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Présidentielle 2017 : Misère du journalisme de compétition en précampagne

par Henri Maler,

Le moment des « grands » débats entre les candidats homologués est arrivé. Le premier s’est tenu, réservé à cinq d’entre eux, le 20 mars 2017 sur TF1. Pour savoir ce que d’immenses journalistes en ont retenu et avant d’y revenir, un détour par les semaines qui l’ont précédé n’est pas inutile [1]...

La presse imprimée est-elle responsable de la déforestation de l’Amazonie ? On peut en douter. Les médias audiovisuels sont-ils coupables des abus de consommation d’électricité ? Ce n’est pas avéré. Mais ce qui est certain en revanche, c’est que des tonnes de papier et des centaines d’heures d’émissions audiovisuelles ont été (et sont encore) consommées pour évoquer les turpitudes et les misères de François Fillon, les « affaires » qui gangrènent les autres candidatures, les mésaventures et les divisions de la « droite et du centre », mais aussi des « socialistes », des « progressistes » et des « patriotes » (du FN) comme on nomme les uns et les autres.

Chacune de ces « affaires » et de ces mésaventures offre tous les ingrédients d’un feuilleton, avec ses héros et ses traîtres, ses rebondissements et son intrigue à tiroirs. De quoi nourrir abondamment les discussions de bistrots (il faudrait vérifier…) et les papotages dans les studios des chaînes en continu (vérification faite).

Informer et enquêter sur tout cela ? Évidemment ! Mais gloser sans cesse et à tout propos sur les positionnements et les entrechats tactiques, ausculter les entrailles de l’opinion publique à grand renfort de sondages et de micros-trottoirs, abandonner le journalisme de diagnostics pour un journalisme de pronostics ?

Tous les médias ne sont pas logés à la même enseigne. Mais un peu partout les éditocrates en tout genre et les journalistes politiques de toutes catégories, les sondologues, « synergologues » et autres communicants, les permanents interchangeables des micros et des chroniques sont massivement mobilisés pour commenter en flux tendu et à en perdre haleine, pour éditorialiser et spéculer sur claviers, pour anticiper sur le jour ou l’heure d’après. Manquent à l’appel les cartomanciennes et les rédacteurs d’horoscopes, mais leur tour viendra peut-être.

« C’est normal », dira-t-on : « l’actualité dicte sa loi ». Ou, comme le déclarait doctement Jean-Michel Aphatie dans un entretien avec Sonia Devillers, diffusé le 1er septembre 2016 sur France Inter,

« les journalistes ne choisissent pas l’actualité, les journalistes font avec l’actualité. Parfois l’actualité est intelligente, parfois elle est dramatique et parfois elle est bête. Et on fait avec ».

Mais l’actualité n’existe pas indépendamment de ceux qui la construisent. Le comble est donc atteint quand, au nom de cette actualité telle qu’ils la façonnent eux-mêmes, nos « grands » journalistes couinent sur l’effacement, plus ou moins prononcé selon les médias, du débat public sur les projets des candidats en campagne : un débat qui, pour une large part, dépend d’eux, même s’il existe en dehors d’eux.

Aveugles aux résultats de leur propre activité, ils se contemplent, mais ne parviennent pas à se reconnaître. Quand le doigt montre la lune, d’immenses journalistes regardent le doigt !

* * *

Le pire n’étant pas certain, on pouvait se demander si la campagne officielle et les grandes messes télévisuelles qui la ponctuent allaient mettre un terme aux politicailleries des commentateurs professionnels et laisser totalement la place aux débats de fond. Le 20 mars 2017, à l’occasion du débat sur TF1 du moins sur les chaînes d’information en continu, il n’en fut rien [2].

 
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Notes

[1Comme on pourra le lire dans le n°23 (à paraître prochainement) de Médiacritique(s), notre magazine imprimé, intitulé précisément « Misère du journalisme politique », misère à laquelle un dossier est consacré.

[2Comme on essaiera de le montrer dans un prochain article.

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