Schneidermann soupçonneux.
Ainsi Daniel Schneidermann - sous le titre « Roissy : les petits rien de TF1 » - s’interroge fort justement, dans sa chronique parue dans Libération du 28 mai 2004, sur les modalités de l’interview par PPDA de Paul Andreu, l’architecte de l’aéroport de Roissy, le lendemain de l’effondrement du terminal de cet aéroport. Extraits :
« L’interview est en si forte rupture avec la mécanique rituelle qu’elle rappelle soudain, les soirs précédents, un certain zèle de TF1 à couvrir l’effondrement du terminal. [...] Au point que l’on finit par se demander : et s’il y avait autre chose derrière ce zèle investigateur inhabituel ? L’on est alors obligé de se souvenir que TF1 est la filiale d’une entreprise de travaux publics qui s’appelle Bouygues. Et que Bouygues et Aéroports de Paris se disputent à l’international le marché, relativement récent, de la gestion privée des aéroports. [...]
Bouygues et ADP : ces deux-là se connaissent, se pratiquent, se surveillent. Aux quatre coins du monde, ils savent qu’ils vont se retrouver et se combattre. Rien à dire. Ce sont les affaires. Sauf que Bouygues dispose d’un avantage sur ADP : elle possède une chaîne de télévision, elle. Et elle s’en sert. Certes pas ostensiblement. Certes avec discrétion et compassion. Certes à coups de petits riens : un temps d’antenne insensiblement plus long, l’invitation en plateau d’un architecte bouleversé. Peut-être a-t-on rêvé, d’ailleurs. [...] Dans le doute, guère d’autre solution que de continuer à être attentif à ces petits riens. »
Et encore, Daniel Schneidermann ne pouvait pas tenir compte de la délectation avec laquelle Claire Chazal, quelques jours plus tard, mettait en cause, sur la foi d’un rapport anonyme, l’éventuelle compromission du délicat architecte dans une sombre affaire de marché truqué en Chine ...
Philippe Meyer, audacieux.
Puis vint le tour de Philippe Meyer, dont l’audace n’est pas, nous semble-t-il, la qualité première. Lors de « son » émission - « L’esprit public » - sur France Culture le 30 mai 2004, on l’entendit après la séquence des « coups de cœurs » de ses chroniqueurs, conclure par cette impertinence :
« De mon côté, juste deux choses. L’une... Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel veille avec vigilance à la qualité et à l’intégrité de nos propos. Il fait bien. A ce titre il nous a demandé de mettre Jean-Louis Bourlanges [Député européen UDF et candidat [1] aux élections du 13 juin] en congé pour plusieurs semaines, le temps des élections, ce qui était parfaitement justifié. Peut-être pourrait-il aussi, s’il a le temps, regarder la télévision, regarder TF1 - pas Jean-Louis Bourlanges mais le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel -, et se demander s’il est bien normal que TF1, qui appartient à une entreprise de bâtiment et de travaux publics, dise autant de bien de l’entreprise de bâtiment et de travaux public à laquelle elle appartient, notamment dans un sujet récent à propos d’un hôpital construit en Afghanistan, et autant de mal d’une société concurrente, notamment dans plusieurs sujets récents à propos du très fâcheux effondrement d’une aile d’un bâtiment de l’aéroport de Roissy [...] »
Donc...
Encore un effort et nos deux chroniqueurs soutiendront Acrimed et l’Observatoire Français des médias [2] pour exiger que les entreprises bénéficiant de commandes publiques ne puissent pas contrôler directement ou indirectement les principaux médias d’information. Peut-être iront-ils jusqu’à mettre en question une législation qui permet à des marchands de béton et de canons de s’approprier la plupart des médias français. Et il se pourrait même qu’ils remettent en cause, au risque de paraître insensés, l’appropriation privée de TF1, si l’appropriation démocratique des médias l’exige...