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« Pourquoi j’ai démissionné du Telegraph », par Peter Oborne

par Peter Oborne,

Nous reproduisons un texte publié le 17 février dernier par Peter Oborne, ex-rédacteur en chef du service politique du journal britannique le Telegraph, sur le site OpenDemocracy [1]. Peter Oborne y explique les raisons de son départ du Telegraph, au premier rang desquelles un sous-traitement de la récente « affaire HSBC » (« SwissLeaks »), révélatrice selon lui d’importants conflits d’intérêts qui mettent en danger le travail des journalistes du quotidien. Un exemple exemplaire des menaces qui pèsent au quotidien sur la liberté de la presse et de l’information, au-delà du cas du seul Telegraph (Acrimed).

Il y a cinq ans, on m’a proposé de devenir rédacteur en chef (rubrique politique) du Telegraph. C’était un poste que j’étais très fier d’accepter. Cela fait longtemps que le Telegraph est le plus important des journaux d’orientation conservatrice en Grande Bretagne, autant admiré pour son intégrité que pour son excellente couverture de l’information. Lorsque j’ai pris mon poste, le Telegraph venait de révéler le scandale des dépenses des députés, le scoop politique le plus important du 21ème siècle [2].

J’avais bien conscience de m’inscrire dans une formidable tradition de commentariat politique. Je passais l’été de mes vacances précédant ma prise de fonction d’éditorialiste à lire les essais du grand Peter Utley, publiés par Charles Moore et Simon Heffer, deux autres maîtres en la matière.

Personne n’a jamais mieux exprimé qu’Utley la respectabilité et le pragmatisme tranquilles du conservatisme britannique. Le Mail est tapageur et populaire, alors que le Times va fièrement dans le sens du vent en tant que voix de la classe officielle. Le Telegraph, lui, s’est toujours inscrit dans une tradition différente. Il est lu par le pays tout entier, pas seulement par la City [3] et Westminster [4]. Il a confiance en ses propres valeurs : il est depuis toujours connu pour la précision de ses reportages. J’imagine que ses lecteurs sont des notaires de campagne, de petits entrepreneurs en difficulté, des secrétaires assistants d’ambassades étrangères surmenés, des instituteurs, des militaires, des agriculteurs – des gens respectables concernés par leur pays.

Mon grand père, le lieutenant-colonel Tom Oborne, était déjà un lecteur du Telegraph. Il était aussi bedeau et joua un rôle dans la « Petersfield Conservative Association » [5]. Il avait un casier spécial sur la table du petit déjeuner et lisait le journal attentivement en mangeant ses œufs au bacon, scrutant les éditos. J’ai souvent pensé à mon grand-père quand j’écrivais mes chroniques dans le Telegraph.


« Vous n’avez aucune putain d’idée de ce dont vous parlez ! »

Les tirages étaient en nette perte de vitesse quand j’ai rejoint le journal en septembre 2010, et je suspecte que cela ait fait paniquer les propriétaires. Les vagues de licenciements commencèrent, et la direction fit clairement comprendre qu’elle croyait que l’avenir de la presse britannique serait numérique. Murdoch MacLennan, le directeur général, m’invita à déjeuner à l’hôtel Goring près de Buckingham Palace, où les dirigeants du Telegraph aiment faire leurs affaires. Je le pressai de ne pas jeter trop vite la version papier du journal aux oubliettes, indiquant qu’il avait encore un tirage très honorable de plus d’un demi-million d’exemplaires. J’ajoutai que nos lecteurs étaient fidèles, que le journal restait très rentable et que les propriétaires n’avaient pas le droit de le détruire.

Les licenciements continuèrent. Peu après je rencontrai M. MacLennan par hasard parmi la foule de gens qui se recueillaient aux obsèques de Magaret Thatcher et une fois encore le pressai de ne pas négliger les lecteurs du Telegraph version papier. Il répondit : « Vous n’avez aucune putain d’idée de ce dont vous parlez ».

La situation du Telegraph n’a cessé de se dégrader. En janvier 2014, c’est le rédacteur en chef, Tony Gallagher, qu’on a viré. Il avait été un excellent rédacteur en chef, très respecté de l’équipe du journal. M. Gallagher fut remplacé par un Américain appelé Jason Seiken, qui occupa un poste appelé « directeur du contenu ». Au cours des 81 années entre 1923 et 2004, le Telegraph eut six rédacteurs en chefs, et autant de personnages imposants : Arthur Watson, Colin Coote, Maurice Green, Bill Deedes, Max Hastings et Charles Moore. Depuis que les frères Barclay ont acheté le journal il y a onze ans, il y en a eu à peu près six de plus, bien qu’il soit difficile d’en être sûr puisque depuis l’arrivée de M. Seiken, le titre de rédacteur en chef a été aboli, puis remplacé par un directeur du contenu (du lundi au vendredi). Il y a eu trois rédacteurs en chef différents (ou directeurs du contenu) pour la seule année 2014.

Au cours des douze derniers mois les problèmes ont très largement empiré. Le service « étranger » - merveilleux sous la houlette de David Munk et David Wastell – a été décimé. Comme tous les journalistes le savent, aucun journal ne peut fonctionner sans rédacteur efficace. Or la moitié d’entre eux a été virée, et le rédacteur en chef adjoint, Richard Oliver, est parti.

Les solécismes [6], impensables jusqu’à très récemment, sont maintenant monnaie courante. On a récemment présenté au lecteur un certain Duc de Wessex. Or le Prince Edward porte le titre de comte de Wessex. Il y eut un article en « une » concernant la chasse aux cerfs. L’article concernait en fait la traque des cerfs, activité totalement différente [7]. À l’évidence, la direction n’a que faire de distinctions subtiles comme celles-ci. Mais les lecteurs si, et le Telegraph y était très attentif jusqu’à très récemment.

L’arrivée de M. Seiken a coïncidé avec l’arrivée de la culture du clic. Les histoires ne semblaient plus être jugées selon leur importance, leur précision ou leur intérêt pour ceux qui achètent le journal. La mesure la plus importante semblait être le nombre de visites web. Le 22 septembre, le site du Telegraph publia un article à propos d’une femme à trois seins. Un dirigeant désespéré m’a dit qu’on savait l’histoire fausse avant même de la publier. Aucun doute que ce fut publié pour générer du trafic sur le site, en quoi ce fut peut-être une réussite. Je ne dis pas que le trafic sur le site n’est pas important, mais à long terme, cependant, ce type d’épisodes fait beaucoup de mal à la réputation du journal.


Ouvert aux affaires ? [8]

L’affaissement des normes s’est accompagné d’une évolution plus funeste encore. Il a longtemps été évident dans le journalisme britannique de qualité que la branche publicité et la rédaction devaient être tenues rigoureusement séparées. Il est non moins évident qu’au Telegraph, cette séparation s’est effondrée.

À la fin de l’année dernière, je me suis mis à travailler sur le géant bancaire international HSBC. Des musulmans britanniques connus avaient reçu du jour au lendemain des lettres d’HSBC les informant que leurs comptes avaient été fermés. Aucune raison n’était donnée, et il était spécifié qu’aucun recours n’était possible. « C’est comme se faire couper l’eau » me dit une des victimes.

Quand je soumis l’article pour publication sur le site du Telegraph, on me dit d’abord qu’il n’y aurait aucun problème. Lorsqu’il ne fut pas publié, je posai quelques questions. On m’amadoua avec des excuses, puis on me dit qu’il y avait un problème juridique. Quand je demandai au département juridique, les avocats n’étaient au courant d’aucune difficulté. Me faisant plus insistant, un dirigeant me prit à part et dit qu’ « il y [avait] un petit problème » avec HSBC. Je finis par abandonner, désespéré, et offris l’article à opendemocracy qu’on peut lire ici (en anglais).

Je fis des recherches sur la couverture d’HSBC par le journal. J’appris que Harry Wilson, l’admirable « Monsieur finance » au Telegraph, avait publié un article en ligne sur HSBC basé sur un rapport d’un analyste Hongkongais qui prétendait qu’il y avait un « trou noir » dans les comptes d’HSBC. Cette histoire fut rapidement retirée du site du Telegraph, bien qu’il n’y eût aucun problème juridique. Lorsque je demandai à HSBC si la banque s’était plainte de l’article de Wilson, ou avait joué un rôle quelconque dans la décision de le retirer, la banque déclina tout commentaire. On peut lire les tweets de M. Wilson se référant à cet article ici. L’article lui-même, cependant, n’est plus disponible sur le site, comme n’importe quelle personne essayant de suivre le lien s’en apercevra. M. Wilson souleva courageusement le problème en public lorsque M. Seiken se présenta à l’équipe. Il a quitté le journal depuis.

Puis, le 4 novembre 2014, plusieurs journaux rapportèrent un revers pour HSBC, lié à la provision de plus d’un milliard de livres sterling pour compensation des clients, et une enquête pour truquage des marchés de change. Cette histoire fut publiée en bonne place dans le Times, le Guardian, et le Mail, avec un appel en une de l’Independent. J’examinai alors la couverture du sujet par le Telegraph : il avait en tout et pour tout produit cinq paragraphes en page cinq de la rubrique éco.

Les articles sur HSBC révèlent un problème plus large. Le 10 mai de l’année dernière le Telegraph publia dans la revue de presse un long article sur le paquebot de croisière Queen Mary II de l’entreprise Cunard. Cet épisode ressemblait pour beaucoup à un coup de pouce à un annonceur sur une page habituellement réservée à l’analyse sérieuse des informations. Je revérifiai et il fut manifeste que les concurrents du Telegraph ne considérèrent pas le paquebot de Cunard comme une information majeure. Or Cunard est un annonceur important du Telegraph.

Les commentaires du journal sur les manifestions à Hong Kong l’année dernière furent étranges. On aurait attendu du Telegraph plus encore que d’autres journaux qu’il s’y intéresse particulièrement et adopte une position claire. Pourtant (en contraste flagrant avec des concurrents comme le Times) je ne trouvai aucun éditorial sur le sujet.

Au début du mois de décembre, le Financial Times, le Times, et le Guardian ont tous publié des éditoriaux véhéments sur le refus du gouvernement chinois d’autoriser un comité de parlementaires britanniques à se rendre à Hong Kong. Le Telegraph, de son côté, a gardé le silence. Or il y a selon moi peu de sujets qui préoccupent et intéressent davantage les lecteurs du Telegraph.

Le 15 septembre, le Telegraph publia une réaction de l’ambassadeur de Chine, juste avant le lucratif supplément China Watch. Le titre de l’article de l’ambassadeur frisait le ridicule : « Ne laissons pas Hong Kong s’interposer entre nous ». Le 17 septembre, il y eut un supplément mode détachable de quatre pages au milieu des informations, lui assurant plus de visibilité qu’au référendum écossais. Les faux comptes de Tesco [9] ne furent traités que dans la rubrique éco du 23 septembre. En revanche, il en était question dans l’appel de une, la double page intérieure et l’éditorial du Mail. Non pas que le Telegraph passe systématiquement Tesco sous silence : le versement par Tesco de 10 millions de livres sterling pour la lutte contre le cancer, un reportage à l’intérieur du jet Tesco à 35 millions de livres sterling et « Rencontrez le chat qui a vécu quatre ans dans un Tesco » furent toutes des informations jugées dignes d’intérêt.

Il y a d’autres cas très troublants, dont beaucoup furent publiés sur Private Eye [10], qui a été une source d’information majeure pour les journalistes du Telegraph qui voulaient comprendre ce qui se passait dans leur journal. Cela donnait inévitablement l’impression que quelque chose allait de travers dans l’appréciation des informations par le Telegraph. C’est à ce moment-là que j’écrivis une longue lettre à Murdoch MacLennan exposant toutes mes inquiétudes à propos du journal, et donnant ma démission. J’adressai une copie de cette lettre au président du Telegraph, Adrian Barclay.

Je reçus une réponse hâtive de M. Barclay m’indiquant qu’il espérait que je puisse résoudre mon différend avec Murdoch MacLennan. Je rendis visite au dirigeant à la mi-décembre comme il se devait. Il fut aimable, me servit le thé et me demanda de retirer ma veste. Il dit que j’étais une plume appréciée, et ajouta qu’il voulait que je reste.

J’exprimai mes grandes inquiétudes au sujet de la direction que prenait le journal. Je lui dis que je ne quittais pas le journal pour un autre. Ma démission était liée à un problème de conscience. M. MacLennan admit qu’on avait laissé la publicité influencer la ligne éditoriale, mais ne s’en excusa pas, disant que « ça n’était pas si grave que cela » et ajoutant qu’il y avait une longue tradition de ce type de pratiques au Telegraph.

J’ai depuis consulté Charles Moore, le dernier rédacteur en chef du Telegraph avant que les Barclay ne rachètent le journal en 2004. M. Moore reconnut que les articles publié sur Hollinger Inc., holding possédant le Telegraph à l’époque, ne reçurent pas les vérifications qu’ils auraient méritées. Mais aucun journal dans l’histoire n’a jamais terni l’image de son propriétaire. Et outre ce cas-là, d’après M. Moore, il n’y avait eu aucune influence de la publicité sur la couverture des informations.

Après mon rendez-vous avec M. MacLennan je reçus une lettre du Telegraph disant que le journal avait accepté ma démission, ainsi que ma proposition d’aller au terme de mon préavis de six mois. Cependant on me demanda à la mi-janvier de rencontrer un dirigeant du Telegraph, cette fois pour le thé à l’hôtel Goring. Il me signifia que ma chronique hebdomadaire était supprimée et que « nos chemins se séparaient ».

Il précisa, malgré tout, que le Telegraph continuerait à honorer mon contrat jusqu’à son terme au mois de mai. Pour ma part je dis que je partirai sans faire de bruit. Je n’avais aucune envie de nuire au journal. Malgré tous ses problèmes, il continue d’employer un grand nombre de très bons journalistes qui ont des crédits à payer et des familles à nourrir. Ils font du très bon boulot dans des circonstances très pénibles. Je commençai à me préparer mentalement à la perspective radieuse de plusieurs mois payés à jardiner.


Un article, quel article ?

On en était là quand, lundi de la semaine dernière [11], BBC Panorama [12] diffusa son enquête sur HSBC et sa filiale bancaire suisse, alléguant une évasion fiscale organisée à grande échelle, tandis que le Guardian et le Consortium International de Journalistes d’Investigation publiaient leurs « dossiers HSBC ». Tous les journaux prirent immédiatement conscience qu’il s’agissait d’un événement majeur. Le Financial Times en fit des appels de une deux jours de suite, le Times et le Mail le couvrirent largement sur plusieurs pages.

Il fallait se munir d’un microscope pour savoir ce qu’en disait le Telegraph : rien le lundi, six maigres paragraphes en bas à gauche de la page deux le mardi, sept paragraphes noyés dans les pages économiques le mercredi. Le travail du Telegraph s’améliora seulement lorsque l’affaire révéla des déclarations concernant les impôts de personnes liées au parti travailliste.

Après beaucoup de tourments, j’en suis venu à la conclusion que j’ai le devoir de rendre tout cela public. Il y a deux raisons essentielles à cela : La première concerne l’avenir du Telegraph sous la férule des frères Barclay. Cela peut sembler un peu pompeux à dire, mais je crois que le journal est un élément significatif de l’architecture civique de la Grande-Bretagne. C’est la voix la plus importante du conservatisme sceptique et civilisé.

Les lecteurs du Telegraph sont des gens intelligents, raisonnables et bien informés. Ils achètent le journal parce qu’ils ont le sentiment de pouvoir lui faire confiance. Si les priorités des annonceurs peuvent influencer les décisions éditoriales, comment les lecteurs peuvent-ils continuer à éprouver une telle confiance ? La couverture récente d’HSBC par le Telegraph s’apparente à une escroquerie pour ses lecteurs puisque le journal a placé ce qu’il pense être les intérêts d’une grande banque internationale au-dessus de son devoir d’informer ses lecteurs. Il n’y a qu’un seul mot pour décrire cette situation : tragique. Imaginez que la BBC – si souvent la cible des attaques du Telegraph – se soit conduite de cette façon. Le Telegraph aurait été impitoyable. Il aurait insisté pour que des têtes tombent, non sans raison.

Cela m’amène au second point, encore plus important, qui ne tient pas qu’à l’avenir d’un journal mais à la vie publique tout entière. Une presse libre est essentielle à une saine démocratie. Le journalisme a un but, qui n’est pas seulement de divertir. Qui n’est pas d’être docile avec le pouvoir politique, les grandes entreprises ou les hommes riches. Les journaux ont un devoir quasi-constitutif de dire la vérité à leurs lecteurs.

Le Telegraph n’est pas le seul en cause en l’occurrence. Les dernières années ont vu émerger des dirigeants qui décident en coulisses quelles vérités peuvent être diffusées ou au contraire tues par les médias dominants. Les actes criminels des journaux du groupe News International [13] pendant les années des écoutes téléphoniques ont constitué un exemple particulièrement caricatural de ce phénomène globalement délétère. Tous les groupes de presse, à l’exception salutaire du Guardian, ont maintenu la culture de l’omerta autour des écoutes téléphoniques, même si (comme le Telegraph) ils n’étaient pas directement impliqués. Une des conséquences de cette conspiration du silence a été la nomination d’Andy Coulson, qui a depuis été incarcéré et qui en outre fait désormais face à des accusations de parjure, en tant que directeur de la communication du Premier ministre [14].


Des réponses urgentes à apporter

J’ai fait une autre découverte la semaine dernière. Il y a trois ans, l’équipe d’investigation du Telegraph – la même qui a mené la superbe enquête sur les dépenses des parlementaires – reçut un tuyau sur des comptes détenus par HSBC à Jersey. Cette enquête était pour l’essentiel similaire à celle de Panorama sur la filiale suisse d’HSBC. Après trois mois d’enquête, le Telegraph se décida à publier sur le sujet. Six articles sont actuellement en ligne, datés du 8 au 15 novembre 2012, bien que trois d’entre eux ne soient pas accessibles aux lecteurs.

Depuis lors aucun nouvel article n’est paru. Les journalistes reçurent l’ordre de détruire tous leurs emails, rapports et documents liés à l’enquête sur HSBC. J’ai découvert qu’à ce stade, en rupture flagrante avec la pratique habituelle, les avocats des frères Barclay entrèrent dans la danse. Lorsque j’ai demandé au Telegraph pourquoi les frères Barclay étaient impliqués, on refusa de commenter.

Ce fut le moment charnière. À compter de début 2013, on découragea l’écriture d’articles critiques sur HSBC, qui suspendit ses achats de publicité dans le Telegraph. Cette ressource était extrêmement précieuse, selon une source interne extrêmement bien informée. HSBC, comme me le dit un ancien dirigeant du Telegraph, est « un annonceur que tu ne peux pas te permettre d’offenser ». HSBC a aujourd’hui refusé de répondre lorsque je leur ai demandé si la décision d’arrêter la publicité dans le Telegraph avait quelque lien que ce soit avec l’enquête du journal sur les comptes à Jersey.

Récupérer les recettes publicitaires liées à HSBC devint la priorité des priorités. Ce fut finalement le cas après douze mois environ. Les cadres disent que Murdoch MacLennan était déterminé à n’autoriser aucune critique de la banque internationale. « Il s’inquiétait pour les titres y compris sur les affaires sans importance », selon un ancien journaliste du Telegraph. « Tout ce qui touchait au blanchiment d’argent était purement et simplement banni, même lorsque la banque reçut un ultime avertissement de la part des autorités américaines ». Cette ingérence se produisait à une échelle industrielle.

« Adopter une orientation éditoriale ouvertement influencée par un annonceur est une façon classique de jouer l’apaisement. Une fois qu’un organisme puissant sait qu’il peut vous influencer, il sait qu’il peut vous menacer, tôt ou tard. Cela change totalement votre rapport avec lui. Vous savez que même si vous êtes solide, vous ne serez pas soutenu et votre travail sera sapé. »

À mes questions envoyées cet après-midi au Telegraph sur ses rapports avec les annonceurs, le journal a donné la réponse suivante :

Vos questions sont pleines d’imprécisions, et par conséquent nous n’entendons pas y répondre. De façon plus générale, comme n’importe quelle entreprise, nous ne faisons jamais de commentaire sur des relations commerciales particulières, mais notre politique est on ne peut plus claire. Nous cherchons à fournir à nos partenaires commerciaux des services de publicité variés, mais la séparation avec notre ligne éditoriale récompensée par plusieurs prix a toujours été fondamentale pour notre entreprise. Nous réfutons en bloc toute allégation contraire.

Les faits suggèrent néanmoins le contraire, et les conséquences de la récente couverture d’HSBC par le Telegraph ont sans doute laissé des traces. Le trésor public aurait-il été plus énergique dans sa propre enquête récente sur la fraude fiscale de grande ampleur si le Telegraph avait maintenu HSBC à bonne distance après son enquête de 2012 ? Les enjeux sont de taille. Il touchent au cœur de notre démocratie, et ne peuvent plus être ignorés.

Peter Oborne, le 17 février 2015

Traduction : Martin Coutellier (avec Thibault Roques)

 
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Notes

[1Cet article est publié sous licence Creative Commons, donc librement reproductible avec lien avec l’url d’origine (note d’Acrimed).

[2La révélation en 2009 par le Telegraph de mésusages d’argent public alloué à des membres du parlement déboucha en effet sur un scandale politique majeur, avec d’importantes conséquences : nombreuses démissions et renvois, excuses publiques et remboursements, ainsi que procès et condamnations. Toutes les notes sont du traducteur.

[3Centre géographique et historique de Londres, qui en est actuellement son cœur financier.

[4Autre quartier londonien, cœur politique où réside la famille royale.

[5Parti politique local du Hampshire.

[6Erreur de syntaxe.

[7Le terme de chasse aux cerfs (« Deer Hunting ») est réservé, en Grande-Bretagne mais pas aux USA, à la chasse à courre, donc sans arme.

[8« Open for business » est également la mention par laquelle les commerces ayant pignon sur rue signalent qu’ils sont ouverts.

[9Chaîne de supermarchés internationale basée essentiellement en Grande-Bretagne.

[10Site d’information en ligne.

[11Le 9 février.

[12Émission d’investigation hebdomadaire diffusée sur BBC One.

[13Grand groupe de médias, détenu par Rupert Murdoch, au cœur du scandale des écoutes téléphoniques en 2007.

[14Andy Coulson a occupé le poste de rédacteur en chef de News Of The World de 2003 à 2007, il démissionna suite à la condamnation d’un journaliste du journal dans l’affaire des écoutes illégales dans les premiers temps de cette affaire. Il occupa par la suite le poste de directeur de la communication de David Cameron jusqu’en 2011 ; il en démissionna sous la pression liée à la progression de l’enquête qui accumulait les preuves de son implication.

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