Accueil > Critiques > (...) > L’école, les enseignants

Salaires des profs : le grand n’importe quoi médiatique

par Frédéric Lemaire,

Le 10 septembre 2019, l’OCDE publiait l’édition 2019 de son rapport « Regards sur l’éducation » qui se veut « la publication de référence sur l’état de l’éducation dans le monde ». Une publication qui n’est pas passée inaperçue. Certains commentateurs, Les Échos en tête, n’ont pas manqué de s’en emparer pour claironner que la moyenne des salaires des enseignants serait plus élevée en France qu’ailleurs. D’autres médias annonçaient pourtant, sur la base du même rapport, que les profs étaient sous-payés par rapport à la moyenne de l’OCDE. Qui croire ? Retour sur un cas exemplaire de bidonnage médiatique.

Le lendemain de la publication du rapport de l’OCDE, dans la matinale de LCI, « l’expert » François-Xavier Pietri jubile :

Aïe aïe aïe, je ne vais pas me faire des amis ce matin… Ca fait des années que les profs réclament des hausses de salaires, on les entend dans les manifs, on les voit un peu partout réclamer… L’argument, c’est qu’ils sont moins payés que leurs camarades de l’OCDE. Quand Jean-Michel Blanquer a annoncé une hausse de 300 euros par an, on a dit que c’était une aumône. Eh bien en fait ce n’est pas tout à fait vrai, et c’est justement l’OCDE qui le dit.

Une introduction qui annonce la couleur : les profs se plaignent de leur salaire trop faible et se moquent des annonces a minima de Jean-Michel Blanquer ? Ils ont tort, et c’est l’OCDE qui le dit ! Mais qui dit quoi exactement ? Le « spécialiste » de LCI développe :

On va prendre le salaire d’un prof des lycées : selon les calculs des experts de l’OCDE, le salaire mensuel est de 3850€ contre une moyenne de 3457€, en fait ils gagnent 393€, près de 400€ de plus par mois, c’est quand même énorme.

Le tout accompagné d’un bandeau sans détour :



Ces chiffres lunaires ont fait s’étrangler de nombreux spectateurs, à commencer par les enseignants concernés. En témoignent les réactions sous le tweet de LCI où certains commentaires, statistiques ou fiches de paie à l’appui, font état de salaires bien moindres :



Un journaliste du JT de TF1 balaie même la stupéfaction d’une professeure agrégée dont le salaire, élevé pour la profession, n’atteint pas le niveau de cette « moyenne » :



Alors, d’où sort le chiffre de François-Xavier Pietri ? Une rapide recherche suffit pour comprendre la grossière bourde à l’origine de ces chiffres. La moyenne de salaire annoncée sur LCI constitue une simple division par 12 de la moyenne annuelle indiquée par ailleurs dans un article des Echos. Problème : ce chiffre est faux, et témoigne d’une méconnaissance des principes élémentaires des comparaisons internationales.

Le quotidien d’information économique s’est en effet contenté de prendre le montant annuel de salaire indiqué dans le rapport de l’OCDE en dollars et en parité de pouvoir d’achat (PPA), puis de le convertir en euros. Or ce calcul ne prend pas en compte le coefficient de parité de pouvoir d’achat (qui vise à établir une comparaison entre les pays malgré la différence du niveau des prix). Résultat : le montant de salaire annuel donné par les Echos est surestimé de 18%. Par ailleurs, à aucun moment il n’est mentionné qu’il s’agit du salaire brut, également supérieur de 26% environ au salaire net [1].

Ainsi à une erreur grossière s’ajoute une imprécision de taille. Paresse, incompétence ou mauvaise foi ? Quoi qu’il en soit, le chiffre annoncé par LCI est 48% supérieur au salaire net. En lieu et place du chiffre délirant de 3850€ mensuel, on trouve ainsi un salaire net mensuel moyen, primes comprises, de 2600€ environ pour les enseignants de lycée (selon les chiffres de l’OCDE [2]). Que le montant avancé n’ait pas fait réagir les journalistes de la rédaction de la matinale de LCI en dit long sur leur méconnaissance de la réalité économique et sociale des professeurs en France, dont ils prétendent pourtant rendre compte. A noter que la même erreur a aussi été reproduite par le JDD dans un article martelant que « non, les enseignants français ne sont pas bien moins bien payés que dans la moyenne des pays de l’OCDE ».

Si les moyennes évoquées en euros sont fausses, quid de la comparaison avec la moyenne de l’OCDE ? Pourquoi la dépêche AFP, largement reprise par exemple par Le Point ou L’Express, annonce-t-elle que les salaires des profs français sont « sous la moyenne des pays de l’OCDE » ? En réalité, comme l’indique le rapport de l’OCDE, deux comparaisons sont établies en parité de pouvoir d’achat : une première en termes de salaire statutaire, pour laquelle la France est en-dessous de la moyenne des pays comparés ; et une seconde en termes de « salaire effectif », comprenant différentes primes, pour laquelle la France figure cette fois au-dessus de la moyenne.

C’est cela qui permet à François-Xavier Pietri de conclure avec gourmandise que « contrairement aux idées reçues, les profs français sont mieux payés que leurs petits camarades des 36 pays les plus riches » (on compte actuellement en réalité 35 pays dans l’OCDE dont la France). Il suffit juste de bien choisir sa comparaison. Et à cet égard, qu’on prenne le salaire statutaire ou le salaire effectif, on peut s’interroger sur la pertinence d’une comparaison par rapport à une moyenne globale « OCDE » qui agglomère des situations nationales bien différentes en matière de système éducatif [3].

Pour s’en tenir à des comparaisons plus simples (et plus pertinentes), les commentateurs auraient ainsi été bien inspirés de constater que le salaire moyen effectif des enseignants calculé par l’OCDE pour la France (51007 dollars PPA) est certes supérieur à celui du Royaume-Uni, de l’Italie, du Portugal ou de la Suède, mais inférieur (parfois de loin) à celui d’autres pays voisins, notamment l’Allemagne (80483 dollars PPA), l’Autriche (74920 dollars PPA), les Pays-Bas (68771 dollars PPA), le Danemark (65272 dollars PPA), la Belgique, la Finlande (57779 dollars PPA), l’Islande (56234 dollars PPA) et la Norvège (53120 dollars PPA) ; les chiffres n’étant pas disponibles pour l’Espagne, la Suisse, le Luxembourg, et l’Irlande…

Les commentateurs auraient par ailleurs pu se saisir, dans la publication de l’OCDE, d’autres statistiques rendant compte de la faiblesse relative du salaire des enseignants, comme le rapport entre le salaire effectif moyen des enseignants et les revenus moyens d’autres salariés français présentant un niveau de formation similaire : il varie de 78% pour les enseignants du primaire à 85% pour les enseignants de collège et 95% pour ceux du lycée. Les enseignants sont donc, à formation comparable, moins bien payés en France selon l’OCDE. Autre aspect, souligné par la dépêche AFP : entre 2000 et 2018 le salaire des enseignants qualifiés a augmenté dans la moitié des pays de l’OCDE... mais pas en France où les salaires ont diminué de 6%.

Mais de ces données, bizarrement, ni François-Xavier Pietri, ni Dominique Seux ne font mention… Comme l’avait déjà montré l’épisode de la grève du bac (dont les copies et les notes auraient été « retenues en otage »), les enseignants et leurs mobilisations constituent, pour certains éditocrates, des cibles de premier choix.


Frédéric Lemaire


Post-scriptum : pour finir sur une note humoristique, nous reproduisons le « reportage » du compte twitter des belles tapisseries autogérées.




 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1Voir l’article paru sur le site Les Crises : « Salaire des profs : incompétence et manipulations sur LCI (et ailleurs) ».

[2A noter que les enseignants contractuels – qui sont les plus mal payés – ne sont pas pris en compte dans ces chiffres, comme le rapporte Checknews.

[3Comme le note l’article du blog Les Crises. La comparaison des salaires effectifs porte sur 28 pays : Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Chili, Danemark, Estonie, Etats-Unis, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Islande, Israël, Italie, Lettonie, Lituanie, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République slovaque, République Tchèque, Royaume-Uni, Slovénie, Suède, Turquie.

A la une

France Inter, Sciences Po et la Palestine : « nuance » ou calomnie ? (3/3)

Comment France Inter défigure un mouvement étudiant.