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« Unes » trash et bâclées pour concurrence effrénée

par Blaise Magnin,

Alors que la presse quotidienne voit son lectorat décliner inexorablement, la presse hebdomadaire parvient tant bien que mal à maintenir ses ventes [1]. Mais à quel prix… Les trois principaux titres, L’Express, Le Nouvel Observateur et Le Point se livrent ainsi en « Une » à une surenchère permanente et à un racolage on ne peut plus actif pour damer le pion du « buzz » et de la polémique aux concurrents. Comme nous l’avions montré ici-même, l’islam et les musulmans fournissent une matière inépuisable pour des couv’ à sensation. Et puisque les frasques sexuelles des célébrités ne sont désormais plus cantonnées à la presse à scandale, les contrecoups de l’affaire DSK n’en finissent pas de « monter en Une » de titres dont les directeurs se défendent pourtant de toute dérive « putassière ». Mais c’est plus largement l’ensemble de l’actualité qui, retraitée dans une logique purement commerciale, est à même de fournir des « Unes » accrocheuses à coups de « révélations », de « scandales », de pseudo « enquêtes » et d’improbables « marronniers »… Passage en revue des dix dernières semaines.

1. Affaire DSK suite : le voyeurisme littéraire

Pour « annoncer la couleur » dès le début de l’année, L’Express avait consacré son premier numéro de 2013 à une énième resucée de l’affaire DSK. Autant exploiter jusqu’au bout un filon si fertile…

C’est cependant Le Nouvel Observateur qui relance réellement l’affaire en choisissant de publier, sous couvert de littérature, les bonnes feuilles du livre désormais célèbre de Marcela Iacub portant sur la relation qu’elle a entretenue avec DSK, et surtout de porter en « Une » l’annonce d’un récit « explosif »…

Le probablement modeste surcroît de ventes enregistré ayant ravi la hiérarchie, l’Obs récidivait 15 jours plus tard en prétextant un exercice de réflexivité et de déontologie journalistiques – malgré un encart… judiciaire couvrant la moitié de la couverture !

L’Express, qui avait si bien commencé l’année ne pouvait rester passif plus longtemps. La même semaine, Christophe Barbier qui avait pourtant écrit et expliqué que jamais L’Express n’aurait publié les bonnes feuilles, et encore moins fait sa « Une » sur le livre de Marcela Iacub, opta donc pour cette couverture qui ajoute au suivisme et au voyeurisme, le sexisme et la confusion… Il s’en expliquera devant sa rédaction qui avait protesté officiellement en arguant sans doute, comme lors d’une précédente polémique autour d’une « Une » évoquant « les vrais coûts de l’immigration », du fait que le « buzz négatif » est… du « buzz » quand même ! Voilà qui promet pour les années à venir.

2. Scandales et révélations

Dans cette fuite en avant commerciale, la mise en forme de l’information est primordiale et une « Une » ne se conçoit pas sans la promesse de « révélations » ou de « scandales ». Quelles que soient la teneur des informations divulguées et la qualité des enquêtes ayant permis de les obtenir, la similarité du procédé est frappante qui consiste à titrer sur une phrase « choc » prétendant révéler une quelconque « vérité » cachée… Et ce, quel que soit le sujet : l’argent public, la fiscalité, les élites politico-économiques, l’armée, l’industrie agro-alimentaire ou la santé publique.

3. Des êtres d’exception

Le travers historiographique qui consiste à réduire l’histoire à la vie des « grands hommes » a un équivalent journalistique : celui de rabattre l’actualité sur les faits et gestes de ses vedettes du moment. Si cette personnalisation de l’information (en particulier politique) l’appauvrit considérablement et focalise l’attention médiatique sur quelques grandes figures institutionnelles, elle se prête particulièrement bien à l’élaboration de « Unes ».

Avec François Hollande, d’abord, qui réussit le tour de force d’apparaître en quelques semaines comme celui dont dépendrait tout à la fois le devenir des retraites, de la fiscalité, du mariage gay, ou de la guerre contre « l’islamisme ».

Dans un style un rien laudateur et hagiographique, comme avec Le Point, ou plus sobre, avec L’Express qui promet en passant de dévoiler quelques « secrets », ce sont encore les états d’âme d’un seul qui sont présentés comme faisant « l’évènement ».

Et comme L’Express tient à faire une place à « la culture » dans sa ligne éditoriale, la sortie du « livre-confession » de Johnny est l’occasion rêvée d’en faire la promotion et de consacrer à « l’icône » une couverture que ses millions de fans ne pourront ignorer…

4. Marronniers variés

Lorsque les sujets « dignes » de figurer en « Une » viennent à manquer, heureusement la presse magazine dispose de sujets récurrents qui permettent de « dépanner ». En un peu plus de deux mois, ont déjà été passés en revue l’immobilier, une variante du palmarès des grandes écoles, ou des meilleurs lycées, et deux versions de la même « question de société » : les octogénaires qui ont l’air « jeunes » et les enfants qui tyrannisent les adultes.

5. Hors catégorie

Pour finir, la palme de la « “Une” identitaire » est attribuée au Point, qui ne craint pas l’anachronisme en titrant sur le caractère « querelleur et vantard » d’un peuple de l’antiquité, ou en prétendant faire le point sur les dettes que nous aurions à l’égard de « nos ancêtres les Gaulois ». Une couv’ qui prend tout son sens lorsqu’on se remémore celle que Le Point consacrait en novembre dernier à « Cet islam sans gêne »…

 
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Notes

[1Selon l’OJD, la « diffusion payée » de la presse « news » est en légère baisse depuis 2008, tout en se maintenant à des niveaux nettement supérieurs à la période 2001-2004.

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