total. On peut essayer de procéder par élimination : ce n’est pas parce qu’il aurait politiquement survécu grâce à la hausse du pétrole que Chavez n’est pas un nouveau Castro... Mais en quoi cela cesserait-il d’en faire un « porte parole des déshérités » ? Il va falloir raison garder et démêler tout ça.
Reprenons : « [...] c’est avant tout à la hausse du prix du pétrole que Hugo Chavez doit sa survie politique » [souligné par nous].
Comprenons que Chavez « survit » (avec tout de même 58% des voix et près de 2 millions de votes supplémentaires ...). Et que sans la hausse du prix du pétrole, il n’aurait pas survécu. Cela mérite explication...
La voici : « Sans elle, il n’aurait jamais trouvé le milliard de dollars qu’il a dépensé ces derniers mois pour des programmes sociaux dont on ne saurait nier le caractère électoraliste. »
Bien informé, l’éditorialiste anonyme du Monde a certainement lu, mais dans les pages « Economie », les articles consacrés à la hausse du pétrole. Il sait donc que la stabilisation du prix du pétrole puis la première vague de hausses sont dues notamment au rôle que le gouvernement d’Hugo Chavez a joué dans la relance de l’OPEP. Il sait aussi que les bénéfices que le gouvernement redistribue ont été réalisés en dépit du lockout imposé par la grève patronale de l’an dernier. Il sait enfin que ces bénéfices pourraient enrichir les riches et que c’est donc un choix politique de les consacrer à des « programmes sociaux »....
Mais l’éditorialiste du Monde préfère ici ignorer tout cela : il « sait » désormais que Hugo Chavez (tout seul ?) a dépensé des milliards de dollars « pour des programmes sociaux dont on ne saurait nier le caractère électoraliste ». Autrement dit, quand le gouvernement [3] est mieux que jamais en mesure d’honorer les engagements qui lui ont valu la confiance du peuple, c’est par... électoralisme. Quand on vous disait qu’il est « populiste »...
Final
Et l’éditorialiste d’achever ainsi son pas de deux :
« Il a deux ans pour montrer son sens des responsabilités , cesser de gérer son pays de manière aussi brouillonne et, surtout, respecter strictement la légalité et les droits de l’homme. Mais cela suppose, en retour, que l’opposition accepte sans réserve le verdict des urnes et se montre, elle aussi, responsable , en laissant Hugo Chavez aller jusqu’au bout de son mandat.. »
Ce vibrant appel (où résonnent de vagues allusions et procès d’intention [4]) étant à peu près vide, il ne dit rien d’autre que ... l’importance que Le Monde s’accorde.
Rappel
Que retenir de tout cela ? D’abord que Le Monde a parfaitement le droit d’écrire n’importe quoi. Il a même le droit de prescrire ce qu’il veut à la terre entière : qui songerait à empêcher le parti du Monde d’être de parti pris ?
Remarquons cependant que le parti du Monde fonctionnne et s’exprime curieusement. Il a pour porte-parole un éditorialiste anonyme qui engage la totalité de la rédaction : non pas, on s’en doute, en application du « centralisme démocratique », mais en vertu d’une variété plutôt opaque de centralisme autocratique. Mais passons...
Le parti du Monde diffuse-t-il, au moins, un journal qui informe ses lecteurs ? Problème sur lequel nous reviendrons longuement puisque sur les quelques 500 articles de toutes tailles que Le Monde a consacrés, plus ou moins directement, au Venezuela depuis 1999, aucun ne détaille la constitution bolivarienne, aucun ne détaille les décrets-lois adoptés en 2001, aucun ne détaille les « missions » impulsées par le gouvernement. Même pour les évaluer. A peine quelques paragraphes de ci delà, enchâssés dans des « analyses » et des « commentaires ». Pourtant, pour Le Monde, aucun doute n’est permis : le gouvernement d’Hugo Chavez est un « national-populisme tropical »....
Et de tous les médias, Le Monde n’est pas le pire... Mais c’est une référence.
Henri Maler