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Philippe Val recycle son éditorial purificateur sur France Inter

par Henri Maler,

Philippe Val, chroniqueur à France Inter ? Ce doit être une forme originale d’ « emploi fictif », puisqu’il recycle sur l’antenne de la station de service public les « papiers » (déjà usagés le jour même de leur parution) qu’il a rédigés pour Charlie Hebdo. Mais il n’y pas de petit bénéfices matériels pour les nécessiteux et de maigres profits symboliques pour les penseurs boursoufflés.

Après avoir réclamé le 24 décembre dans les colonnes de Charlie Hebdo l’épuration de l’Observatoire français des médias (lire ici même : « Philippe Val se charge de l’épuration de l’Observatoire français des médias » et « Droit de réponse à Philippe Val, psychiatre, historien et patron de presse, par Serge Halimi »), Philippe Val a offert aux auditeurs de France Inter 5’02 de bonheur en lisant, au cours de l’émission « Charivari » du 29 décembre 2003, des morceaux choisis de son inoubliable éditorial.

Mais voici la version sonore de l’éditorial recyclé (proposée ici le 15 février 2004)

Mais ce ne sont que des morceaux choisis, car une comparaison minutieuse entre les deux versions (l’écrite pour Charlie hebdo et le son pour France Inter) fait apparaître de nombreuses coupes malencontreuses.

 Parlant de l’Observatoire français des médias, Philippe Val autocensure une partie de ce qu’il avait écrit. Soit le passage suivant : « Son noble but est de faire " contrepoids à tous les pouvoirs, en particulier ceux des grands groupes médiatiques qui favorisent la logique de marché en matière d’information et la pensée néolibérale comme idéologie ". C’est chouette, non ? Celui qui n’a pas encore compris, par exemple, que les intérêts de l’entrepreneur de travaux publics Bouygues sont parfois en conflit avec l’éthique de la rédaction de TF1 n’aura plus l’excuse de ne pas savoir. Bien que ce travail d’analyse soit devenu la routine d’à peu près tous les débats sur les médias et de toutes les pages médias, et que les pages médias du Figaro lui-même soient une des sources d’information, il n’est pas inutile de rappeler que l’eau bout à cent degrés aux malheureux qui s’entêtent à l’ignorer. »

Qu’importent, en effet, les objectifs de l’Observatoire, désormais tenus pour totalement dérisoires !

 Deuxième autocensure. Les auditeurs de France Inter ont été privés de la phrase suivante : « Si un observatoire des médias peut analyser vraiment comment fonctionne l’institution médiatique en France, les rapports entre les syndicats et le groupe Hachette, l’économie de l’information, et inspirer des lois qui ouvrent sur davantage de liberté et d’indépendance, j’adhère. ».

Cette adhésion hypothétique ne mérite plus aucune mention ! Il faut l’avouer : nous hésitons encore entre la tristesse et le soulagement.

 Troisième autocensure. Le tri entre les « bons » journalistes et les « mauvais » pouvant passer pour un intolérable... flicage, Philippe Val raye les noms de ceux qu’il avait honorés (« Jean-Marie (sic) Vadrot, Marc Lecarpentier ou Marcel Trillat ») et passe sous silence (on ne sait jamais, prudence oblige...) la dénonciation maccarthyste d’Ignacio Ramonet, qui mérite donc d’être rappelée : « L’Observatoire français des médias sera un mort-né. Et s’il survit, ce sera un mort vivant. Une machine à délation morbide, se nourrissant de la haine des journalistes en général. Déjà, la présence parmi ses animateurs d’amis de Fidel Castro, comme Ignacio Ramonet, directeur de la rédaction du Monde diplomatique, dont on ne voit pas très bien ce qu’il pourrait apprendre à nos médias - si imparfaits soient-ils - en matière de liberté de la presse, ne porte guère à la confiance. »

Une fois ce premier nettoyage effectué, que reste t-il ?

Inaltérable, la vanité de Philippe Val, qui rappelle une nouvelle fois qu’il n’a pas été prévenu personnellement, en sa qualité de membre fondateur d’Attac, de la création de l’Observatoire (ce qui est faux, semble-t-il, s’agissant de surcroît d’un adhérent fantôme qui ne participe à aucune des activités d’Attac et n’est même pas en mesure de payer sa cotisation...). C’est cette même vanité blessée qui, plus loin, permet à Philippe Val d’affirmer qu’il est « l’une des cibles principales de PLPL ». Ce que tout lecteur, même distrait de ce journal, sait être manifestement inexact : comment Philippe Val pourrait-il être « principal » en quoi que ce soit ?

En revanche, plus encore que dans la version papier, il apparaît que la « cible principale », voire exclusive, de Philippe Val, est Serge Halimi. Pour réclamer le bannissement de ce dernier, heureusement qu’il existe une station de service public !

Pourtant, après avoir éliminé la critique des mises en cause d’Alain Minc et de Laurent Joffrin par PLPL, notre autocenseur omet le passage suivant : « Je ne dirai rien de la position d’Halimi, qui, comme d’autres, a de bonnes raisons de critiquer le journal Le Monde, sauf qu’à sa place, pour éviter d’échapper au destin lamentable de parasite dans la charpente, j’aurais démissionné du groupe Le Monde afin de m’exprimer librement. Mais chacun sa merde et sa conception du métier. »

Il est vrai que la défense « libertaire » d’un vigoureux « Ferme ta gueule ou tire-toi » risquait d’avoir de fâcheuses résonances patronales, après les licenciements de Daniel Schneidermann par Le Monde, d’Alain Hertoghe par La Croix [1] et de... Martin Winckler par Jean-Luc Hees.

Arrivé à ce point, l’auditeur pouvait sans doute se demander ce qui pouvait bien justifier pareille chronique sur France Inter. Rien d’autre qu’un appel direct à la solidarité avec Jean-Luc Hess (directeur de France Inter), patron intermittent de Philippe Val, et un appel déguisé à la censure de Serge Halimi par Daniel Mermet, sur cette même antenne.

 L’appel à la solidarité (rétrospective...) s’adresse d’abord à Martin Winckler : « Je m’étonne d’ailleurs que Winckler, qui semble un honnête homme, ait pu laisser dire que Hees l’a licencié sur ordre des laboratoires pharmaceutiques alors que le conflit qui l’opposait à sa direction datait du mois de mars précédent. »

Prudemment, Philippe Val a rectifié sa première version où l’on pouvait lire : « alors que le conflit qui l’opposait à Hees n’est pas un secret, et n’a rien à voir avec la campagne de pub des laboratoires, qui a débuté en été. »

La suppression la fin de la phrase, entre l’écrit et l’oral, suggère donc que le conflit a peut-être « à voir ». C’est déjà ce qu’écrivait Isabelle Roberts dans Libération du mardi 22 juillet, sans que Philippe Val s’en offusque, du moins à notre connaissance [2].

 Le même appel à la solidarité avec Jean-Luc Hees, assorti d’une exigence extravagante, est adressé à Daniel Mermet. A l’antenne de France Inter, il en reste ceci : « [...] Serge Halimi, fidèle à ses habitudes de rongeur de la charpente qui l’abrite, s’exprime régulièrement et librement dans l’émission de Mermet. J’imagine que Mermet, avec le sens de la liberté et de l’honneur que je lui connais, va réagir aux insultes d’Halimi, en protestant véhémentement de l’honnêteté jamais prise en défaut de Hees, sous la direction duquel il s’honore de faire son travail librement. »

Sommer Daniel Mermet, sur l’antenne de France Inter, de faire publiquement acte d’allégeance (ou de se démettre ?...) est évidemment du plus bel effet.

Dans un tel contexte - charcuté -, la demande de Philippe Val de voir son nom retiré de la liste des membres fondateurs d’Attac est encore plus incongrue, puisqu’elle est subordonnée à la dénonciation publique par l’OFM de l’un ses membres, pour cause de crime de lèse-majesté commis par PLPL (qui n’est pas membre de l’OFM...) contre Jean-Luc Hees.

Et Philippe Val de conclure : « Je préfère cultiver les choux en Patagonie que d’avoir quelque chose à voir avec une quelconque milice de la presse. ». Le conditionnel initial (« Je préfèrerais cultiver les choux en Patagonie ») n’est plus de mise : d’abord parce que Philippe Val cultive déjà les choux en Patagonie (et courtise ses amis de France Inter sur France Inter), ensuite parce que la « milice de la presse » - nous n’aurions pas osé cette expression... - est en cours de constitution, sous sa généreuse autorité.

***

PS 1 : Lire ici même : « Philippe Val se charge de l’épuration de l’Observatoire français des médias » et « Droit de réponse à Philippe Val, psychiatre, historien et patron de presse, par Serge Halimi ».

PS 2 : Philippe Val consommant une page et demie du dernier Charlie Hebdo de l’année (31 décembre 2003) pour fustiger une déclaration corporatiste d’un grand cuisinier, aucune place n’était disponible pour publier le droit de réponse de Serge Halimi...

PS 3 : C’est désormais chose faite Philippe Val a publié le droit de réponse sur 1/4 de page, se réservant le reste de la page pour se répondre à lui-même. On y reviendra ... (ajout du 15 février 2004).

 
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Notes

[2 « Winckler muselé par les labos ? Le médecin chroniqueur a été remercié par France Inter », par Isabelle Roberts (Libération, 22 juillet 2003).
L’article commence ainsi : « Le puissant lobby de l’industrie pharmaceutique a-t-il obtenu la tête de Martin Winckler, chroniqueur à France Inter ? Depuis septembre 2002 et jusqu’au 4 juillet, tous les matins, l’écrivain et médecin assurait une chronique « scientifique au sens large du terme », comme il la décrit, intitulée Odyssée. Au menu : des sujets aussi variés que le ronronnement du chat, le fonctionnement du cerveau ou les médicaments génériques. Le 27 juin, Jean-Luc Hees, directeur de France Inter, appelle Martin Winckler au Mans, où il vit et d’où il fait sa chronique quotidienne en direct, et lui annonce qu’il n’est pas reconduit à la rentrée. « Il m’a dit qu’il n’avait pas besoin de chronique médicale, ayant déjà des gens pour ça au sein de la rédaction de France Inter », raconte Winckler. Selon l’écrivain, sa chronique doit se poursuivre jusqu’au 11 juillet, mais le 4 on lui annonce par lettre recommandée qu’il vient de faire sa dernière prestation. « C’est une censure de dernière minute, fulmine Winckler, alors que jusqu’ici j’avais toujours eu une liberté totale ! » Que s’est-il passé ? « Je l’ai compris le 11 juillet », explique l’écrivain. Ce jour-là, à 7 h 50, en lieu et place de la chronique de Winckler, un droit de réponse du Leem. Le Leem ? Un organisme qui représente l’ensemble des entreprises du médicament, soit les plus gros laboratoires pharmaceutiques. [...] Le droit de réponse concerne la chronique du 15 mai 2003 intitulée : « Pourquoi entend-on sans arrêt des spots de l’industrie pharmaceutique en ce moment ? » Winckler y fustigeait le Leem et ses campagnes de pub qui « ne sont qu’une façade. Pourquoi ? Parce que depuis une vingtaine d’années l’industrie ne découvre pratiquement plus aucun médicament majeur » [...] ».
L’article donne la parole à Jean-Luc Hees qui fait effectivement remonter le conflit à mars 2003 et se défend d’avoir cédé à des pressions. Isabelle Roberts rapporte cette phrase de Hees : « Je n’accepte pas qu’un petit médecin mégalomane insinue des choses pareilles. »

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