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Sondomanie estivale : Le Parisien et l’institut CSA apprécient une année de sarkozysme.

par Jean Pérès,

« 55 mesures passées au crible. Sarkozy au banc d’essai ». Le 11 juillet 2008, sous ce titre menaçant, Le Parisien-Aujourd’hui en France publie les résultats d’un sondage de l’institut CSA (100 % Bolloré depuis le 10 juillet 2008) sur l’opinion des « Français » au sujet de la première année du quinquennat. La publication de cette enquête et la présentation de ses résultats par le quotidien du groupe Amaury mettent en évidence les distorsions introduites par les médias eux-mêmes, en plus des biais propres aux sondages [1]. Les choix opérés dans les résultats de l’ensemble de l’enquête comme les commentaires qui les accompagnent redoublent les effets d’orientation et de cadrage des questions : pas vraiment en défaveur du président...

Sur les six pages que Le Parisien consacre au bilan de la première année du quinquennat de Nicolas Sarkozy, le sondage occupe relativement peu d’espace, un peu moins d’une page pour les tableaux des résultats et les commentaires. Mais il est central par les informations qu’il est supposé apporter : rien moins que « Le jugement des Français  », comme l’indique le titre des tableaux de résultats.

Quatre questions rythment l’enquête. Les réponses à la première d’entre elles, sur le bilan général de son action, sont, semble-t-il, accablantes pour le président. Mais le commentaire de ces réponses, et surtout les autres questions et le traitement des résultats sondagiers vont tendre à atténuer la fâcheuse impression que donnent les réponses à la question d’ensemble, voire à en renverser le sens.

Une première question [2]

« Quand vous pensez à l’action de Nicolas Sarkozy, estimez-vous que son bilan un an après son arrivée à l’Elysée est très positif, assez positif, assez négatif ou très négatif ?

- Positif : 38 %
- Très positif : 5 %
- Assez positif : 33 %
- Négatif : 57 %
- Assez négatif : 34 %
- Très négatif : 23 % »

Ce premier résultat est peu flatteur pour le président. L’article de commentaires, rédigé par un journaliste du Parisien, relève seulement que « Les plus critiques sont les jeunes ( 67 % des 18/24 ans) et les catégories populaires ; 71 % des ouvriers se disent ainsi insatisfaits ». Ces données ne figurent pas dans le tableau publié par Le Parisien et que nous avons reproduit ci-dessus ; le rédacteur les a trouvées sur le relevé complet du sondage, beaucoup plus détaillé, que l’on peut consulter sur le site de l’Institut CSA (lien périmé, octobre 2013). Que ce journaliste mentionne ces chiffres sur les ouvriers et les jeunes, il n’y rien à redire. Mais, dans le grand nombre de données détaillées qui figurent dans la version intégrale du sondage (30 pages), d’autres auraient peut-être pu figurer dans le commentaire. Par exemple, le fait que la seule tranche d’âge où le bilan présidentiel est jugé majoritairement positif est celle des 75 ans et plus (58 %) ; ou bien que 29 % des sympathisants du Front National et du MNR trouvent ce bilan “ très positif ” et seulement 11 % de ceux de l’UMP.

Si la publication de l’ensemble du sondage est peu envisageable sur la surface et dans l’optique d’un quotidien, le journal pourrait en donner l’adresse Internet et inviter ses lecteurs à s’y référer pour compléter leur information. Une information tronquée par des choix éditoriaux comme on va le voir avec la deuxième question.

Deuxième question

« Pour chacun des dossiers suivants traités depuis le début du mandat de Nicolas Sarkozy, estimez-vous que c’est plutôt une bonne chose ou plutôt une mauvaise chose…

 ? + -
La mise en place du service minimum dans les transports 67 % 26 %
Le Grenelle de l’environnement 63 % 22 %
La politique de l’immigration 47 % 43 %
La réforme des 35 heures 47 % 44 %
La réforme des retraites 38 % 53 %
La suppression progressive de la carte scolaire 34 % 48 %
La mise en place des franchises médicales 28 % 65 %

Pour les sept dossiers présentés, un certain équilibre semble s’établir entre ceux qui pensent que l’action du pouvoir en place est une « bonne chose » et ceux qui pensent que c’est une « mauvaise chose »  ; une symétrie soulignée formellement par le surlignage des deux chiffres extrêmes, quasi équivalents. Cependant, ceux qui pensent que l’action de Nicolas Sarkozy sur ces dossiers est « plutôt une bonne chose » ont un certain avantage puisque pour les deux premiers dossiers le pourcentage d’avis favorables dépasse les 60 % contre un seul des dossiers adverses. De plus, les avis favorables au président sont majoritaires pour 4 dossiers sur 7.

Se joue ainsi une remarquable progression des avis favorables au bilan du président Sarkozy de la première à la deuxième question du sondage. A l’issue de la première, en effet, le rapport s’établissait à 57 % d’avis négatifs pour 38 % de positifs. Il s’agit désormais, avec les résultats de la deuxième question, d’une égalité, avec même un léger avantage pour le président.
en réalité, ce n’est pas sur sept dossiers que les sondés ont été interrogés, mais sur neuf. Le Parisien n’a pas publié les résultats de deux dossiers (disponible sur le site de l’institut CSA). Voici le complément du tableau :

 ? + -
Le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite 36 % 57 %
Les réformes fiscales comme le bouclier fiscal 31 % 50 %

L’avantage, du moins si l’on s’en remet au sondage, change ainsi de camp : sur les deux dossiers non publiés, le bilan présidentiel recueille en effet une majorité absolue d’avis défavorables, ce qui porte leur nombre à 3 contre 2 favorables, tandis que le nombre total de dossiers majoritairement rejetés est porté à 5 contre 4 approuvés.

Peut-être Le Parisien avait-il une ou plusieurs raisons de ne pas publier une partie que l’on peut considérer comme importante du sondage qu’il avait commandé ; mais alors, n’aurait-il pas dû s’en expliquer devant ses lecteurs ? A défaut, on est conduit à constater que, profitant de leur ignorance, le journal a publié, parmi les réponses, celles qui écornent le moins l’image du président de la République. Une image que le glissement du fond vers la forme peut même améliorer. Tel est l’enjeu de la troisième question.

Troisième question

« Plus précisément, qu’attendez-vous de la suite du mandat de Nicolas Sarkozy ?
Pour les réformes, il faut…
- …qu’il accélère le rythme 25 %
- …qu’il conserve le rythme actuel 33 %
- …qu’il ralentisse le rythme 33 % »

Cette fois, c’est la question elle-même qui mérite d’être interrogée. Telle qu’elle est formulée, elle aurait dû n’être posée qu’à ceux qui ont une estimation positive du bilan sarkozien. Comment se prononcer clairement, en effet, sur le rythme de réformes que l’on rejette ?

Mais c’est surtout en déplaçant le questionnement du fond vers la forme (la méthode, le rythme) que le sondage et son commentaire permet ou tenter de redresser l’image présidentielle.

L’enjeu de ce déplacement est mis en évidence par l’article introductif du Parisien . Après avoir constaté le désaveu sondagier de la politique de Sarkozy, le journaliste s’interroge : « Est-ce pour autant l’échec de la méthode Sarkozy ? ». Et répond benoîtement : « Pas forcément, à lire notre enquête. 58% des sondés souhaitent en effet le maintien, voire l’accélération du rythme des réformes. »

Des sondés qui souhaiteraient voir s’accélérer des réformes qu’ils contesteraient ? La cohérence du discours des sondeurs et des journalistes qui « analysent » les sondages n’est pas flagrante. A des mesures contestables de l’opinion, ils prétendent donner un sens qui ne reflète, finalement, que leurs préoccupations de professionnels du commentaire médiatique. Des préoccupations politiciennes et psychologisantes que confirme la quatrième question.

Quatrième question

« Lorsque vous pensez à l’avenir, pensez-vous que…
- Le président Sarkozy sait où il va, il a une vision de ce qu’il veut avoir réalisé à la fin de son mandat : 58 %
- Le président Sarkozy ne sait pas précisément où il va, il n’a pas une vision précise de ce qu’il veut avoir réalisé en 2012 : 37 %
 »

C’est encore l’interrogation elle-même qui peut ici surprendre, car elle porte moins sur le thème du sondage que sur la personnalité du président. Plus exactement, elle tend à dissoudre la question de l’orientation politique dans une enquête de personnalité, au point que le bilan des réformes s’achève en bilan psychologique. Or ce sont d’ailleurs les réponses à cette quatrième question, plutôt favorables à Nicolas Sarkozy, qui ont été mises en relief par les commentaires du Parisien.

Dès la « une », le journal en proclame le résultat : « BILAN. A quelques heures du 14 Juillet, notre journal fait le point sur les mesures annoncées depuis un an. Avec un sondage à la clé. Résultat : un bilan globalement négatif mais un bon point pour le président : il sait où il va ». Une phrase non dénuée d’un certain humour...

Et c’est encore avec ce résultat que commence l’article de commentaire de l’enquête : « Pour une large majorité des Français, Nicolas Sarkozy sait où il veut aller, il a une vision de l’action qu’il souhaite réaliser au cours de son quinquennat. Mais … ». Une présentation qui modifie significativement l’enjeu du sondage et ses résultats.

Décidément.... La science des sondages est d’une insoupçonnée puissance. Les commentaires journalistiques qui accompagnent les enquêtes sont aussi d’une redoutable finesse. Dans le cas d’espèce, nous avons compris, au fil des questions et des commentaires, que l’apparent désaveu sondagier du bilan du président Sarkozy par 57 % des « Français » n’était qu’une illusion d’optique. Qu’en fait, les Français souhaitent que le président continue à réformer selon un rythme à accélérer et à réformer dans le même sens, puisqu’il « sait où il va .  »

Jean Pérès

 
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Notes

[1Pour un aperçu de ces biais, voir, par exemple, notre rubrique « Politiques de la dépolitisation (1) : sondages et suspenses ».

[2Les tableaux de résultats reproduisent ceux du Parisien.

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