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Primaire socialiste : commentaires médiatiques d’après spectacle

par Mathias Reymond, Olivier Poche,

Si la presse écrite a pris le temps d’analyser le fond du débat diffusé sur France 2 (15 septembre 2011) entre les six prétendants socialistes à la candidature présidentielle, les commentateurs audiovisuels, eux, avaient d’autres priorités. Une fois encore, en effet, le jeu politicien a primé sur les enjeux politiques et le spectacle sur le fond.

« Un poil guindé, ennuyeux parfois, voire souvent, sans éclat, les éditorialistes politiques […] disent ne pas avoir été captivés par le premier débat ». C’est France Culture [1] qui l’affirme et la plupart des médias radios et télés qui le confirment : les éditorialistes politiques, suivis et répercutés par les sujets d’information, se sont surtout attachés à évaluer la qualité « spectaculaire » du débat, en lui appliquant les critères « médiatiques » habituels : rythme, ambiance, intensité des échanges, agressivité des candidats… Et, plutôt que le fond, souvent vite expédié, on s’attarde complaisamment sur la forme d’un débat politique appréhendée comme la nouvelle série de la rentrée, ou le dernier jeu télévisé à la mode.

Ainsi Alain Duhamel, sur RTL (16 septembre), commente : « C’était doux, c’était lent, c’était ordonné, ça a été ennuyeux pendant les deux premier tiers. […] Par la force des choses, un débat ça finit par devenir pugnace, simplement il faut attendre les dix dernières minutes. » Même état d’esprit chez Bruce Toussaint, sur Europe 1 (16 septembre), lorsqu’il interroge son chroniqueur Olivier Duhamel : « Qui l’a emporté selon vous ? » Comme s’il s’agissait d’un sprint ! Ce dernier lui décline le futur gouvernement socialiste… avec François Hollande comme président. Sur I-Télé (17 septembre), Maya Lauqué demande la même chose à ses deux polémistes (Éric Zemmour, Nicolas Domenach) : « Alors, qui a gagné ? » « Match nul, la balle au centre », répond Patrick Cohen sur France Inter. « Qui a gagné ? » Pas le journalisme politique en tout cas.

« Le match commence »

Au lendemain du débat, les journaux de la matinale de France Inter sont exemplaires. À l’ouverture du journal de 7 heures : « Pas dynamique mais instructif », résume la journaliste, avant de signaler une « joute sans violence entre Hollande et Aubry » et d’annoncer des « morceaux choisis dans quelques secondes ». Va-t-on nous instruire de l’aspect « instructif » du débat, ou va-t-on gloser sur son dynamisme ? Le suspense, insoutenable, est partiellement levé par le lancement du sujet : « Premier débat, premiers accrochages, enfin surtout pas d’affrontement direct : le cadre est lisse, po-li-cé même [...] Tout est réglé, minuté, sans éclats ». Et c’est bien ce qui les chagrine.

Les « morceaux choisis » (par Ludovic Faux) sont à cet égard révélateurs – le tout en trente secondes :

- « Les candidats aux primaires ont retenu leurs coups hier soir, faisant parfois assaut d’amabilités... » Premier extrait sonore, avec les réponses d’Aubry et de Hollande à la question : « Quel est le candidat idéal ? »

- « ... Résultat : il a fallu attendre près de deux heures pour que le match commence vraiment, et c’est Martine Aubry qui est passée à l’offensive la première... » Et puisqu’elle passe à l’offensive, deuxième extrait. Les deux heures qui précèdent ne contenaient aucun morceau digne d’être choisi.

- « ... au passage, Martine Aubry taille en pièce le contrat de génération, proposition phare de François Hollande, et critique son manque de clarté sur le nucléaire... » Et puisqu’elle poursuit son offensive : troisième extrait.

- « ... François Hollande répond en assumant ses propositions et en affichant son calme... » Quatrième extrait, manifestement indispensable.

- « ... et puis il contre-attaque en demandant à son tour à Martine Aubry de préciser sa pensée, et constate avec plaisir qu’elle ne parle pas de sortir du nucléaire à court terme... » C’est l’acmé du combat des chefs tant attendu par les commentateurs médiatiques, et légitime cinquième extrait, présenté ici dans son intégralité :

- François Hollande : « Nous sommes tous d’accord... »
- Martine Aubry : « Non, nous ne sommes pas d’accord ! »

- « ... Enfin, il suggère que, contrairement à lui, Martine Aubry est candidate par défaut, parce que DSK s’est retrouvé hors jeu ». Cette suggestion à haute valeur informative méritait bien de constituer le sixième et dernier extrait.

Conclusion : « Le duel attendu a donc bien eu lieu, mais sans tourner à la foire d’empoigne, et pour faire bonne figure, les deux favoris se sont fait la bise à la fin de l’émission ». À France Inter, on aurait préféré une belle bagarre…

« Oui ou non ? »

Dans la futilité, c’est l’équipe du « Grand Journal », sur Canal +, qui décroche le pompon. La première image sélectionnée est celle de François Hollande et de Ségolène Royal qui se sont simplement serré la main et non pas… embrassés. Ensuite, la première question que Michel Denisot pose à ses invités du soir (Thomas Legrand, Fabien Namias et Sylvie Pierre-Brossolette) est la suivante : « Le masterchef, hier soir, c’était François Hollande ? » Réponse de Namias : « On n’a pas reconnu le François Hollande auquel on est habitué. Il était méchant, sévère […] Il dominait un peu le débat. » Pour Thomas Legrand [2], c’était « un débat assez digne, un peu rasoir par moment ». S’ensuivent d’interminables discussions sur l’audience, et le seul extrait du débat montré est la passe d’armes entre Aubry et Hollande.

Pressé de passer à la publicité, Denisot interroge tout le monde : « François Hollande peut-il être élu au premier tour ? Oui ou non ? Oui ou non ? » Réponse de Namias : « C’est difficile. » Denisot : « C’est oui ou non. C’est oui ou non ! » Et pour clore cette discussion de haute voltige, Ariane Massenet, dont les questions sont toujours d’une grande pertinence, se lance : « Est-ce que les 4,9 millions qui ont regardé l’émission vont aller dans les bureaux de vote ? » Une question d’autant plus intéressante qu’il est impossible d’y répondre…

***

Quelques quotidiens (Libération, surtout, Le Monde, un peu…) ont pris le temps d’analyser les différences entre les candidats et se sont peu attardés sur le « spectacle » de France 2. Mais pour certains chroniqueurs de la presse écrite et pour nombre de bavards dans les médias audiovisuels, la prestation proprement médiatique des candidats, la qualité « télévisuelle » du débat – estimée en termes d’audience – et le « duel » entre les deux candidats élus par sondages interposés ont éclipsé les deux premières heures de l’émission, écrasé toute considération sur le fond du débat, et éliminé les quatre autres candidats potentiels qui participent à la primaire : une focalisation exclusive et souvent caricaturale sur ce qui passionne avant tout les Master Chefs de la vie politique.

Olivier Poche et Mathias Reymond

 
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Notes

[1Journal de 7 heures, vendredi 16 septembre.

[2Le même Thomas Legrand se félicitait le matin même sur France Inter d’un « débat politique de fond et de haute tenue entre les socialistes », tout en s’inquiétant pour « les taux d’audience de l’émission ». Il faut dire que « le tirage au sort qui définissait l’ordre de passage a mal fait les choses », puisqu’il a placé Jean-Michel Baylet, « le maillon faible de la soirée », en deuxième position : « de quoi plomber l’audimat ».

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