Entrée en matière : « Un footballeur français dans un club espagnol, entraîné par un brésilien, sponsorisé par un allemand ; une entreprise d’agroalimentaire française elle aussi, soi-disant menacée d’OPA par un américain avec un suisse prêt à jouer les recours ; un réseau terroriste dirigé par un saoudien, qui fait exploser des bombes sur tous les continents et lance ses menaces sur Internet et les télévisions par satellite ». Un bel « inventaire à la Prévert », si Bruno Duvic n’avait découvert un point commun. Lequel ? La mondialisation !
Voici : « Zidane, Danone, Al-Qaïda, tout cela, pour le meilleur et pour le pire, est devenu banal, on ne peut plus quotidien, et c’est justement cela qui est intéressant. Mondialisation, altermondialisation, en ce vendredi où l’actualité fait une pause, les journaux, chacun à sa manière, portent leur regard sur ce très vaste phénomène. » Une prétendue pause favorable à une intense réflexion que Bruno Duvic entend faire partager par les auditeurs, en promettant une présentation équilibrée (« pour le meilleur et pour le pire »). C’est parti ...
... En commençant par l’évocation d’un article du Monde, qui « souligne que la Bourse salue les résultats des grands groupes français », malgré une conjoncture nationale difficile : en effet, beaucoup de ces groupes « font des affaires miraculeuses à l’étranger ». Hosannah : « les [toutes ?] entreprises françaises jouent à fond la carte de la mondialisation ». Certes, Le Monde précise que « dans un système où l’actionnaire est roi, on devine que la priorité est d’arrondir les dividendes plutôt que de stimuler les salaires ou l’emploi », et que « les gros profits ne signifient pas croissance en hausse ou chômage en baisse » ; mais la leçon que Bruno Duvic tire de la citation menace de réduire à néant le petit effort d’équilibre consenti : « On le voit, la mondialisation a ses partisans, qui estiment que l’argent récolté par les entreprises françaises à l’étranger nous rapporte toujours quelque chose ». Dommage de terminer en revenant sur le point de vue des partisans de la mondialisation ...
Mais Bruno Duvic enchaîne aussitôt pour donner la parole, apparemment, à ceux qui sont « persuadés du contraire ». Et de préciser : « Parmi eux, l’association Attac ». Bon, d’accord, va pour Attac. Ses analyses, ses propositions ? ... Perdu... La question est celle-ci : « Quelles sont les méthodes d’Attac pour lutter contre les dérives de la globalisation ? » Il sera donc question non des positions d’Attac, mais de ses méthodes. Et qu’auraient de particulier ces méthodes ? Le Figaro croit le savoir, et Bruno Duvic le rapporte avec une gourmandise que l’emploi du conditionnel vient à peine nuancer : Attac serait en train d’« infiltrer l’École », et nombreux seraient les enseignants membres d’Attac qui relaieraient les propos de l’association dans leurs cours : « les Collèges et les Lycées seraient un terreau très fertile pour faire du prosélytisme. Un professeur d’histoire d’un lycée de Saint-Denis en banlieue parisienne, qui dit en avoir « marre du militantisme à l’école », décrit cette méthode ».
Notons que le conditionnel du début de cette phrase n’a plus son pendant quand on parle de « cette méthode », dont l’existence ne semble plus faire de doute. Et Bruno Duvic de rapporter en détail les propos de cet enseignant - des propos dont ni les lecteurs du Figaro, ni les auditeurs de France Inter ne sont véritablement en mesure de vérifier la validité -, ainsi que ceux d’une collègue « sympathisante socialiste », qui émet elle aussi des réserves.
À l’exposé détaillé des méthodes incriminées (conférences/débats d’apparence anodine censées se transformer régulièrement en réunions de « recrutement », ou cours, paraît-il, truffés de tournures trop ouvertement orientées) ne répond qu’une simple position de principe d’Attac (se défendant de donner toute consigne), et du Ministère (qui dit avoir confiance dans le sens de l’éthique qui est celle de la grande majorité des enseignants). Certes, il est possible que les témoignages des premiers soient plus prolixes que les réactions des seconds (ce qui expliquerait alors pour partie qu’il leur soit accordé plus de place qu’aux objections) ; malgré tout, l’effet est garanti : les « alters » n’ont en fait pas vraiment droit à la parole sur le sujet et ... pas du tout sur les effets de la mondialisation !
Suite de la revue de presse : « Autre visage de la mondialisation, la prolifération nucléaire ». L’évocation d’Hiroshima et des négociations avec l’Iran sur sa production nucléaire s’appuie sur des articles du New Scientist de Londres (repris par Courrier International) et de La Croix, et n’appelle pas de remarque particulière.
Et Bruno Duvic de conclure sur ce point et d’enchaîner ainsi sur la suite : « Décidément, elle ne fait pas rêver, cette mondialisation, et pourtant ça n’est pas une catastrophe, c’est bien une aventure passionnante. » Ouf ! « Il faut réenchanter la mondialisation. » C’est en fait le sociologue Jean Viard qui dit cela dans l’hebdomadaire La Vie. Adoptons la « positive attitude », car, selon Jean Viard cité par Bruno Duvic, la mondialisation c’est le bonheur : « Il faut recharger le futur en désir, ressusciter la notion de progrès. La mondialisation, c’est la réunion des hommes et des civilisations, c’est une source de paix et d’opportunités multiples ». Et on en passe sur d’autres manifestations d’extase que doit par exemple susciter le fait de pouvoir manger chinois à Paris ou que les Chinois nous achètent (parfois) des Airbus ...
L’éloge de la mondialisation a désormais complètement dévoré la promesse (non tenue) d’une présentation équilibrée.
Suit alors une sorte d’intermède : notre journaliste s’attarde sur les intentions, évoquées et critiquées par certains organes de presse, de la SNCF de fermer certaines lignes transversales jugées non rentables. La mondialisation est temporairement laissée de côté ...
Mais elle n’est pas loin ... puisque le moment est enfin venu de parler de Zidane, qui avait servi initialement à justifier l’angle de présentation choisi. Son retour annoncé en équipe de France de football aurait fait de nombreux heureux, y compris (et surtout ?) parmi quelques grandes entreprises, dont les intérêts sont plus ou moins liés à ceux de « Zizou » [1]. Quand finalement on se rappelle que Zidane « est tout de même l’homme qui a marqué deux buts lors de la finale de la Coupe du Monde » on se dit « qu’elle est pas si mal que ça, la mondialisation ! » [2]
A dire vrai, tout conduisait à cette conclusion puisque, à l’exception de l’évocation des effets du nucléaire militaire, rien ne laissait penser le contraire [3].
Stanislas.