Dans Le Monde : Cluzel victime des syndicats
Dans un entretien avec Martine Delahaye paru dans Le Monde daté du 13 avril 2005, Jean-Paul Cluzel se défausse et « contre-attaque ». La grève ? Une manoeuvre syndicale, décrète Cluzel : « Je connais la situation des bas salaires. Leur évolution fait partie de mes chantiers sociaux prioritaires. J’avais donc fixé au jeudi 31 mars le début des négociations sur ces bas salaires et sur un nouveau système de rémunération, avec les syndicats. Qui, pour ne pas entrer en négociation, ont déposé un préavis de grève. »
Et ça continue.
- « Vous reprochez donc aux organisations syndicales de ne pas accepter le principe de négociations. Pourquoi les refuseraient-elles ? », demande la journaliste.
- Réponse de Cluzel « D’abord, en proposant une mesure spécifique pour les bas salaires et un nouvel instrument salarial, je coupe l’herbe sous le pied des syndicats : ce n’est pas eux qui auront obtenu cela, mais moi qui l’aurai proposé. Ensuite, je souhaite une discussion annuelle d’augmentation salariale propre à Radio France. Alors que les syndicats ne veulent qu’une seule chose, par pure idéologie : rester strictement dans le système commun de la convention collective applicable à tout l’audiovisuel public (France Télévisions, Radio France, RFI, etc.). Enfin, cette négociation annuelle pour tous les personnels amènera certains syndicats à ne pas signer, ce qui sera difficile à expliquer. Jusqu’ici, en arrachant une prime pour telle ou telle catégorie, chaque syndicat servait une population donnée, chacun ayant sa sphère de clientélisme. Or discuter d’une augmentation générale ne sert pas le clientélisme. C’est pour ça qu’ils font grève. [...] »
Les syndicats objectent que le NIS remettrait en cause la convention collective applicable à tout l’audiovisuel public ? « Pure idéologie », répond l’adepte du Medef. Les syndicats essaient de défendre les salariés : « Clientélisme », répond le client du CSA.
Et d’avouer ce que redoutent les salariés : « Loin de tendre à détruire ou à privatiser le service public dans le domaine de la culture et de la communication, elle vise à ce que chaque société de l’audiovisuel soit gérée en fonction d’une mission et d’une stratégie propres. A chaque entreprise, donc, de négocier des augmentations avec ses salariés, à l’intérieur de son budget propre. Rien que de normal ! ». Qu’importe à Cluzel si ces négociations, entreprise par entreprise, remettent en cause, sans contrepartie, la convention collective. C’est « normal », et même « moderne », et même « révolutionnaire » : « Je veux un système dans lequel on discute de l’évolution globale des salaires, d’un côté pour les journalistes, de l’autre pour les autres personnels. C’est tout de même plus moderne. Mais je pense que ça a paru tellement "révolutionnaire" que les syndicats ont pris peur. ».
Cela méritait bien, pour finir, un nouvel accès de morgue, en forme d’exclamation. La voici : « J’ai peut-être eu le tort de faire moi-même des propositions correctes, avant qu’on ne me les arrache ! » A noter que Le Monde fait la part balle à cette déclaration puisque le quotidien du soir en fait le titre de l’entretien.
Face à Libération : Cluzel victime du journalisme
Sous le titre « Radio France : Cluzel rêve de grandeur, la grève s’enlise », paru dans Libération du mardi 12 avril 2005, Annick Peigné-Giuly dépeint un Jean-Paul Cluzel plus préoccupé de « ses projets pharaoniques » de transformation des bâtiments de la Maison de la Radio que de négocier avec les grévistes. Venu avec son équipe (comme ses prédécesseurs), Cluzel aurait créé la situation suivante : « Aujourd’hui encore, ils sont une dizaine de cadres de l’équipe Cavada pris dans une situation abracadabrante et que la direction des ressources humaines laisse s’éterniser. Au risque de perdre des millions d’euros, en personnels non utilisés, en indemnités aux courbes exponentielles. ».
Des témoignages accablent le mode de direction et de gestion. Un syndicaliste déclare notamment à propos du chantier : « Il se prend pour Louis XIV, Cluzel ! ». A quoi, selon la journaliste, Cluzel rétorque : « Non, je ne suis pas un monarque absolu, rétorque Cluzel, même si je le regrette parfois. Simplement, il serait stupide de ne pas profiter de ce chantier pour améliorer les structures de la Maison de la radio. Et en faire le lieu idéal d’une radio du XXIe siècle. Les travaux, qui vont s’échelonner sur six ans, ne coûteront pas plus cher. »
Et Annick Peigné-Giuly de commenter : « En attendant la loi de finances 2006, qui doit statuer sur la somme allouée à Radio France, 11 millions d’euros supplémentaires sont déjà consacrés chaque année au chantier de la Maison ronde. Une coïncidence, c’est exactement la somme qui permettrait de satisfaire la revendication des grévistes... »
Cet article - on le comprend ... - n’a pas eu l’heur de plaire au Président. Dans une lettre que des syndicats ont rendu publique en la diffusant aux grévistes et qui est rédigée sur un papier à l’en-tête de Radio France (ce n’est donc pas un courrier strictement privé), Jean-Paul Cluzel s’adresse « personnellement » à son « cher Serge » [July], pour se plaindre de l’article rédigé par Annick Peigné-Giuly (et lui annoncer que les services juridiques de Radio France s’adresseront à ceux de Libération pour « l’indispensable droit de réponse »).
- Jean-Paul Cluzel : « L’article est un tissu de mensonges, de ragots et d’attaques personnelles. »
- Jean-Paul Cluzel, encore : « Je tiens à te dire que n’attendant aucune excuse de cette journaliste, [...] j’ai donné l’ordre aux services de Radio France de ne plus l’inviter à aucune manifestation que ce soit à Radio France [...] »
- Jean-Paul Cluzel enfin, à propos de Libération : « J’aime plus que jamais ses journalistes et Florence et Hussein dont Mme Annick Peigné-Giuly n’est pas à mon sens digne d’être collègue. »
Evidemment, le signataire conclut ce courrier tapé à la machine de quelques mots écrits de sa main pour assurer « cher Serge » de sa « fidèle amitié ».
Sans commentaires...
La grève continue...
Une négociation d’un protocole de fin de grève en présence de nombreux salariés venus soutenir leurs syndicats et écouter leur direction s’est déroulée jusqu’à 3H40 du matin (dans la nuit du jeudi 14 avril au vendredi 15). En vain.
La grève a été reconduite. En effet, la direction liait toujours pas ses propositions à la négociation du NIS (nouvel instrument salarial) et ne concédait que 100 points d’augmentation pour les PTA (laissant de côté d’autre catégories comme les attachées de production) et pour 50 personnes une prime « one shot » (on est moderne à la DRH de Radio France !) de 200 euros bruts. Pourtant, l’intersyndicale, mandatée par l’AG de la veille avait consenti à baisser la demande initiale de 310 points à 185 points.
Le ton, la forme et le fond ont été ressentis par les personnels comme une provocation et l’expression d’un profond mépris, notamment à l’égard des ouvriers que la direction a essayé d’opposer aux syndicats et aux autres "catégories de personnels". de manière grossière et populiste. La réponse à cette grossière démagogie fut cinglante et digne : A 14 h30, vendredi 15, la direction a été huée par les personnels. Une délégation s’est rendue devant le bureau du Président Cluzel. Là, ils ont été finalement reçus pour s’entendre relire ... le protocole refusé quelques heures avant. Jean-Paul Cluzel a réitéré ses provocations en tentant de nier ce qu’il avait déclaré quelques jours plus tôt chez Fogiel, alors que les personnels avaient entendu ses déclarations (diffusées dans l’AG du lundi 11 avril : « J’essaie de faire ici ce qu’ont fait Cyril Spinetta à Air France, Louis Gallois à la SNCF et Bailly à la poste »... « Le blocage des antennes est archaïque, est-ce que je vois ça à TF1 ?... C’est une plaie du service public. Au moment où on enterre le pape, on en pense ce que l’on veut, vous pensez que le fait de bloquer l’antenne aide le Service public ? »
Devant tant de mépris, d’arrogance et de mensonges, la grève a été revoté illico jusqu’à lundi minuit.
Jeudi 14 avril à 13h, des musiciens de l’Orchestre National et du Philharmonique ont donné un concert exceptionnel pour les salariés en grève de Radio France. L’un des musiciens a assumé la direction de cet orchestre improvisé par deux formations de Radio France qui ne se rencontrent guère en temps normal. Ce fut un grand moment d’émotion et de démonstration de ce qu’est un service public : l’excellence pour le plus grand nombre, la création, la solidarité et la foi en la culture. Ce soutien des musiciens qui ne sont pas grévistes, car non concernés par le préavis de grève, a montré la conscience claire de tous les personnels de Radio France que leur sort est lié, ainsi que leur attachement aux valeurs du Service Public. Lundi dernier, c’étaient les choeurs de Radio France qui avaient chanté l’hymne à la joie devant les fenêtres du ministère de la culture et de la communication en signe de solidarité.
Entre temps, des journalistes des rédactions de France Culture et France Info, des chargés de réalisation, des producteurs de France Culture, notamment, sont entrés dans le mouvement.
La direction qui se dit attachée à un dialogue social « moderne » multiplie les « maladresses » (comme on dit, quand on veut faire preuve de beaucoup de tact...) qui mettent chaque jour d’avantage d’huile sur le feu. Parmi ces « maladresses », l’exposition des maquettes de la future Maison de Radio France dont aucune n’indique les lieux où se fera l’activité de radio ! On ne voit que salles de restaurants panoramiques, boutiques et salles de spectacles ! La radio du XXIème siècle se fera-t-elle en sous sol, loin des regards et avec si peu de moyens et d’ambition qu’il n’est pas nécessaire de faire figurer les lieux de sa production ? De quoi inquiéter davantage les salariés qui voient dans cette maquette une preuve supplémentaire des risques d’externalisation d’une grande partie de leur activité et de baisse de la qualité de leur production.
Un référé a été lancé contre la direction de Radio France qui a ouvert un « numéro vert » pour les salariés désireux de savoir combien il gagneraient si le NIS était négocié. Ces simulations prouvent que, contrairement au code du travail qui prévoit que les organisations syndicales et les instances soient informées et aient conclu un accord, la direction a déjà défini, décidé son NIS. C’est sans doute là la version « moderne » de concevoir le dialogue social et de « dépoussiérer » le code du travail !
Quant au refus du NIS, il est motivé - répétons le - par la certitude que la création d’un nouveau système propre à Radio France est une manière de détruire la pertinence de la convention de l’audiovisuel public, alors que jusqu’alors les augmentations sont possibles dans chaque société tout en restant dans le cadre de la convention collective. Personne à Radio France n’a oublié les "réformes" de JP Cluzel lorsqu’il était PDG de RFI. Il a fondu certains métiers comme Chargé de réalisation et Technicien, modifiant ainsi la définition des métiers.
Les personnels ont donc décidé d’interpeller leurs collègues et les syndicats de France télévision et de retourner lundi devant leur tutelle.
A suivre...
Vincent Mutin