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Régionales 2004 : Les Dernières Nouvelles d’Alsace en flagrant délit de sondage

par ColMar, Stanislas,

Les Dernières Nouvelles d’Alsace ayant commandé un sondage à l’institut Iserco - Institut Strasbourgeois d’Etudes et de Recherches Commerciales [1]…-, en ont fait profiter leurs lecteurs en trois livraisons. Du grand art : comment rentabiliser et instrumentaliser un sondage, en trois leçons.

Première leçon : l’art des précautions préventives

Lundi 16 février. Première mention de cette considérable enquête. Dans une brève publiée dans les « Chuchotements » de pages politiques du cahier « Région », Claude Keiflin et Nathalie Chifflet - sous le titre « Sondage aux intention surprenantes » nous « chuchotent » ces confidences :

« Le sondage réalisé par l’ISERCO pour les DNA, que nous publierons demain et mercredi, comportait une question subsidiaire sur les intentions de vote, mais uniquement par tendance politique (sans indication de tête de liste). Additionnées, l’UMP et l’UDF font 41 % (29 pour l’UDF, 12 pour l’UMP). Les choses auraient sans doute été différentes si on avait dit aux sondés que la liste UMP est conduite par le « centriste » Zeller. La liste PS/Verts obtient 15 %, le FN 18 %, Alsace d’abord 7 %. Le plus étonnant, c’est les 14 % attribués à l’extrême gauche, LO/LCR. Autrement dit, des chiffres à manier avec la plus extrême prudence, sachant le nombre de fois où les sondeurs se sont « plantés » avec des intentions de vote à un mois et demi du scrutin.  ».

Curieux « chuchotement » : les DNA commentent un sondage… la veille de sa publication. Curieuse précaution : la question des intentions de vote, d’ordinaire point central de ce genre d’exercice, est prudemment considérée comme « subsidiaire ».

Première raison de ces préventions : l’UMP (dirigée par Zeller, le Président de Région) est créditée de 12% seulement et serait dépassée par l’UDF. Claude Keiflin et Nathalie Chifflet, n’en reviennent pas, au point de suggérer, après coup, une autre façon de poser la question : « Les choses auraient sans doute été différentes si on avait dit aux sondés que la liste UMP est conduite par le « centriste » Zeller. ». Louable suspicion, mais peut-on imaginer meilleure preuve que les réponses des sondés sont orientées par la question ? Opportune suspicion : avec une autre question les choses reviendraient dans l’ordre, et les DNA n’auraient pas à dissimuler sous des précautions de méthode le soutien qu’elles accordent à Zeller, le Président de la région.

Deuxième raison de la publication et des commentaires préventifs des résultats du sondage : « Le plus étonnant, c’est les 14 % attribués à l’extrême gauche, LO/LCR.  ». Etonnant, en effet, et inquiétant, , du moins pour les DNA. Au point qu’il ne reste plus qu’à mettre en doute, pour une fois et à cette occasion, la fiabilité des sondages.

Deuxième leçon : l’art de l’effacement des contradictions

Mardi 17 février. Le sondage annoncé est arrivé, et fait la Une du quotidien : « Sondage ISERCO - DNA : la décentralisation appréciée ».

Le papier correspondant, signé Claude Keiflin, se retrouve en page « Région », sous le titre « Décentralisation : vivement la deuxième vague ». Tout, ou presque, est déjà dit : apparemment, les Alsaciens plébiscitent la décentralisation, et les DNA semblent s’en réjouir.

Le modèle fédéral allemand, tout proche, a tout l’air d’inspirer lecteurs et journalistes du quotidien de la rue de la Nuée Bleue : « Les collectivités locales, qui ont vu leurs pouvoirs renforcés [...] et obtenu un certain nombre de compétences nouvelles, surtout de gestion, dans les domaines des bâtiments scolaires, du social, de la formation et du ferroviaire, se tirent plutôt bien de l’épreuve. » En filigrane, les « Länder » allemands, compétents depuis toujours en matière d’éducation par exemple….

On examine alors tout cela de manière détaillée (suivant le sexe, l’opinion politique déclarée, etc.) et tout le reste du papier est apparemment destiné à enfoncer le clou : la décentralisation, c’est bien ! La preuve : « Les personnes interrogées qui disent voter pour l’UMP-UDF ou pour le parti socialiste sont unanimes (99 et 100 %) à considérer que la réforme de Gaston Defferre a été positive pour la Région Alsace et les deux Départements. Manifestement, ces constats positifs les prédisposent favorablement pour la nouvelle vague de transferts de compétences. »

Seulement voilà, si l’on suit le sondage - mais on n’est pas obligé de le suivre… - une réponse semble contredire le bel optimisme sondomniaque : « Pour une très forte majorité (63 %), le rapprochement des pouvoirs de décisions du citoyen n’a pas changé grand chose dans l’efficacité de la gestion. »

Il faut avoir lu l’article en détail pour relever ce passage ; celui qui se contente des titres n’aura rien vu ... Mettre en titre ce qui arrange, voilà un secret du sondage bien exploité.

Quant au « chuchotement » du premier jour, il s’est transformé en silence [2].

Troisième leçon : l’art de la suspicion sélective

Mercredi 18 février. Après la décentralisation, les enjeux politiques. Un titre : « Pas de « nationalisation » des élections en Alsace » que confirme le « chapô » : « Les électeurs alsaciens voteront prioritairement en fonction de critères régionaux. Ils n’ont pas l’intention de « nationaliser » le scrutin, selon le sondage Iserco réalisé pour les DNA. ».

Et le papier qui suit nous explique, diagrammes à l’appui, que les sondés disent vouloir se déterminer surtout en fonction du programme des candidats, du bilan des sortants, de la situation économique de la région, etc.

Pas de doute : les motifs invoqués part les sondés correspondraient à leurs motivations effectives. Ils savent ce qu’ils disent, disent ce qu’ils font et font ce qu’ils disent.

Pourtant une place est réservée au doute sélectif, ressort inusable du sondage bien tempéré. Claude Keiflin signale que « le nombre de personnes interrogées qui disent avoir l’intention d’aller voter les 21 et 28 mars, aux régionales et/ou aux cantonales paraît énorme [61 % déclarent vouloir voter aux deux scrutins]. Surtout si on se réfère aux élections de 1998 où 54,24 % seulement des électeurs s’étaient rendus aux urnes en Alsace (contre 58 % en moyenne nationale). » En quoi cette réponse serait-elle moins fiable que les autres ? Mystère ...

Quant aux « intentions explosives » annoncées le lundi, elles sont devenues pour les DNA, ce que le journal souhaitaient qu’elles fussent : un pétard mouillé par deux grands bols d’eau tiède.

Colmar et Stanislas

Lire notre rubrique : Sondologie et sondomanie

 
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Notes

[1ISERCO CONSULTANTS , stratégie et politique d’entreprise marketing et commercial, 4 rue Silbermann BP 1367060 STRASBOURG CEDEX iserco@libertysurf.fr Pas de site Internet.

[2Un détail : le « chuchotement » est paru dans les « Dernières Nouvelles du Lundi » qui sont les DNA de ce jour, avec un contenu et une présentation différents des autres jours, en particulier deux gros cahiers de résultats sportifs, un cahier international-national, un cahier régional- local. L’abonnement aux DNA de la semaine ne comporte pas, sauf demande supplémentaire, le journal du lundi.

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