Accueil > Critiques > (...) > « Déontologie ? » Pratiques et transgressions

Un reportage offert par une élue de l’UMP à un journaliste reconnaissant

par Henri Maler,

« Pourquoi s’encombrer d’une coûteuse agence de communication aux résultats improbables lorsque l’on peut s’offrir, et pour beaucoup moins cher, les services d’un journaliste local ? », se demande le SNJ-CGT dans un communiqué publié le 8 décembre 2009 [1].

Et de poursuivre :

« C’est la très discrète députée européenne UMP Catherine Soullie, remplaçante de Brice Hortefeux (qui aura préféré la place Beauvau à Bruxelles), qui vient d’opter pour cette solution imparable. Seul hic, cette dernière est également tête de liste dans le Loiret pour les régionales.

Un journaliste de la République du Centre, quotidien en position de monopole à Orléans, va donc partir tous frais payés à Copenhague, suivre les travaux de la conférence sur le climat. Sans que cela ne pose le moindre problème "déontologique" à la direction du journal. Madame la députée (interrogée par Libération) y voit un exercice "pédagogique" de couverture d’un événement, mais refuse de donner l’origine des fonds qui ont servi à payer les services du journaliste.

Les journalistes locaux quant à eux s’offusquent qu’un tel marché ait pu être conclu, quelles que soient les difficultés financières du journal.

Le SNJ-CGT dénonce ces collusions entre politiques et professionnels de l’information et appelle les journalistes à faire respecter leur indépendance rédactionnelle. Il y va de la crédibilité de notre profession, il y va du respect que nous devons à nos lecteurs. »

Libération, dans son édition du 8 décembre 2009, publie un article de Mourad Guichard intitulé « Dans le Loiret, une candidate aux régionales s’offre un « reportage » clé en mains » dans lequel on peut lire ces intéressantes précisions :

« Elle s’offre un super coup de pub en pleine page. Quelles que soient les difficultés financières du journal, c’est juste navrant qu’un tel marché ait pu être conclu », regrette un confrère de la République du Centre, le journal local orléanais qui a accepté l’offre. La collaboratrice de la députée reconnaît aisément les faits, mais parle d’un exercice de pédagogie : « Il s’agit de raconter ce qui va se passer à Copenhague, pas de verser dans l’autopromotion ». Quand on lui demande qui paye quoi, la réponse se fait plus évasive : « Ce ne sont pas des fonds européens, c’est tout ce que je peux vous dire… ».

François Bonneau, l’adversaire socialiste de Catherine Soullie aux régionales, goûte moyennement ces pratiques : « Instaurer un rapport marchand qui ne crée pas les conditions d’un exercice indépendant du métier de journaliste est une manœuvre condamnable ».

De son côté, le journaliste concerné, qui partira à Copenhague tous frais payés, s’accommode plutôt bien de cette alliance contre-nature : « Je ne vois pas où est le problème ! », clame-t-il, agacé. […] Contactée par Libération, la direction du quotidien régional n’a pas souhaité répondre. »

Coïncidence ? Le même jour, le site de La République du Centre présentait ainsi un article publié dans l’édition papier : « Mal identifiée, notre région Centre ne se reconnaît pas non plus dans son président, un inconnu pour la plupart des électeurs. Paradoxe, ce ne sera pas forcément un handicap en mars où les critères nationaux seront déterminants. » Le titre de cette « brève », sans rapport avec son contenu ressemble à celui d’un tract rédigé par une députée de l’UMP : « François Bonneau lanterne rose des présidents de région »

La République du Centre, Grand Prix du pluralisme, de l’indépendance et de la déontologie.

Henri Maler


Précisions (10 décembre 2009)

Le 9 décembre, le rédacteur en chef du quotidien régional Denis Léger a publié une tribune dans l’édition d’Orléans, sur laquelle « Arrêt sur images » a attiré notre attention. Selon le rédacteur en chef, qui règle ses compte avec Libération, rien n’avait encore été conclu : « Contacté par @si, Denis Léger assure que la proposition de la députée n’avait pas encore été acceptée, le journaliste ayant simplement "mis une option" sur une nuit dans un centre d’hébergement en attendant la réponse de sa direction. » qui aurait finalement décliné l’offre.

@si précise également : « De son côté, l’assistante de Soullie à Bruxelles estime que la polémique n’a pas lieu d’être. "J’aurais pu comprendre si on s’était fait attaquer après". "Il ne s’agissait pas de payer un billet d’avion mais d’aider un journal qui a des difficultés financières". "C’est une pratique très courante, que nous faisons en toute transparence". » Mourad Guichard, auteur de l’article de Libé, commente sur le blog de LibéOrléans : « Une œuvre de charité en somme. »

C’est très exactement cette « pratique très courante » - celle des « voyages tous frais payés » - dont la transparence est occasionnelle, qui est en question.

Tout est bien qui finit bien ? Selon @si : « La direction (…) a décidé que le journal allait financer lui-même le déplacement et l’hébergement de son journaliste qui suivrait non seulement la députée européenne (…) mais aussi d’autres élus du Loiret PS et UMP. »

 Lire aussi le « billet » de Mourad Guichard

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1« République du Centre, une leçon de déontologie ? »

A la une