En l’absence d’Alain Bédouet, l’émission, intitulée « Quand l’information s’emballe » est présentée par Denis Astagneau et Serge Martin [2]. Avec quatre invités et deux journalistes en studio, il restera, comme souvent, moins de cinq minutes pour laisser s’exprimer une poignée d’auditeurs (voir le post scriptum). La “libre antenne” va être vampirisée par le discours des “spécialistes”. Voyons ce qu’ils ont à nous dire.
Les médias sur la sellette ?
Dès le départ, le terme « d’emballement » choisi pour le titre n’est pas de bon augure. S’agit-il de décrire ou d’expliquer ? Le risque est grand de voir l’emballement expliqué par l’emballement : un processus qui emporte ses acteurs malgré eux.
Surtout, si l’on commence par exonérer les médias des premiers faux pas, comme semble le faire Denis Astagneau sous couvert de présenter une chronologie : 1. « Samedi dernier », la « dépêche de l’AFP [...] tombée sur les ordinateurs de tous les médias français » ; 2. le « communiqué de Dominique de Villepin » ; 3. le communiqué « de l’Elysée ».
Puis vient « l’emballement » - « Et à partir de là, tout le monde emboîte le pas de l’indignation » - qui s’effectue sans que la contribution spécifique des journalistes soit mise en évidence. On le pressent : ils ne seraient que les victimes d’un piège qu’ils n’auraient pas contribué à tendre. [3]
C’est ce que tend encore à confirmer Serge Martin quand, prenant la suite de Denis Astagneau, il souligne que l’on assiste alors - et alors seulement - à « une cascade de réactions ».
Englobant l’ensemble des médias dans un seul et même sac, Serge Martin se borne à affirmer que « l’affaire fait la Une des journaux qui prennent ainsi le relais des radios et des télévisions » [4]. Puis, le lundi soir, « le doute commence à s’installer ». C’est alors que « des responsables de la police expriment leur scepticisme. » Une telle présentation atténue encore un peu plus le rôle des médias, puisqu’elle suggère qu’avant le lundi les policiers n’avaient pas de doutes : comment dans ce cas, « les médias » auraient-ils pu en rendre compte plus tôt !
Ces esquives en cascade se poursuivent quand Serge Martin entreprend de répartir les responsabilités : « Les médias sont mis en cause, la gauche accuse le Chef de l’Etat d’avoir parlé trop rapidement. » Mais si « le Président de la République, parle d’un “incident regrettable” », précise l’animateur, « lui ne regrette pas de s’être précipité pour dénoncer une agression qu’on croyait alors de nature antisémite. » [c’est nous qui soulignons]. Faut-il comprendre que les médias, eux, regrettent ? Question pour l’instant sans réponse, car Denis Atagneau a déjà « complété », la présentation : « Ce soir nous allons nous interroger avec nos invités sur cet emballement, voire : certains d’entre vous parlent même de dérapage. » et suggéré d’ores et déjà d’autres pistes : « Est-ce les médias qui sont en cause, est-ce les politiques, est-ce la police, est-ce la jeune femme elle-même ? »
Et comme pour achever de nous convaincre que la cause est entendue avant même que l’émission proprement dite ne commence, le « hasard » s’en mêle... et ce « hasard » fait bien les choses [5] : le premier auditeur commence par souligner qu’« il est assez intéressant que France Inter fasse une émission suite à cet événement qui s’est passé il y a deux jours... il est des fois arrivé des informations qui étaient complètement fausses, qui sont parues dans la presse, et personne n’a fait de mea culpa dessus... »
Denis Astagneau ne cache pas sa satisfaction : « Bien, ben euh... En tous cas, merci de ce... de ce... de ce début de satisfecit (...) ».
Vient alors le moment de donner la parole aux « invités ».
Parmi eux, au téléphone, André Bercoff, directeur de la rédaction de « France-Soir ». Et en studio, le journaliste Ivan Levaï et Jean-René Doco, secrétaire national du syndicat national des officiers de police, ainsi que Daniel Schneidermann, présenté comme « spécialiste » des médias et auteur du « Cauchemar médiatique ».
Est-ce la faute de l’AFP ?
Avant de donner la parole à André Bercoff, Denis Astagneau lui rappelle que l’emballement a été gé-né-ral : « Vous faites partie de la presse écrite, évidemment, vous êtes un peu moins rapide que la radio, on va pas dire le contraire [ton amusé], mais vous avez participé à l’emballage... »
Les choses étant bien cadrées, le directeur de la rédaction de France Soir a la permission d’entrer en scène :
« En deux mots, il ne faut pas oublier quelque chose, vous l’avez très bien rappelé dans votre historique de cette affaire, c’est que ça a commencé par une dépêche AFP, et cette dépêche AFP, il faut le dire, on l’a tous lue, était au présent de l’indicatif. Il n’y avait même pas un conditionnel ! Il n’y avait même pas “selon les déclarations de la jeune femme”, etc. C’était “six maghrébins armés de couteaux ONT...” Tout était au présent, c’est-à-dire que déjà il y avait une espèce d’affirmation totale de l’AFP.. »
Il rappelle, lui aussi, que c’est alors seulement que « tout le monde s’est emballé sans prendre le temps de vérifier, et sans prendre le temps de vérifier si véritablement il y avait d’autres témoins que cette personne, que la protagoniste de l’affaire... » [6]
Pourtant, Bercoff reconnaît lui-même que « l’AFP n’est pas la Bible, il s’agit pas de la suivre comme ça ». Pourquoi, dans ce cas, la plupart des médias ont-ils malgré tout épousé sans aucun recul la version de l’AFP ? A ce stade, la question reste entière.
Et si c’était la faute de la police ?
Denis Astagneau décide alors d’explorer une autre piste, en introduisant son deuxième invité : « Alors Jean-René Doco, vous êtes secrétaire national du syndicat national des officiers de police, comment est-ce que cette information est arrivée jusqu’à l’Agence France Presse ? »
Le policier commence à raconter le déroulement de l’enquête. Mais il est vite interrompu par Denis Astagneau, qui s’intéresse avant tout à un point très précis : « A partir de quel moment est-ce que la police s’est rendue compte qu’il y avait quelque chose qui clochait ? »
Jean-René Doco tente de reprendre le fil : « Alors là... on peut y revenir, justement... ». Mais il est aussitôt coupé par Astagneau qui conclut déjà « c’est difficile, hein... »
Mais M. Doco ne se laisse pas impressionner. « Non, non », réplique-t-il tranquillement avant d’expliquer que si en effet, « le travail des policiers est de recouper les renseignements, de chercher des témoins », il faut leur en laisser le temps. Car, en l’occurrence, la victime présumée - ayant laissé ses propres coordonnées mais dormi chez son compagnon - a été difficile à joindre, les vérifications auprès de la SNCF difficiles à faire pendant le Week-end...
La faute des services de police ne saute pas aux yeux... alors on change d’invité.
La « sagesse » d’Yvan Levaï
Cela tombe bien : Yvan Levai semble disposé à convenir de la responsabilité des médias :
« Puisqu’un peu de temps est passé, il serait sage... aujourd’hui de... de s’excuser. Ça se faisait autrefois... quand on faisait une erreur dans un journal, on faisait un encadré, on présentait ses excuses au lecteur (...) ».
Yvan Levaï est donc disposé à faire preuve de « sagesse »... mais à condition que tout le monde s’excuse : « Et je crois que non seulement les journalistes doivent s’excuser, mais les politiques devraient s’excuser eux aussi, parce que les deux classes, puisqu’il est convenu de parler de “classe politique” et de “classe médiatique”, dans cette affaire, les deux classes ont failli, et ont failli pour la même raison, qui était évoquée par l’auditeur tout à l’heure : vitesse, précipitation, pas de recul. »
Mais d’excuses, il n’y en aura pas vraiment car Yvan Levaï lui-même est déjà passé à un problème plus grave. « On peut se demander, nous dit-il, pourquoi les filtres de l’information, qui vont jusqu’au pouvoir exécutif, ont si mal fonctionné... ça, c’est une question qui est posée à l’ensemble de nos concitoyens et pas seulement aux journalistes. ». Réponse d’Yvan Levaï : si « on y [a] tous cru », c’est « sur la foi d’une dépêche d’agence, pas au conditionnel... [...] vérifiée ! Et, pardon de dire ça : moi, je crois à l’AFP ! Quand je lis une dépêche d’agence, je fais confiance à l’AFP ! »
Denis Astagneau opine aussitôt d’un ton résigné. « On est bien obligés... ».
« De la même manière, poursuit Yvan Levai, je fais confiance au Ministre de l’Intérieur, et je fais confiance au Président de la République parce que je me dis : “Ils ont des sources et des canaux d’information que je n’ai pas”. Voilà. »
« On fait confiance et on est bien obligés » confessent en substance les deux journalistes. Voilà qui mériterait sans doute quelques explications et éclaircissements...
« Il serait sage de s’excuser », « on pourrait se poser des questions »... mais on s’emploie surtout à transformer toutes les maigres explications en illusoires justifications.
Un grand vent d’autocritique ?
Daniel Schneidermann ne semble pourtant pas satisfait par ces justifications résignées. Il commence donc par rapporter les fautes qu’il constatait régulièrement dans les dépêches AFP lorsqu’il les relisait pour le Monde [7]. Puis il se fend d’une longue tirade.
« Ça veut dire quoi ? Ca veut dire que le travail d’un journaliste dans une rédaction, n’importe laquelle, à n’importe quelle place, ça devrait toujours être de tout vérifier [...] de vérifier évidemment ce que disent les confrères, parce que les confrères, ils sont comme vous : ils se trompent, ils sont comme nous, ils sont comme tout le monde ... ça devrait être de vérifier ... ce que disent les officiels, le Ministre de l’Intérieur, le Président de la République.
J’entends aujourd’hui les journalistes qui disent : “Ah oui, mais à partir du moment où le Ministre de l’Intérieur a fait un communiqué et où le Président de la République a fait un communiqué, on ne pouvait pas supposer qu’ils ne savaient pas.” Eh ben, si ! Il faut toujours supposer que tout le monde ne sait pas. Il faut toujours le supposer, et... parfois il arrive que le Ministre de l’Intérieur parle en connaissance de cause - heureusement pour la République - il arrive que le Président de la République parle en connaissance de cause, mais pas forcément ! Et notre boulot à nous, ça doit être de nous dire en permanence : “Bon, ils ont dit ça, c’est la parole du Ministre de l’Intérieur, c’est la parole du Président de la République, c’est important, c’est pas rien, mais au fond, qu’est-ce qu’ils savent ?”
Et au fond, ce samedi soir-là, même après le communiqué du Ministre de l’Intérieur, même après le communiqué du Président de la République, au fond, quelles sources on avait ? On avait encore que la source de la victime elle-même, ou la pseudo-victime, qui racontait une agression, et on n’avait aucune autre source, puisqu’on n’avait retrouvé - et pour cause - aucun témoin de l’agression dans le wagon, on n’avait aucune autre source, on n’en avait qu’une, aucun élément matériel : la prudence s’imposait. »
Il fallait le dire : c’est dit. Retenons notre souffle : l’émission va peut-être aborder les véritables questions. Par exemple, celle-ci : pourquoi les journalistes n’ont-ils pas pu ou voulu faire leur travail et s’imposer la prudence ?
Leçon élémentaire de journalisme ...
Après un deuxième appel d’auditeur et une intervention d’André Bercoff, Yvan Levai se lance, sans doute encouragé par le vent d’autocritique qui souffle sur le studio...
« Au fond, le nombre de journalistes qui ont écrit des choses sur ce qui se passait dans le RER et la lâcheté supposée des passagers, et le nombre d’hommes politiques qui en ont parlé aussi, moi j’ai envie de poser la question : est-ce que tous ceux qui ont écrit peuvent dire en se regardant dans la glace : “Je sais ce qui se passe dans le RER et les trains de banlieue parce que je les utilise” ? Voilà. Je voudrais quand même que quand on parle de quelqu’un dans un journal [...] je voudrais qu’on respecte un tout petit peu plus la personne. Et ça on ne peut le faire que si on a dans les médias une attitude plus responsable vis-à-vis de la manière dont on parle des gens... [...] les “gens d’en bas” mériteraient de la part des médias une attitude de respect que, après tout, nous accordons... hein... plutôt bien aux gens d’en haut... »
Et Daniel Schneidermann de surenchérir en soulignant que les journalistes ont « des devoirs que les autres citoyens n’ont pas ».
Cette fois, ça y est. On va s’expliquer vraiment ! Mais non, car Denis Astagneau ne l’entend pas de cette oreille. « Quand ça s’appuie en plus sur un terreau... où y’a déjà l’action d’une institution, évidemment les médias ont tendance à embrayer davantage... », lance-t-il à Daniel Schneidermann qui heureusement, entend cet appel à la raison : « Voilà. Parce que [...] qu’est-ce qui se passe dans cette affaire ? Il se passe qu’à tous les niveaux de la chaîne, et là je parle des policiers, je parle des journalistes, je parle des hommes politiques, à tous les niveaux de la chaîne on s’emballe [...] ça vaut pour le gardien de la paix qui recueille le témoignage dans le commissariat [...] ça vaut pour le rubricard de l’AFP qui rédige sa dépêche [...] ça vaut pour le cabinet de... du Ministre de l’Intérieur, ça vaut pour le cabinet du Président de la République (...) ».
L’emballement s’explique... par l’emballement : CQFD.
Et quand Yvan Levai commence à débattre avec Daniel Schneidermann, il est aussitôt interrompu par la phrase fétiche du présentateur qui souhaite réduire arbitrairement un invité au silence - « on a bien compris ce que vous vouliez dire » - sentence doublée ici d’un argument imparable : « N’oublions pas les auditeurs qui ont beaucoup de questions à poser ». Denis Astagneau reprend les choses en main. Il profite même de l’intervention de l’auditrice suivante pour recadrer un peu le débat :
« Bénédicte » explique qu’elle est « un petit peu étonnée », car lorsqu’elle a entendu « dès dimanche matin [...] le récit de cette agression » et que « tout de suite, la journaliste a annoncé les détails [...] ça ne paraissait pas du tout vraisemblable... »
Denis Astagneau réussit une pirouette magistrale. L’auditrice met en cause la vraisemblance des informations que les journalistes ont choisit de rapporter à leur auditeurs ? Il rebondit aussitôt : « Oui, effectivement... euh... Est-ce que... les policiers ont bien fait leur travail de vérification Jean-René Doco, dans cette histoire ? »
Retour à la case départ : le tour de force de l’animateur est époustouflant.
Vous avez demandé la police ? Ne quittez pas...
Jean-René Doco, à nouveau sur la sellette tente donc une fois encore de se défendre :
« S’il y a une responsabilité collective au niveau des politiques, au niveau des associatifs, au niveau des journalistes, en tout état de cause, là dans cette affaire, les services de police n’ont absolument rien à se reprocher [...] La plainte a été enregistrée dans des conditions tout à fait normales [...] Je vous ai expliqué tout à l’heure toutes les difficultés qu’ont eu mes collègues pour recueillir les informations, et c’est la raison pour laquelle je vous dis que dès le départ les policiers ont effectué leur travail [...] Bien évidemment, comme la hiérarchie ne communique pas forcément sur une affaire, les journalistes s’adressent à nous, syndicalistes, mais nous avons quand même une certaine déontologie [...] nous prenons toujours un certain recul avant de s’adresser à la presse ou avant de communiquer quoi que ce soit. »
C’en est trop. Yvan Levaï lui coupe la parole :
« Non mais là on a tous été abusés ... Monsieur, pardonnez-moi, là nous avons tous été abusés, vous l’avez été comme nous (...) », et il enchaîne aussitôt (indiquant ainsi clairement qu’il vient de décréter une vérité qui n’a pas à être discutée...) : « (...) Moi je voudrais dire une chose (...) »
Mais Jean-René Doco s’accroche pour lui reprendre la parole :
- Oui, on a été abusés, M. Levaï...
- On a tort, nous journalistes...
- On a pris du recul... Il faut savoir que les journalistes...
- Oui...
- ...étaient présents ; la presse télé, la presse... la radio, étaient présents, et... ça a gêné beaucoup... et... et sur des... les affaires dont on vient de parler, ça gêne quand même, les investigations, et il faut laisser travailler les policiers en toute sérénité. »
Devant l’insistance du policier, Yvan Levaï commence à concéder : « Et là on a eu tort de pas vous laisser(...) », puis il se reprend aussitôt en rappelant la hiérarchie des responsabilités, « (...) les politiques ont eu tort de pas vous laisser travailler en toute sérénité, les journalistes ont eu tort de pas vous laisser travailler en toute sérénité (...) »
Sur sa lancée, il tente de couper court au débat en proposant une autre piste, susceptible de satisfaire tout le monde « (...) Mais si on a été abusés, c’est parce qu’encore une fois, il y a un climat (...) »
Cette hypothèse remporte un franc succès... Denis Astagneau surenchérit : « Oui, parce que cette agression venait trois jours après le discours de Chambon-sur-Lignon ». Et Jean-René Docco, complète : « Voilà ! [...] imaginez-vous un instant si... parce que le doute, mes collègues l’ont eu assez rapidement quand ils ont eu la bande vidéo, quand ils ont eu quand même quelques éléments, mais imaginez-vous un instant... [...] on ne peut pas mettre en doute la parole d’une victime, elle a un statut de victime... »
Malheureusement, il vient de commettre un faux pas en rappelant que ses collègues ont eu rapidement des doutes. Trop tard, Denis Astagneau revient à la charge : « Juste une précision... attendez... Quand cette jeune femme est venue dans le commissariat, qu’elle a déposé plainte, vous n’aviez pas la possibilité sur l’ordinateur de vérifier qu’elle avait déjà déposé d’autres plaintes avant, etc. ? »
Une nouvelle fois mis en question, Jean René Doco reprend donc son explication. « Si mais ce n’était pas instantané [...] le policier est chargé de tout vérifier et... et c’est pour ça que je vous dis qu’il fallait lui laisser le temps (...) »
C’est alors qu’il a une idée de génie pour se sortir de ce guêpier : flatter les journalistes, en les dédouanant. « (...) Bon, les journalistes ont fait leur boulot, on peut par le leur reprocher (...) »
Le stratagème fonctionne parfaitement. Yvan Levaï, attendri, se laisse amadouer. « Mais c’est nous qui sommes coupables » se met-il à concéder, « coupables de trop utiliser les sources policières [...] les policiers, ils ont une déontologie, mais euh ... j’allais dire, ils sont comme les juges et comme les journalistes, ils ne sont pas infaillibles, et pas totalement purs... »
Une cloche sonne, sonne...
Une belle harmonie s’installe, interrompue par l’intervention d’un autre auditeur. Et c’est le retour remarqué d’André Bercoff :
« Moi je voudrais quand même apporter peut-être une note d’optimisme dans tout ça. Ça va être paradoxal, enfin écoutez... franchement : ça a été dégonflé au bout de trois jours, c’est quand même pas mal, excusez-moi ! Je... ça a duré combien de temps, cette histoire ? Ça a été dégonflé en trois jours, Aberrazak Besseghir, ça a été dégonflé en quinze jours, heureusement [...] Je crois quand même que, sans se féliciter, c’est quand même pas mal qu’en trois jours on ait dégonflé la baudruche. Et alors, qu’on se soit emballés... bien sûr, c’est le temps médiatique, vous l’avez tous dit et on le sait, bien sûr que les gens réagissent très fortement... Eh bien, écoutez, ça s’est dégonflé, est-ce que c’est ça le plus grave ? Le grave, c’est pas ça, le... la gravité, c’est vraiment qu’on puisse imaginer, encore une fois, que cette chose-là puisse arriver. Autrement, franchement, je suis pas mécontent que ça s’est dégonflé... que ça se soit dégonflé »
Une vision plutôt désinvolte de la désinformation, et pour le moins indécente de la part de quelqu’un qui n’a probablement jamais (comme Besseghir) enduré dix jours de prison et de lynchage médiatique...
Quelqu’un va-t-il tout de même s’indigner ? Oui, Daniel Schneidermann :
« Bon, ben ça s’est ... on n’est pas venus pour rien, hein... on a quand même entendu un de nos confrères nous expliquer que c’est très bien, que la presse pouvait raconter n’importe quel bobard, à partir du moment où trois jours plus tard, ça se dégonflait. D’ailleurs... [André Bercoff tente de protester au téléphone, mais le son est manifestement aussitôt étouffé par la régie] André Bercoff est en cela le digne héritier de Pierre Lazareff, qui était le fondateur de France-Soir, et dont une des phrases légendaires était “Une info, plus un démenti, ça fait deux infos” ! [...] Il faut quand même dire sérieusement que ce qui s’est passé est catastrophique pour la crédibilité des médias et des journalistes ! On peut quand même pas ... on peut quand même pas laisser dire : “Youkaïdi ! En trois jours on a dégonflé l’affaire” ! (...) »
Yvan Levai renchérit, en lui coupant la parole :
« Outreau, ça c’est... Outreau ! Je plains... moi je plains les gens qui, à Outreau, qui viennent d’entendre notre camarade, confrère et ami, Bercoff, les gens d’Outreau qui se... “Ben écoutez, tout va bien, ça se dégonfle.” Vous avez vu le temps que ça a pris, eux, pour que ça se dégonfle en prison (...) » et, n’oublions pas : pourquoi ces débordements ? « parce qu’il y a un climat » nous rappelle à nouveau Yvan, qui a manifestement une grande expérience de la météo...
Causes, toujours...
Puis Serge Martin revient sur les causes de l’affaire. Il s’adresse au Patron de France Soir :
« C’est pas la première fois que ce genre d’affaire arrive, ce n’est pas la première fois non plus que des engagements, voire des bonnes résolutions sont prises, et parfois adoptées par la presse [...] Mais, lorsque l’on constate que la concurrence est féroce entre les médias, que la surenchère politique est devenue un phénomène qui ne permette plus, on l’a entendu à l’instant, de pouvoir travailler librement, est-ce vous pensez pas que c’est un petit peu utopiste et que ça se reproduira par la force des choses ? »
André Bercoff signalait en effet un peu plus tôt, comme une fatalité, que « des Marie L., pardon, mais y’en aura encore, hélas, beaucoup, parce que les causes qui créent les Marie L., elles disparaîtront pas demain ». Il développe cette fois un peu plus :
« Je vais vous dire... d’abord je pense que, hélas, ça se reproduira, je le déplore complètement. Je pense qu’il y a un problème de recherche, il y a un problème de vérification, mais il y a un problème, vous l’avez dit très bien, de concurrence, et la chose la plus terrible, c’est effectivement de savoir faire silence devant tel ou tel événement, de tel ou tel fait, si on n’en est pas sûr, et je crois que faire silence est devenu aujourd’hui la vertu la moins partagée. Je pense qu’il faut effectivement faire silence quand on n’est pas sûr de telle ou telle information. Mais alors ça demande vraiment une espèce de vertu que, à ma connaissance, aucun journal, je dis bien aucun journal, n’a aujourd’hui. »
On frôle une ébauche d’explication les effets de la concurrence commerciale. Mais c’est aussitôt pour se réfugier derrière la fatalité. Comme s’il n’existait comme seule alternative que le traitement outrancier ou le silence, la désinformation ou la mort commerciale. Comme c’est commode.
Une dernière intervention d’auditeur (il n’y en aura eu que cinq...) et Denis Astagneau reprend la parole, souhaitant visiblement conclure. Au mépris de ce qui a été dit auparavant, notamment sur les responsabilités des journalistes, il lance :
« Voilà, alors je reprendrai le mot du billettiste du Monde, Eric Fottorino, qui hier écrivait en dernière page qu’“après tout, se tromper, être trompé, ce sont les risques du métier”, et ça peut rejoindre un peu... euh, ce que... ce que disait... Jacques Chirac hier, qui estimait que l’erreur était « regrettable », mais qui regrettait pas d’avoir réagi. »
Manque de chance, il est coupé par Daniel Schneidermann qui prend l’exact contre-pied :
« En conclusion de cette émission, au lieu d’accuser on ne sait quelle fatalité, “on pouvait rien faire”, et la prochaine fois on replongera comme si de rien n’était, y’a des garde-fous, les garde-fous s’appellent le conditionnel, Levaï le disait, les garde-fous s’appellent la vérification, et à partir du moment où y’a qu’une seule source, qui est la victime elle-même, on dit pas : “elle a été agressée”, on dit : “elle affirme avoir été agressée”... c’est deux mots de plus, c’est deux mots de plus... (...) »
L’émission touche cette fois définitivement à sa fin. Denis Astagneau sent qu’il serait temps de faire preuve d’un peu de bonne volonté : « Ben écoutez, maintenant nous... euh... on sera d’autant plus vigilants, et en tous cas cette émission était aussi une sorte... peut-être de... d’excuse envers les auditeurs. Il est vingt heures sur France Inter... »
« Peut-être » une « sorte » d’excuse ? Il n’en est même pas sûr...
Ironie mise à part - car il faut bien en rire, pour ne pas désespérer... - il est navrant de constater qu’en dépit de quelques rares passages légèrement autocritiques, nous en sommes toujours au même point : les journalistes nous expliquent pourquoi ils ont fait une erreur, mais ne se sentent comptables d’aucune réflexion sur la façon dont ils traitent l’information, puisque les responsabilités incombent toujours principalement, de leur point de vue, à des sources extérieures.
Et si le lecteur-auditeur-téléspectateur n’est pas content, il peut toujours en faire part aux standardistes du « Téléphone sonne ». Il n’est pas exclu que ceux-ci (ou celles-ci) leur témoignent plus d’intérêt que certains “spécialistes”...
Arnaud Rindel
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Post Scriptum : « N’oublions pas les auditeurs qui ont beaucoup de questions à poser ».
L’objet du « Téléphone sonne », d’après sa présentation sur le site de France Inter, est de permettre aux auditeurs de « réagir sur un thème de l’actualité » et de « poser [leurs] questions aux invités ».
Denis Astagneau ne manque d’ailleurs pas de rappeler à ses invités - et en particulier lorsqu’il souhaite les interrompre - de « [ne pas oublier] les auditeurs qui ont beaucoup de questions à poser ».
Pourtant, lors de cette émission consacrée à « l’emballement », cinq auditeurs seulement seront pris en ligne. Ils disposeront, en cumulant leurs interventions, de 4’48’’ (soit 288 s) d’antenne sur 38’38’’ (soit 2318 s) d’émission, générique compris, soit 12,4 % du temps total de l’émission.
Trois de ces auditeurs interviendront durant environ 30s. Un quatrième, 1’23’’. La dernière, qui dépassera les 1’30, sera interrompue par l’animateur. Denis Astagneau lui coupera la parole - avec une cuistrerie remarquable - d’un « merci » répété et sans appel.
Il faut dire que non contente de dépasser la minute trente de temps de parole, elle avait en outre commencé son intervention par « déjà je voudrais dire merci à Internet pour me donner de véritables informations »...
Un double enseignement à tirer de tout cela. Pour s’exprimer sur l’antenne de France Inter, il est préférable d’éviter de contrarier la mise en scène des contrôleurs d’antenne et être capable de résumer l’ensemble de sa pensée à moins d’une minute trente de parole (en tenant compte des interruptions inévitables des animateurs).
Et pour parler plus librement dans une émission qui s’enorgueillit de donner la parole aux auditeurs, mieux vaut, manifestement être l’un des “spécialistes” invités...